Le Châtelet à Paris, accueille la production mozartienne créée à Aix l’été dernier, dans la mise en scène parfois trop décalée du provoquant Dmitri Tcherniakov. Mais pour nous l’argument principal outre les chanteurs conviés pour cette reprise, c’est assurément l’identité et l’activité de la fosse…
Orchestre et chef requis devraient produire une sorte de miracle musical dont il ne faudra pas manquer de mesurer les qualités. Le chef fondateur des Talens Lyriques (1991), Christophe Rousset aborde Mozart à partir de sa grande connaissance du répertoire antérieur, baroque, dont un travail spécifique sur l’évolution de la forme seria au XVIIIè. Cosi fan tutte, est un ouvrage « ex nihilo » conçu par le vénitien lettré Da Ponte ; avec lui, le dernier ouvrage de la trilogie constituée avec Don Giovanni et Les Noces de Figaro, revisite avec brio les traditions lyriques napolitaine et surtout vénitienne ; à sa hauteur, Wolfgang imagine une musique émotionnelle éblouissante dont les instruments d’époque excellent à exprimer l’urgence et la gaieté, sans omettre la profondeur… Cosi fan tutte est l’événement lyrique à Paris en février 2024. Clarifications.
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CLASSIQUENEWS : Quelle est votre perception de l’opéra Cosi fan tutte, ouvrage cynique ou amoureux, comédie ou tragédie ?
Christophe Rousset : Eh bien tout cela à la fois avec en supplément la tendresse et la grande humanité que Mozart sait insuffler à ce livret qui rappelons-le (contrairement aux Noces ou Dom Juan) est une vraie création ex nihilo de Da Ponte.
CLASSIQUENEWS : sur le plan dramatique, quelles sont les personnages et les situations / scènes qui vous inspirent le plus ?
Christophe Rousset : Vraiment ils sont tous les cinq attachants, peut-être le « joueur » Alfonso l’est moins… d’ailleurs il n’a pas d’aria ! Le duo d’amour Dorabella Guglielmo est d’une beauté envoûtante et le 2e air « per pietà » de Fiordiligi qui se sent défaillir, bouleversant.
CLASSIQUENEWS : dans l’écriture orchestrale, quel est l’esprit de la musique ?
Christophe Rousset : Conforme au dramma giocoso mis en place à Vienne à cette époque par une pléiade de compositeurs essentiellement étrangers appelés à cette magnifique aventure imaginée par l’empereur Joseph II. Encore une fois, le génie de Mozart, unique en son genre et qui fait pâlir ses contemporains à nos yeux (ce n’était pas le cas à l’époque !), y confère une force émotionnelle particulière. Il n’hésite pas à introduire un style opera seria dans l’air « Come scoglio » par exemple.
CLASSIQUENEWS : Y a-t-il des instruments plus sollicités que d’autres ?
Christophe Rousset : La petite harmonie (les vents) a une place particulière dès l’ouverture où ils semblent se courir après, mais surtout dans la sérénade que les deux amants offrent à leurs nouvelles conquêtes (acte 2) où les cordes n’interviennent pas (procédé déjà utilisé par Salieri à différentes reprises dans la Cifra ou dans Tarare).
CLASSIQUENEWS : Comment abordez-vous Mozart en ayant cette connaissance des répertoires baroques qui est la vôtre ?
Christophe Rousset : L’avantage de venir du baroque est d’aborder Mozart dans toute sa fraîcheur comme un grand innovateur. Harnoncourt aimait à dire « nous ne faisons que des créations mondiales ! ». La chaleur boisée de l’orchestre sur instruments anciens permet un équilibre très naturel avec les voix sur le plateau et l’articulation et la précision de ces mêmes instruments donnent un mordant, une nervosité précieuse pour ce répertoire qui joue sur l’urgence et la jovialité.
CLASSIQUENEWS : sur le plan du genre, comment définir la partition ? Que doit-elle à l’héritage napolitain et buffa ?
Christophe Rousset : En fait le dramma giocoso est né à Venise et non à Naples. Ce sont Goldoni et Galuppi qui en ont inventé le concept, avec cet élément typiquement goldonien de mêler les différentes classes sociales ; dans Così, nous sommes dans un univers bourgeois dilettante. Naples a donné des opere buffe beaucoup plus légers, moins littéraires et juste divertissants, quant à Venise on cherchait déjà une idée plus politique ou du moins philosophique. Les situations de travestissements (des deux amants en orientaux et de Despina en médecin ou en notaire) sont issues du buffo, mais n’est-ce pas justement une référence tout à fait vénitienne ? D’ailleurs Da Ponte vient de Vénétie.
CLASSIQUENEWS : Comment s’est déroulé le travail avec le metteur en scène ? Sur quels aspects avez-vous travaillé ?
Christophe Rousset : Pour l’instant je n’ai pas eu la chance d’échanger avec Dimitri Tcherniakov. Il a déjà présenté sa production à Aix et dans le cas d’une reprise le directeur musical n’a que peu de choses à dire… bien que (comme tout le monde ! … hélas ?) j’ai mon Così idéal en tête.
CLASSIQUENEWS : Avez-vous d’autres projets Mozart ? Lesquels ? de prochains au Châtelet ?
Christophe Rousset : Encore un Così et un récital Mozart & Friends avec le baryton Benjamin Appl au festival Mozart de Wüzburg en juin prochain, et puis Mitridate en concert à la Scala de Milan et au Théâtre des Champs Élysées la saison prochaine. Pour le Châtelet ce sera Orlando de Händel mis en scène en janvier 2025.
Propos recueillis en janvier 2024
Photo : portrait de Christophe Rousset © Nathanaël Mergui
agenda
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PARIS, Châtelet. MOZART : Cosi fan tutte. A l’affiche du 2 au 22 février 2024. 10 représentations événements les 2, 4, 6, 8, 10, 13, 15, 17, 20 et 22 fév 2024. La production présentée au Festival d’Aix en Provence 2023 fait escale à Paris sous la baguette de l’excellent Christophe Rousset et ses Talens Lyriques, orchestre articulé et somptueux, idéal pour réécouter Mozart avec des timbres revivifiés… et avec, entre autres, l’irremplaçable Patricia Petibon dans le rôle de Despina, pétillante et facétieuse servante… au centre d’un échiquier amoureux qui fait tourner les têtes… PLUS D’INFOS sur le site du Théâtre di Châtelet : https://www.chatelet.com/programmation/23-24/cosi-fan-tutte/
LIRE aussi notre présentation annonce de Cosi fan tutte de Mozart par Christophe Rousset (Dmitri Tcherniakov, metteur en scène) : https://www.classiquenews.com/theatre-du-chatelet-mozart-cosi-fan-tutte-les-talens-lyriques-ch-rousset-dmitri-tcherniakov-du-2-au-22-fevrier-2024/
3h35 mn (avec entracte).