Pour Naïve, le pianiste François-Frédéric Guy réenregistre la Hammerklavier de Beethoven. Passion pour une oeuvre qui l’accompagne depuis toujours et qu’il a donné plus de soixante fois en concert, depuis sa première gravure en 1997 ; modernité de la parition ; évocation des opéras de Wagner et de Richard Strauss que le pianiste apprécie particulièrement. Entretien.
Vous semblez entretenir une très forte relation avec la Hammerklavier de Beethoven que vous reprenez dans votre album Naïve. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cette partition est-elle importante à vos yeux ?
C’est une œuvre qui m’accompagne en permanence ; c’est mon livre de chevet. Je l’ai travaillée très tôt et continue de l’aborder sans en épuiser ni la richesse ni les implications. Depuis mon premier enregistrement paru en 1998, je l’ai jouée plus d’une soixantaine de fois en concert; ma vision a évolué. Je pense que je n’en atteindrai jamais les limites, mais je peux sans avoir la prétention d’offrir une version « définitive », en repousser les perspectives… qui sont multiples. C’est comme lorsque vous visitez un continent : à votre retour, après l’avoir quitté, certaines images, certains épisodes se précisent avec plus de détails et d’acuité que d’autres…
Mais quel aspect vous passionne particulièrement ?
Il y a bien sûr l’adagio qui est un sommet de la littérature ; il est en cela assez proche de l’adagio de la Neuvième symphonie. Mais je crois que ce sont les répercussions artistiques, musicales, philosophiques de l’œuvre qui me fascinent. Toute nouvelle lecture n’est valable que dans le moment où vous la réalisez : je pourrais enregistrer 10 ou 20 fois cette œuvre inclassable.
Justement existe-t-il, de votre point de vue, une autre partition de Beethoven qui présente des aspects semblables à la Hammerklavier ?
La place de la Hammerklavier est spécifique. Il ne s’agit pas vraiment d’un testament artistique. Dans la mesure où ce terme convient mieux aux derniers Quatuors ou aux trois dernières sonates. La Hammerklavier constitue un enterrement en grande pompe de la sonate classique. Beethoven dresse la synthèse du genre, il nous laisse un archétype, une quintessence unique. Il veut à la fois s’en affranchir tout en repoussant les limites expressives du cadre. Je crois que la Neuvième Symphonie partage cette volonté d’approfondissement et de dépassement. C’est l’une des Symphonies les plus ambitieuses, par sa durée et son propos (adjonction d’un chœur et de solistes). Après la Hammerklavier, avec l’opus 109 qui suit, Beethoven change radicalement de cap.
Vous êtes passionné par l’opéra. Y puisez-vous une source d’inspiration pour votre jeu et pour votre approche des œuvres ?
Je suis plus précisément passionné par Wagner et Richard Strauss, lesquels d’ailleurs m’ont permis de renouveler ma compréhension des œuvres, mon choix des répertoires aussi. Je pense en particulier à l’école de Vienne et aux compositeurs germaniques.
Chez Wagner et Strauss, quelles sont les œuvres que vous appréciez le plus ?
Le Crépuscule des Dieux est fascinant parce qu’il exprime une vision noire ; j’aime la volonté de puissance qui s’en dégage et aussi sa résolution en cataclysme. Je trouve l’idée d’un cycle musical qui se déroule ainsi dans la durée, passionnant. Mais la musique également est stimulante, comme son ampleur et sa capacité à exciter notre imaginaire. Chez Strauss, j’ai la même difficulté pour choisir une œuvre parmi les autres. Ma préférence irait plutôt du côté des opéras de la jeunesse, Elektra, Salomé, mais je garde une préférence pour un ouvrage assez rare sur les scènes de théâtre, la Femme sans ombre. Il y a peut-être quelques longueurs mais Strauss me fascine aussi par les relations harmoniques qu’il y ose et développe. Toute mes études ont été bercées par la musique et le chant de personnages de l’opéra : je conserve en particulier à l’esprit, les voix de James King, Birgit Nilson Leonie Rysanek dans la version de Karl Böhm.
Propos recueillis par Alexandre Pham
4 dates clés dans la carrière de François-Frédéric Guy
1997
premier enregistrement de la Hammerklavier
1999
Débuts avec l’orchestre de Paris et Wolfgang Sawallisch (Concerto n°2 de Brahms, Salle Pleyel)
2005
Rencontre avec Esa-Pekka Salonen à Londres (Concerto n°2 de Prokofiev avec le Philharmonia Orchestra)
2006
second enregistrement de la Hammerklavier
(Naïve)
Approfondir
Lire notre dossier « les opéras de Richard Strauss » dans lequel figure la version de la Femme sans ombre par Böhm (live Salzbourg 1977).
Lire notre critique de l’album Beethoven de François-Frédéric Guy, paru chez Naïve en septembre 2006.
Crédits photographiques
© Naïve – Serge De Rossi