Entretien avec Gilbert Bezzina, en mars 2003, au moment des représentations de Rosmira Fedele à l’Opéra de Nice.
Comment vous imaginez vous Vivaldi? L’homme (le Prêtre Roux, le protecteur de la Giro, etc.) ; le compositeur en train d’écrire puis de diriger ; l’impresario soucieux de gérer au mieux son théâtre, le « San Angelo »? Y-a-t-il un tableau le représentant que vous trouvez particulièrement fidèle?
Gilbert Bezzina. : « Vivaldi était avant tout un homme passionné par son art : un compositeur bien sûr, mais également un violoniste virtuose : capable de gérer plusieurs choses à la fois ; la direction de « La Pieta », d’un théâtre, les voyages… et certainement une vie normale parallèlement. La caricature de Guezzi est me semble-t-il très évocatrice de sa personnalité.
Quel opéra de Vivaldi préférez vous? Celui que vous rêvez de diriger ?
Celui de cette année : Rosmira fedele
Quel est l’ouvrage instrumental ou vocal qui vous touche par ailleurs?
Au hasard l’opus IV
Pouvez-vous évoquer Vivaldi à Venise ? Ses admirateurs et protecteurs? Ses rivaux et adversaires ?
Son détracteur le plus célèbre : Marcello et son livre pamphlet intitulé « Teatro alla moda ». Il faut dire que Marcello ne devait pas aimer l’opéra, d’ailleurs il n’en a écrit aucun.
A quelles difficultés majeures l’interprète actuel de ses opéras s’expose-t-il ? Sur le plan dramatique et de la mise en scène.
Quoiqu’en disent certains metteurs en scène, les livrets d’opéra de cette époque sont très structurés, c’est pourquoi il est souvent impossible d’en couper une scène sans perdre des informations indispensables au déroulement de l’action.
Et sur le plan musical malgré les partitions parfois lacunaires ?
Il est vrai que certaines partitions sont incomplètes, mais connaissant la structure de l’oeuvre il est possible de l’adapter dans le style et notamment comme il le faisait lui-même pour les pasticcios, l’on peut trouver dans sa production un air adapté à la circonstance dramatique.
Que dire sur le plan instrumental : connaissons nous aujourd’hui l’instrumentarium vivaldien ? Quel orchestre pour quel théâtre ?
La plupart des ouvrages ont été créés au Théâtre San Angelo qui était un petit théâtre ne nécessitant pas un gros effectif : cordes – hautbois (jouant parfois la flûte) – trompettes (jouant parfois les parties de cors) – 2 clavecins, etc..
Depuis la redécouverte de l’œuvre vivaldien, quels « progrès » avons nous atteint dans l’interprétation ?
Le terme de progrès me semble peu une notion artistique. Je parlerai d’évolution. L’intérêt porté aux instruments anciens a certainement apporté une couleur différente. L’intérêt porté aux principes d’interprétation en usage à l’époque a peut-être redonné vie à un certain phrasé, mais la musicalité de certains pionniers devait rester un modèle à ne pas ignorer.
Bach a été marqué par Vivaldi. Mais à l’inverse, Vivaldi fut-il fasciné par un autre musicien que lui, en particulier sur le plan dramatique, quelle est sa place dans le paysage lyrique du début du 18e siècle ? Par rapport à Haendel par exemple et les compositeurs napolitains ? Venise était-elle un foyer lyrique actif ?
Il y avait à Venise à l’époque 7 théâtres qui fonctionnaient et qui créaient chaque saison au moins une production nouvelle. Par exemple au San Giovanni Grisostomo : Alessandro Scarlatti en 1707 (Mitridate) ou en 1709 Agrippina de Haendel. Il semble difficile d’imaginer que Vivaldi n’en est pas eu connaissance et, comme Bach et selon la pratique courante de l’époque, il réutilise tout ou partie de certaines oeuvres de ses contemporains. C’est le cas précisément dans sa « Rosmira » de 1738.
Quels sont vos projets immédiats ?
Faire vivre la production de Rosmira fedele au-delà des représentations données à Nice. »
Propos recueillis par Alexandre Pham