Entretien avec Graziella Contratto, directrice musicale de l’Orchestre des Pays de Savoie
Comment s’articule la nouvelle saison 2007 / 2008 de l’Orchestre des Pays de Savoie? Quels en sont les temps forts?
Notre nouvelle saison est l’une des plus complètes car nous menons de front à présent tous les projets que j’ai souhaité réaliser. Il y a deux aspects importants: les actions pédagogiques et l’ouverture à de nombreux styles.
L’action pédagogique de l’orchestre est très développée, elle représente quasiment 40% de notre activité globale. Nous accompagnons les classes des collèges et des jeunes musiciens dans leur découvertes des répertoires. En novembre 2007, nous permettons aussi aux étudiants de la classe de direction d’orchestre du CNSM de Paris d’approfondir leur expérience de la direction. De la même façon nous développons aussi dans les deux conservatoires de Savoie et de Haute Savoie, une action similaire autour d’une nouvelle
oeuvre de Frédéric Gulda avec Xavier Phillips, une partition moderne qui comprend une partie de guitare électrique, des cuivres et un batteur. Ce sont aussi plusieurs oeuvres sur le thème du voyage autour du monde, qui sensibilisent les
élèves des collèges grâce à une série de concerts dirigés par Claire Levacher. Ces mêmes élèves assistent au concert après avoir été préparés par leur professeur…
L’ouverture à de nombreux styles est particulièrement présente dans le cadre de la nouvelle saison 2007-2008. Les concerts dirigés
par Mark Foster accompagnent de ce point de vue un cycle consacré à la découverte des répertoires nouveaux. Cette année, j’ai souhaité que soit présent le flamenco avec Juan Carmona et sa sinfonia flamenca dont il a récemment composé le troisième mouvement. A l’été 2008, nous produirons un concert de Fado, avec Bruno Fontaine et Misia. Et puis, il y a ce cycle dédié à la musique « archaïque » suisse, autour du Yodel naturel, en janvier 2008, que j’ai conçu comme une « Balade helvétique ». Nous avons invité une chanteuse spécialiste de ce répertoire qui a enregistré comme Bartok lorsqu’il se déplaçait dans les campagnes de Bohême pour y graver les chansons rurales originelles, les très anciennes formes du yodel archaïque.
Notre concert fait appel au petit accordéon suisse spécifique aux vallées suisses, il s’agit de révéler la musique suisse que j’appelle « archaïque », très complexe sur le plan harmonique. Je ne dis pas traditionnelle car cela implique ce côté caricatural et « carte postale » qui ne concerne pas notre projet. Vous voyez ainsi que notre ouverture est étendue: Flamenco, Yodel, Fado… les volets développés offrent pour le public des occasions de découvertes musicales, et pour les musiciens de l’orchestre, ce sont de nouvelles expériences de répertoires où les rencontres sont particulièrement profitables.
Pouvez-vous nous parler de la Folle Tournée?
C’est un nouvel événement musical en région Rhône-Alpes qui engage de nombreux ensembles locaux et qui est né de la volonté conjointe des directeurs administratifs des formations concernées: L’ensemble des Musiciens du Louvre-Grenoble, l’Orchestre national de Lyon, l’Ensemble Orchestral Contemporain, Les solistes de Lyon-Bernard Tétu et bien sûr, l’Orchestre des Pays de Savoie. C’est pour nous l’occasion de tourner dans la région auprès d’un très large public, mais aussi pour les musiciens de jouer avec d’autres formations et profiter de nouvelles synergies. Nous illustrons un thème lié au voyage (géographique et intérieur, vers le subconscient), avec Les solistes de Lyon-Bernard Tétu et l’ONL: le titre en est « Au fil du Danube ». L’OPS jouera les partitions de Suk et de Martinu, tous deux tchèques, et aussi Zemlinsky qui fut le professeur de Schoenberg. Nous aborderons aussi les lieder de jeunesse de Gustav Mahler. Jun Märkl a déjà fait savoir qu’il était prêt à assurer l’accompagnement pour piano, car vous savez qu’outre
ses talents de chef, il est un grand pianiste. C’est une période fascinante: le Danube évoque évidemment Vienne qui entre 1890 et 1910, a regroupé tous les auteurs modernes et visionnaires dont les oeuvres annoncent tout ce qui
sera développé au XX ème siècle.
Comment caractériser aujourd’hui le son de l’orchestre? Quel en serait le le
répertoire central?
Nous avons connu depuis quelques années un renouvellement des premiers pupitres. C’est un rajeunissement important de l’effectif, en particulier au sein des cordes de l’orchestre qui a permis de renforcer la virtuosité technique. Il y a à présent cette brillance juvénile que l’expérience des anciens musiciens a aussi consolidé dans le sens d’une plus grande osmose.
Le format de l’orchestre regroupe une vingtaine de musiciens: 19 cordes et 4 vents (2 hautbois et 2 cors). Le noyau de notre répertoire reste depuis toujours l’ouverture et la curiosité. Nous souhaitons toujours préserver notre faculté d’adaptabilité et de souplesse pour aborder tout type d’oeuvre. Il y a cependant des rendez-vous fixes. Voyez par exemple notre concert de Noël qui permet à l’orchestre de se mesurer à la musique ancienne. Cette année, Kenneth Weiss participe à notre programme. C’est l’occasion pour l’orchestre d’être sensibilisé à la notion des pratiques anciennes. Tout cela nous permet aujourd’hui de nous engager aussi dans des projets originaux, comme le programme comportant des musiques de John Adams très « tendance », avec une bande sonore aux rythmes techno, ou dans le cadre de notre volet « Balade Helvétique » auquel je tiens beaucoup car il concerne mes racines, en particulier avec la commande que nous avons passée à l’accordéoniste Markus Flückiger dont je vous ai parlé…
Comment aujourd’hui élargir votre public, en assurer le renouvellement
permanent?
La notion de programmation, c’est à dire le choix des oeuvres jouées est primordial dans nos actions auprès d’un public le plus large possible. Elle est cruciale et d’autant plus importante que l’ensemble de la culture est fragilisé et son statut au sein de la société remis en question. Pour moi, l’histoire de l’art, la litttérature et bien sûr la musique devraient accompagner le développement de chaque enfant au cours de son apprentissage scolaire et universitaire. L’éducation par la culture devrait être à la base de notre système éducatif. Vous voyez que de ce point de vue, nos actions auprès des écoles, des collèges, des universités, avec les classes des conservatoires sont primordiales dans notre activité. Nous réalisons les concerts pédagogiques, les petites formules en classes (que j’avais assurées en 2006 autour de l’opéra L’Empereur d’Atlantide, composé dans les camps de concentration), je propose également les propos d’avant concert, nous avons enfin permis aux enfants de jouer sur scène, grâce aux projets associant à la musique de la vidéo (ce fut le cas pour un concert de la saison 05/06 « Pays, Paysages, Visages »). En Suisse j’ai aussi animé des stages de direction d’orchestres auprès des cadres des milieux financiers: c’est l’occasion d’apprendre pour chacun comment communiquer et manager, tout en découvrant pour soi-même ses limites ou ses ressources en situation nouvelle.
Quelles seraient les oeuvres qui vous tiennent à coeur?
Dans la saison nouvelle, certainement le 2ème Concerto pour piano de Rachmaninov avec Nicholas Angelich. Le concert nous permet ainsi d’aborder une oeuvre importante du répertoire romantique avec le concours de L’Orchestre de Chambre de Genève, avec lequel nous menons un partenariat transfrontalier depuis plusieurs années. Parmi les oeuvres que j’aimerais jouer également, il y a les symphonies de Beethoven et surtout la 5ème, d’autant que l’effectif de l’orchestre correspond probablement à l’un des concerts historiques de l’oeuvre, en particulier l’une de ses premières créations. Quand Beethoven l’a dirigée devant le prince Lobkowitz, dans une salle relativement restreinte de 80m2, cela supposait un orchestre moyen, d’un format comparable à l’Orchestre des Pays de Savoie. A titre personnel, j’aimerais beaucoup diriger dans l’avenir Wagner, car je reste fascinée par son oeuvre, en particulier par Tristan et le Crépuscule des Dieux.
Vous dirigez un Festival en Suisse…
Il s’agit du Davos Young artists in concerts. Le festival de Davos, fondé il y a 23 ans invite de jeunes solistes internationaux en leur offrant un tremplin dans une programmation de musique de chambre. Le lieu est propice à la détente, au travail et aussi à la contemplation. C’est là que Thomas Mann a écrit La Montagne Magique. Les curistes venaient au siècle dernier s’y
soigner contre la tuberculose. Nous avons d’ailleurs donné un concert en plein air devant les spectateurs allongés sur des chaises longues, face aux massifs montagneux. Pendant l’été 2007, j’avais invité de nombreux jeunes instrumentistes français: Benjamin Allard (qui a joué les Variations Goldberg de Bach), le Quatuor Ebène, Osmose, Shani Diluka… Je veille aujourd’hui à ce
que la musique ancienne soit présente au sein de la programmation du festival car il y a de très nombreux solistes remarquablement formés aux notions de pratique et de style ancien. La musique contemporaine est évidemment présente et nous avions invité pour l’édition 2007 du festival, Wolfgang Rihm que je connais depuis l’époque où j’étais chef assistante auprès de la Philharmonie de Berlin.
Propos recueillis par Alexandre Pham
Crédit photographique: Graziella Contratto © F.Angleraux