Jan VOGLER, directeur de l’Orchestre du Festival de Dresde, présente les nombreux défis que la phalange germanique doit relever au moment où le 1er volet du Ring, La Walkyrie / Die Walküre est réalisée au printemps 2024, sous la direction de Kent NAGANO. L’idée de jouer Wagner selon la connaissance des pratiques historiques, avec des chanteurs sensibilisés au style de l’époque (sans vibrato et soignant l’intelligibilité…) dévoile l’engagement d’un collectif parmi les plus convaincants actuellement. L’aventure et la performance intitulées « The WAGNER CYCLES« , ouvrent des champs insoupçonnés ; les options interprétatives s’appuyant sur les recherches avancées d’un groupe de musicologues experts, piloté par le professeur Kai Müller.
Le RING historiquement informé
CLASSIQUENEWS : Comment l’Orchestre du Festival de Dresde est-il impliqué dans cette aventure historique ? Quelles sont vos attentes spécifiques pour l’Orchestre ?
JAN VOGLER : Au début, tout le monde doit se présenter avec le bon équipement / le bon instrument. Les musiciens du Dresden Festival Orchestra sont soucieux de jouer le bon instrument pour chaque décennie du XIXe siècle. Les instruments à vent ont surtout beaucoup changé à l’époque romantique et l’orchestre de Wagner regroupe beaucoup d’instruments très spécifiques, certains d’entre eux ont été reconstruits / construits spécifiquement pour notre cycle du RING. Tous les joueurs de cordes jouent sur des cordes de boyau. Pendant les répétitions, nous avons des musicologues qui informent les musiciens sur les techniques non vibrato, rubato et shifting qui sont spécifiques à la pratique de Wagner. Nos musiciens sont très désireux d’apprendre et d’absorber autant d’informations sur le style du jeu qui est celui de la première du Ring (en 1876 à Bayreuth). Et Wagner a beaucoup écrit sur ce sujet !
CLASSIQUENEWS : Pour Die Walküre / La Walkyrie, par rapport au Rheingold précédemment réalisé, quelles sont les découvertes et les choix spécifiques ? En termes d’instruments? En termes de voix?
JAN VOGLER : Die Walküre est un opéra beaucoup plus dramatique et expansif. Les joueurs du Dresden Festival Orchestra et tous les chanteurs doivent avoir beaucoup plus d’endurance comme de couleurs. Cela signifie élargir la dynamique, les expressions, les articulations. Le premier acte seul représente un défi particulier pour les voix inférieures de l’orchestre ; ce sont elles qui dominent la scène musicale dans ce premier acte sombre. Avec la pratique que l’orchestre adopte, il y a beaucoup plus de transparence et il est intéressant de voir que l’auditeur peut entendre chaque voix de l’orchestre comme il perçoit chaque chanteur tout le temps ! Pour les chanteurs, le défi était d’oser vraiment chanter pianissimo ! ce qui suppose être en confiance et disposer d’un orchestre qui ne couvre pas les chanteurs. Et les résultats sont étonnants, il y a une plage dynamique beaucoup plus grande que dans une performance conventionnelle.
Instrumentistes du Dresdner Festspielorchester © Vojtech Brtnicky
CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous détailler l’instrumentarium de cette Walkyrie recréée ainsi en mars 2024 ?
THOMAS JAHN (hautboïste de l’Orchestre du Festival de Dresde / Dresdner Festspielorchester) : Tout d’abord, il y a beaucoup de particularités dans les instruments à vent : la clarinette basse très dominante, par exemple, est un instrument original de l’époque de Wagner fabriqué par le célèbre luthier munichois Georg Ottensteiner ; de même nos bassons fabriqués par Heckel, qui, comme Wagner l’a exigé, sont joués avec une touche A pour étendre la gamme vers le bas – contrairement au contrebasson en usage dans les performances modernes.
Les flûtes et hautbois jouent également des instruments originaux d’environ 1880 afin de se rapprocher le plus possible du son original de l’époque. Les instruments sont en bois tendre, comme à l’époque. Particulièrement remarquables sont les quatre tubas de Wagner, dont deux sont des instruments originaux de 1884 et les deux autres sont des répliques exactes de ces originaux.
Le son est unique, tous les joueurs des vent jouent sur des instruments originaux ou des répliques exactes. L’instrumentation complète est la suivante : 3+Picc (3ème également Picc.); 3,1 Althoboe (Ob); 3,1 Bkl./3 ev.(Cfg.) , 8 (incl.4 Tuben), 3, 1 trompette basse; 3, 1 trombone contrebasse, 1 tuba contrebasse, corne de taureau (réplique spéciale de Stefan Katte, d’après des photos de la performance de Richard Wagner / NDLR : pour accompagner Hunding quand il revient de la chasse à l’acte II).
Un travail de pionnier similaire a été réalisé avec les timbales et les percussions. Nos timbales jouent des timbales Wunderlich originales et restaurées avec des peaux de chèvre comme à l’époque de Wagner ; les percussionnistes adaptent également constamment les instruments, toujours à la recherche du son original Wagner. Instrumentation des percussions : timbales, machine à tonnerre, tam tam, 1 triangle, 1 paire de cymbales, 1 tambour remuant, 1 glockenspiel. Le glockenspiel a également été développé à partir de plaques historiques dans le diapason de 435 Hz et modelé sur des exemples historiques. Il est également important de mentionner nos six harpes : toutes des harpes Erard, modèle originales de l’époque Wagner. Les cordes jouent toutes sur des cordes de boyau, certaines ouvertes, certaines « enroulées » – comme c’était la coutume chez Wagner.
Instrumentistes du Dresdner Festspielorchester © Vojtech Brtnicky
CLASSIQUENEWS : Comment avez-vous recruté les chanteurs pour La Walkyrie ? Selon quels critères ?
JAN VOGLER : Tous les chanteurs ont participé à une série d’audition ; ils ontsuivi plusieurs ateliers initiaux sous le pilotage de Kent Nagano, Volker Krafft et notre musicologue principal, Kai Müller. Au cours de cette première étape, chaque chanteur a été testé pour sa flexibilité à s’adapter à ce style spécial, en particulier en termes de langue / prononciation, au chant sans vibrato / ou avec moins de vibrato ; sa capacité parfois même à parler au lieu de chanter. Tous les solistes qui ont fini par participer au projet sont très flexibles et désireux de s’adapter. Photo : Kai Müller © Michael Rathmann
CLASSIQUENEWS : Y aura-t-il un enregistrement des différents concerts de ce cycle WAGNER ?
JAN VOGLER : Il y a des enregistrements d’un grand nombre de représentations individuelles, mais il y en a surtout pour que les musiciens et Kent Nagano les écoutent et s’en imprègnent pour s’améliorer encore. Nous enregistrons tout le Ring en studio et avons le projet de partager bientôt les résultats pour le plus grands nombre.
CLASSIQUENEWS : Pour les prochains épisodes, Siegfried et Gotterdämmerung, les défis dans la réalisation sont-ils différents?
JAN VOGLER : Il y aura encore beaucoup de défis à relever. D’une certaine façon, j’ai l’impression que le Walküre a été le véritable test. Maintenant, les musiciens et les chanteurs sont excités d’apprendre le prochain opéra, Siegfried et de continuer le voyage…
Propos recueillis en mars 2024
Instrumentistes du Dresdner Festspielorchester © Vojtech Brtnicky
critique
LIRE ici notre critique de La Walkyrie / Die Walküre à la Philharmonie de Cologne le 24 mars 2024 : https://www.classiquenews.com/critique-opera-cologne-philharmonie-le-24-mars-2024-richard-wagner-die-walkure-la-walkyrie-dresdner-festspiele-orchestre-concert-koln-sarah-wagener-ric-furman-derek-welton-christiane-l/