On ne saurait mieux dire : pour Léo Marillier, directeur aristique du Festival INVENTIO, « l’ADN du Festival INVENTIO : Enrichir une programmation classique, faire des pas de côtés. Mais comment muscler le public pour s’ouvrir à l’inconnu ? »… Rien de mieux en conséquence, qu’un fonctionnement démocratique où chaque artiste invité exprime et transmet le mieux qu’il le peut, explore toujours en connivence, enrichit le répertoire, et écoute la partie de l’autre pour mieux comprendre la sienne. Heureux festivaliers en Seine-et-Marne, ayant à disposition ainsi de mai à septembre, une offre artistique aussi brillamment conçue, chaque été. Voilà 10 ans déjà que le Festival INVENTIO surprend et captive. Explications, présentation d’un Festival estival hors normes, sans équivalent dans l’Hexagone
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Photos Léo Marillier © Franck Jaillard
CLASSIQUENEWS : Pour ses 10 ans, le Festival INVENTIO, cru 2025 « A suivre », propose deux séries d’évènements qui s’entremêlent et se complètent : que permettent-elles de proposer artistiquement ?
LÉO MARILLIER : J’adore la musique qui parle du monde, de notre expérience, de nos vies informulées et secrètes : rien de tel qu’une voix amie pour nous rassurer, nous montrer la voie. Un aspect important de cette édition est quand l’instrument se mue en voix, imite le chant, la parole, le bruit de la plume. « Du bruit qui pense » (Victor Hugo) pourrait être la devise de cette année. En miroir l’une de l’autre, les deux séries explorent les relations complexes – connivence ou rivalité – entre musique et mots.
A portée de mots : Six événements pour illustrer six dimensions, sortes de parois entre l’expérience musicale et l’écrit : Pourquoi et comment s’emparer et parer de mots l’expérience si subjective, si émotionnellement personnelle du concert ? De lire et écouter – une même volonté – élargir l’imagination, l’expérience.
Le conte : comment dire « il était une fois » en musique ? Quand l’humour du conteur Jacques Sternberg se glisse entre des œuvres de Schubert, Berio et Haendel, le tout porté par un trio excentrique et complice : Alexa Ciciretti au violoncelle, Quentin Rey à l’accordéon et moi-même au violon.
La signature musicale : Le jeune prodige organiste, Edmond Reuzé, nous livrera les dessous du motif musical avec des œuvres de Bach, Lully, Schubert…pour faire résonner le magnifique orgue récemment restauré de l’église de Bray-sur-Seine.
La fiction : Peut-on suggérer un récit avec les moyens descriptifs de la musique ? Les compositeurs inspirés par Don Quichotte, maître de l’illusion, de l’humanité, du courage, nous affirment que oui.
La critique musicale : Depuis le XIXème siècle, le volatile sublime de la musique est si souvent immédiatement commenté, tentant de saisir l’innovation au pied levé ce dont David Le Marrec se fera l’écho au cours du concert interprété par un formidable trio de jeunes talents : Yuiko Hasegawa au piano, Camille Théveneau au violon, Iris Guemy au violoncelle. Cas de « double-casquette » : le compositeur Debussy et son alias, le critique Monsieur Croche au cœur du programme de ce concert rejoint par Schönberg et Ravel.
La correspondance des compositeurs nous apprend que l’acte créateur se situe entre solitude et immersion sociale. Ainsi, le pianiste Orlando Bass et moi-même éclaireront les œuvres de Beethoven et Bartok et l’une de mes créations pour piano seul d’un partage de courriers, témoins de l’influence de l’amitié et des liens entretenus avec les contemporains sur la création.
Et enfin, le sacré : Véritable contrepoint à la parole sacrée, l’’événement des « Sept dernières paroles du Christ », chef d’œuvre de Haydn interprété par le magnifique Quatuor Kandinsky et mis en espace entre déclamations et notes, presque transposée en sept « premières paroles de l’Homme », véritable invitation à la liberté.
La seconde série fait la part belle au chant : ouvrir la voix. Elle explore les pratiques vocales, ce en quoi la voix unit, joue avec le sens proposé par un texte, et l’ivresse sensorielle d’une vocalise. La voix, c’est à la fois l’instrument que nous avons toutes et tous, mais aussi une immense discipline dont la centaine d’enfants, auteurs/choristes du spectacle d’ouverture du festival témoigneront en livrant un spectacle original sous la houlette de la cheffe de chœur, Angélique Niclas.
C’est aussi un honneur que d’avoir pu écrire et composer le conte musical « une invention féérique ou la parabole du professeur Tourbillon » pour la chanteuse Clara Barbier Serrano. Commande du festival, les thématiques mentionnées précédemment s’ y incarnent. Ce spectacle opératique, mis en scène par Vincent Morieux, regorge – j’espère – d’humour et de fantaisie – dans la tradition des contes d’initiation à l’orchestre et sera défendu par un orchestre « de poche » naissant, résultant de la collaboration et de l’engagement de Emma Derivière à la contrebasse, François Vallet aux percussions, Guillaume Retail au hautbois, Geoffray Proye au trombone, Charlotte Scohy à la flûte, Camille Coello à l’alto, Helena Ortuno au basson et Emmanuel Acurero au violoncelle et moi-même au violon dialoguant avec le chœur de Passy…
Nous nous séparerons sur une initiative de concert participatif, point d’orgue de l’édition 2025 où le public sera invité à devenir acteur lors du final partagé avec l’Ensemble baroque La Badaude qui nous propose un très beau programme où le chant de la harpe, du théorbe, de la flûte, de la voix se mettent au diapason des passions et de la spiritualité humaine de l’Espagne musicale du 17ème siècle.
CLASSIQUENEWS : Les 10 ans d’INVENTIO donnent l’occasion d’établir un bilan. Sur cette période comment ont évolué l’esprit et le fonctionnement du Festival ?
LÉO MARILLIER : Au départ, INVENTIO a été dicté par le projet de tournée au profit de musiciens collègues américains, partenaires avec lesquels j’avais noué une amitié musicale forte lors de mes études à Boston. La tournée initiale s’est muée dès la seconde année en série de concerts pendant l’été ; en 2025, une dizaine d’événements et une bonne trentaine d’artistes invités. Le calendrier a également évolué : au départ circonscrit au mois de juin, aujourd’hui le cycle d’événements s’étend de mai à septembre. Ces dernières années ont été marquées par la venue et la découverte pour le public de formations de musique de chambre variées, et parfois inédites, de musiciens à la sensibilité aiguisée, traçant toutes et tous une route artistique singulière marquée par un goût indélébile pour l’exploration.
L’esprit du festival est celui qui règne en musique de chambre : le partage d’un artisanat musical très fort, le privilège d’explorer un répertoire infini, le principe démocratique. En effet, peu importe le nombre de notes à défendre chaque musicien a la même capacité de changer en dialoguant, argumentant, en jouant la direction de la pièce. C’est en connaissant les autres parties que le musicien de chambre comprend la sienne … ainsi il va dans l’organisation du Festival INVENTIO.
Explorer les ressources créatives et vertueuses suscitées par la contribution de formations inusitées, guider vers des lieux intimes, parfois ignorés du patrimoine seine-et-marnais, provoquer les chefs-d’œuvre en les faisant voisiner avec les trouvailles musicales, articuler le répertoire de chaque rencontre musicale autour d’un fil rouge. L’ensemble des fils rouges tisse le thème adopté à chaque édition, s’essayant à approcher l’un des rapports que la musique entretient avec le monde….
ADN du Festival INVENTIO : Enrichir une programmation classique, faire des pas de côtés. Mais comment muscler le public pour s’ouvrir à l’inconnu ? Pour s’étonner et s’enchanter des chants andalous du 17e siècle et de l’aujourd’hui le plus vif avec Luciano Berio, un entraînement, une fréquentation dénuée de préjugés d’avec le singulier s’impose. Le dialogue avec le public est crucial ; échanger, donner envie, fournir des pistes, démystifier, rire, c’est ce que la parole autour du concert, autour de la musique permet. Mais pas que…
La transhumance des champs artistiques constitue une autre clé facilitant l’appétit de découverte… Les précédentes éditions ont ainsi mis en résonnance et en dialectique, la musique et le cinéma, la musique et la peinture ; la porosité des arts est une réalité. C’est pour moi une expérience quotidienne que je cherche à partager. Mais pas que…
S’ouvrir à l’environnement – les mini-rando guidées, les causeries préalables à propos de l’histoire du lieu-hôte, les ateliers où sont célébrés le mouvement : taï-chi, chant… – pratiques en amont des concerts offertes aux festivaliers – facilitent le dépaysement, le choc émotionnel, la curiosité salutaire avant d’entrer en plain-pied dans l’expérience toujours neuve du concert, offrant en quelque sorte une antichambre à l’expérience musicale…Celle-ci reste bien entendu subjective et de toute façon reliée au chemin personnel que chacun conduit dans le monde sensible. En tant que directeur artistique, je reste modestement un interprète qui propose un projet conjuguant proposition artistique et pédagogie, toujours habité par le fait que la meilleure pédagogie s’arrête aux confins de la liberté de l’auditeur nourrie des questions et dialectiques intérieures qui l’auront traversé… Il s’agit simplement pour moi de fournir un terrain où ces questions prendront racines a priori plus facilement.
Pour finir, le concert est un lieu de vie ; dans l’univers rural où se déploient nos concerts, il est capital de tout mettre en œuvre pour que l’hospitalité règne et la chaleur relationnelle puisse prolonger, autour de goûters gourmands, le partage des opinions et ressentis… Faciliter l’accès aux événements en organisant du co-voiturage et des navettes dans une région peu irriguée sur le plan des transports en commun, est rendu possible grâce au concours des bénévoles et sympathisants, socle essentiel du festival… Ce sont eux qui forgent la réalité du festival.
Cela étant, la fragilité d’une entreprise associative fondée sur des soutiens financiers qui chaque année doivent être reconquis ne peut être tue mais stimule également notre combattivité. Cette 10ème édition « A suivre » porte notre confiance de voir perdurer le Festival INVENTIO…
CLASSIQUENEWS : Sur le plan artistique comment avez vous diversifié et renouvelé l’offre et la forme des concerts / des événements musicaux?
LÉO MARILLIER : L’expérience auditive, imaginative, visuelle du public métisse l’intellect, la perception et la sensibilité, et constitue l’enjeu au cœur du concert, où le savoir et l’inattendu s’embrassent. Les modalités de mise en œuvre du concert sont des leviers forts de l’orientation que l’événement prendra pour chaque auditeur… Ainsi l’écrin, parfois quelque peu anonyme ou aseptisé des salles de concert, peut araser l’effet que la musique produit, et au contraire avec l’aventure INVENTIO, nous avons le privilège de teinter en quelque sorte la musique de l’environnement fantasque dans lequel elle est jouée. Ainsi en 10 ans, le patrimoine architectural – églises ou chapelles peu sollicitées sur le plan cultuel donc menacées par l’oubli, domaines privés : châteaux ou abbaye par essence rarement offertes au regard du grand public, site-témoin de l’industrie papetière locale désormais écrin d’expositions contemporaines exceptionnel, musée vivant du chemin-de-fer ou parcs naturels nous ont conduits à examiner sous un angle sans cesse rafraichi l’offre musicale. Les contraintes ou opportunités acoustiques, les singularités spatiales, tout concourt à s’interroger, à procurer des défis à la réflexion sur le meilleur parti à tirer de la scène éphémère pour que le programme y soit honoré. Je n’exagère pas en affirmant que chaque œuvre bénéficie ainsi d’une « première » ; nous avons eu des révélations acoustiques extrêmement intéressantes tant pour les musiciens – qui se prêtent généreusement à cet exercice hors de leur zone de confort – que pour le public.
La succession des thématiques d’édition, toutes dominées par une vision dynamique du rapport à l’art cherche à affranchir du concert-musée où des objets statiques issus du passé défileraient… Au contraire ces moments de partages musicaux visent à animer le rapport à l’art, à faire vivre et évoluer la mémoire et la tradition. C’est pourquoi nous favorisons la présence de nombreux arrangements de pièces du grand répertoire migrant vers des formations d’adoption pour les faire rayonner ou éclore différemment. Sortes d’uchronies musicales, ces arrangements peuvent même apporter des clés sur la genèse des œuvres… Une éloquence cachée… Les créations marquent de leur empreinte la vitalité musicale et la prise de risque salvatrice de la programmation musicale INVENTIO.
Les frottements suscités par le décloisonnement artistique valorisé par les thématiques annuelles façonnent la forme des concerts et la manière dont ils sont reçus.
La pandémie nous a aussi permis de développer la dimension médiatique du festival, avec le superbe travail d’Aurélien Mélior, qui réalise les films du festival depuis 2021 garantissant ainsi une audience élargie aux événements et aux artistes.
CLASSIQUENEWS : Quel est l’ancrage géographique et patrimonial du Festival ?
LÉO MARILLIER : Au fil des années, nous avons organisé des événements dans un grand nombre de sites dans le triangle seine-et-marnais compris entre Provins, Bray-sur-Seine et Boissy-le-Châtel, une trentaine je pense. La fidélité de certaines communes ont donné lieu à des rendez-vous rituels. Lieu de prédilection du festival, le kiosque d’Everly, est la scène ouverte où chaque année des amateurs ou « jeunes pousses » se produisent dans un état d’esprit bienveillant, festif, généreux, varié. Chaque année à Paris, un événement de lancement ou de clôture du festival. Last but not least, l’ancrage territorial permet de développer des partenariats avec des hôpitaux, des résidences pour personnes en situation de handicap, pour toucher les publics empêchés dans leur quête d’art, de beauté et d’accompagner le développement de la sensibilité des élèves et collégiens lors d’ateliers pédagogiques.
CLASSIQUENEWS : Dans les éditions prochaines, que souhaitez-vous renforcer encore ?
LÉO MARILLIER : Chaque année la thématique peut accueillir plus de connections entre les œuvres, entre les arts, entre les interprètes et les créateurs. Je souhaite renforcer les passerelles, entre le savoir et le désir, entre l’écoute et la mémoire. La musique met le pèlerinage de l’âme à l’honneur. Schubert nous montre que quelqu’un qui marche en silence peut donner la plus belle musique. Je crois en ces images. Et je prévois pour la suite des thématiques plus éloignées en quelque sorte de l’idée que l’on se fait de la musique. Les dilemmes de la condition humaine : l’humour, la mort… Comme l’écrivait André Malraux : « La musique seule peut parler de la mort. »
Propos recueillis en avril 2025
présentation
LIRE aussi notre présentation du Festival INVENTIO 2025 / Les 10 ans : 29 avril, 5, 17 mai, 1er, 15, 22, 29 juin puis 7, 12, 20 septembre 2025. Léo Marillier, Alexia Ciciretti, Yuliko Hasegawa, Edmond Reuze, Orchestre Sur Mesure, Orlando Bass, Quatuor Kandinsky, La Badaude… https://www.classiquenews.com/seine-et-marne-paris-10eme-festival-inventio-a-suivre-29-avril-5-17-mai-1er-15-22-29-juin-puis-7-12-20-septembre-2025-leo-marillier-alexia-ciciretti-yuli/
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