jeudi 17 avril 2025

ENTRETIEN avec Léo MARILLIER, directeur artistique du Festival INVENTIO : 9ème édition, du 16 mai au 7 octobre 2024.

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Autour du « Geste », Léo Marillier, violoniste et directeur artistique du Festival INVENTIO questionne le sens et la direction de l’acte musical. La courbe, le mouvement, le geste… tout œuvre pendant l’expérience du concert à nous connecter les uns avec les autres, les œuvres avec le public, les artistes entre eux, la musique avec notre époque. A l’honneur pour cette 9ème édition du Festival INVENTIO, dans le 77, le GESTE inspire l’une des programmations les plus captivantes de ce printemps et jusqu’au 7 juillet ; avant sa reprise à l’automne du 15 sept au 7 octobre suivants. Musique de chambre, transcriptions faustéennes, concert spatialisé en déambulation, préalable ornitologique, « mini-randos guidées », formations insolites…., sans omettre les œuvres en création, signées de Léo Marillier soi-même (en complicité aussi avec le pianiste Orlando Bass). Inventio fait figure de festival expérimental qui ouvre de nouvelles expériences musicales. Enjeux, objectifs, perspectives d’un Festival hors normes qui souffle en 2024, ses déjà 9 printemps.
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CLASSIQUENEWS : Le geste musical est votre thématique générique : pour quelles raisons ? 

LÉO MARILLIER : Avec chaque édition du festival, je cherche à élargir l’horizon de la thématique, et je m’attache de plus en plus à ce qui relie les œuvres aux interprètes et au public, et les œuvres à leur époque et à la nôtre. Ce genre de flèche, de direction, c’est ce que j’appelle le ‘geste’: c’est ce qui fait d’une œuvre une expérience dynamique et vivante. Notion fortement ancrée dans la réalité du concert, et chaque concert du festival explore le geste sous un jour nouveau. Toute guidée par l’énergie dont la fonction, la mission, la création de mouvement, de pensée par le mouvement, d’émotion par le mouvement, la musique nous parle par courbes, illusions d’espace. Ne dit-on pas qu’une note est ‘haute’ ou ‘basse’ ? Que le tempo peut être ‘large’ ? Qu’un rythme puisse être ‘souple’, que le temps peut être ‘haché’ ? Qu’une liaison relie les notes grâce à un arc dessiné à même les partitions et l’imagination ? Qu’une phrase musicale finit ‘en hauteur’ ? Le geste musical s’exprime aussi dans sa dimension collective et concrète, idéalement partagée en musique de chambre où la communication, la communion des musiciens, toute silencieuse, pleine de sens, se livre au public par énigme ou sans fard – les deux ne s’excluant pas l’un l’autre -, lors de la performance.

Le magnifique jeune Quatuor Kandinsky, basé à Vienne, ouvrira cette 9ème édition avec deux exemples royaux de cet équilibre, de ce dialogue dansé, courtois, cet élancement vers l’équilibre, à la fois dans l’expression et dans le classicisme : l’avant-dernier quatuor de Haydn, et l’unique quatuor de Ravel. L’aventure du quatuor à cordes, l’une des rares formations non dirigées, relève le défi d’une musique souvent complexe, profonde, à la direction partagée, sans paroles … Alchimie du dialogue entre corps et musique mis en scène dans le spectacle vivant ; le ballet notamment sera au cœur du concert à quatre mains, donné par les pianistes Pierre-Marie Gasnier et Virgile Roche à travers l’interprétation de l’extraordinaire Péri de Paul Dukas. C’est un peu la danse des yeux, des bras sur le clavier ou la touche, qui sera le focus cette année à travers des œuvres qui incarnent et communiquent d’une manière particulière ce vivre-ensemble musical éthéré et pourtant si réel. En fait, la dimension de performance, de théâtralité, est omniprésente cette année, que ce soit dans l’entremêlée des quatre mains de la fantaisie de Schubert, l’écriture chorégraphique du ‘corps à corps’ de Georges Aperghis défendue par l’audacieux duo Gramma avec François Vallet aux percussions et Camille Coello à l’alto, ou les percutants Madrigaux respectivement joués à l’alto – Tess Joly – et au violon – le mien -, frère et sœur mêlés avec humour par Martinů. Quelques exemples parmi ceux qui célébreront le geste musical.

 

 

CLASSIQUENEWS : Y a-t-il dans cette nouvelle programmation des éléments nouveaux (formes de concerts, lieux, performances artistiques,…)? 

LÉO MARILLIER : L’ensemble baroque La Badaude présentera le 15 juin un superbe programme spatialisé dans le transept, le chœur à déambulatoire et les chapelles rayonnantes du Prieuré Saint-Ayoul, autour de l’obsession du folklore, pérégrination à travers l’Europe teintée d’ornementation, de nostalgie et voyage unique et subtil. Le duo Gramma, percussion et alto, présentera une expérience insolite de théâtre musical dans le parc du Château de Flamboin autour des “12 essais d’insolitude” de Jacques Rebotier, œuvre où le ludique se mêle à l’incongru, adossée à un programme parsemé de transcriptions. Le centenaire du premier manifeste du surréalisme est l’hommage caché rendu cette année par le festival, irriguant le concert du duo complice que nous formons, le pianiste et compositeur, Orlando Bass et moi-même ; comme une révérence à l’impulsivité, soit lascive, parfois violente, du geste sur la musique elle-même. Citons bien sûr la musique affranchie du duo concertant de Penderecki où la contrebasse de Will McClain Cravy et mon violon imitent la férocité d’un bras-le-corps verbal, Syrinx de Debussy, originellement mise en musique sur un texte de Pierre Louÿs, que le compositeur a développée jusqu’à libérer l’œuvre des mots, interprétée par le magnifique Ensemble Le Bateau ivre. C’est aussi le mystérieux ‘four hands’ de Morton Feldman, illustration de la tentation de l’analogie, où les mains parcourent un chemin de croix, digne d’En attendant Godot.

Invitant à aborder les concerts avec une ouverture sensorielle élargie, et tissant inattendus entre nature et musique, l’édition 2024 suggère aux festivaliers en guise d’avant-concert, la participation à des mini-randos guidées, explorant les ressources naturelles de cette seconde nature seine-et-marnaise située entre Provins, Bray-sur-Seine et Coulommiers. Notre partenariat avec la Réserve naturelle de la Bassée, la plus grande réserve naturelle d’Ile-de-France, nous permettra d’offrir le 1er juin avant le concert de Bray, une initiation à l’ornithologie à l’observatoire de Neuvry, une balade botanique sur le sentier de la Cocharde prenant départ dans le parc du Château de Flamboin lors de l’événement du 7 juillet … Partenariat aussi avec l’Office du Tourisme du Provinois pour une fascinante balade dans les souterrains de Provins. Soulignons le privilège de cette édition 2024 d’être accueillie dans deux lieux particulièrement remarquables, chargés de spiritualité et d’histoire : le domaine privé abritant l’Abbaye cistercienne de Preuilly, sera ouvert exceptionnellement au public pour le concert d’ouverture du 18 mai. Cinquième fille de Cîteaux, l’abbaye de Preuilly fondée en 1118, dispose d’exceptionnels et émouvants vestiges. Autre site contemporain du 11ème siècle, le Prieuré bénédictin Saint-Ayoul de Provins garantit un écrin tout à fait sublime et subjuguant à l’escale baroque du 15 juin. Pour la première fois cette année, nous incluons à l’itinéraire du Festival INVENTIO, la Chapelle de Lourps, qui livrera à la curiosité de l’auditoire du 8 juin, de magnifiques peintures murales du 13ème siècle et des frises uniques.

 

 

CLASSIQUENEWS : Y a-t-il de la même façon, des éléments et programmes qui prolongent ce que vous avez précédemment proposé et développé ? 

LÉO MARILLIER : La transcription reste au centre de mon désir de partager la musique : transcrire n’est-ce pas permettre à une œuvre de s’exprimer par d’autres gestes en choisissant de développer l’harmonie, la couleur, la virtuosité…
Nous poursuivons par ailleurs notre attachement aux programmes itinérants, traversant les époques, où le moderne se met à l’écoute du passé, où le répertoire classique ou romantique se frotte au contemporain. Faire cohabiter par exemple dans un même programme l’ultra-romantique Reger et Varèse le scientifique, ou bien Feldman et Schubert, sont sans nul doute des paris osés. Cependant, le caractère irrésistible du concert garantit la création de liens entre les pièces, des communions audacieuses, une intimité créatrice et fructueuse… Si l’expérience du concert est précieuse, c’est précisément parce que le public peut y suivre des pôles, des chemins novateurs entre les oeuvres.
Enfin, comme pour les autres éditions, c’est un événement cinématographique qui ouvrira et présentera le thème du festival : il s’agira de la projection commentée sur la fascinante figure de Sergiu Celibidache, à partir d’extraits du film de son jeune fils, cinéaste.

 

 

CLASSIQUENEWS : De quelle manière vous-même comme artiste et directeur de festival préservez-vous votre propre geste artistique ? 

LÉO MARILLIER : Mon péché mignon est de privilégier les programmes grand-écart en m’appuyant sur leur séquencement pour garder l’équilibre, la ligne. Le métissage des programmes est crucial, car je suis profondément convaincu qu’écouter une pièce classique et une pièce moderne requiert et surtout nourrit des parties de nos corps et de nos âmes bien différemment… Comme artiste, comme interprète, comme homme, la variété des expériences permet d’embrasser autant d’émotions, et de gestes. Je garde grande ouverte la porte à l’inconnu, pour apprendre, pour grandir, pour changer… Les répertoires différents requièrent en écho une approche dissemblable sur un plan purement corporel – danse, calcul – cette physique de la musique est pour moi le point d’accroche guidant ma pratique d’interprète, de compositeur.

 

 

 

Léo Marillier © DR

 

CLASSIQUENEWS : Quelles sont les créations ou les programmes inédits, à l’affiche du Festival INVENTIO 2024? 

LÉO MARILLIER :« Double-fil » : Création bicéphale 2024 pour violon et piano, signée du pianiste et compositeur, Orlando Bass et de moi-même. Elle est le fruit d’un cadavre exquis, journalier et rigoureux, exaltant et grisant, composé tout au long du mois d’avril, et facétie des circonstances, selon des fuseaux horaires en vrac : Orlando Bass en Europe et moi en tournée en Asie. Hommage non dissimulé au surréalisme et aux expériences d’écriture à contrainte de l’OuLiPo pour le centenaire du Manifeste du surréalisme. Hommage aux joies et aux vertus de la collaboration dans la création. Composer est d’habitude une activité solitaire en très grande partie ; partager la fantaisie et la rigueur d’un autre est un échange rare et je remercie du fond du cœur Orlando Bass pour ce cadeau. Quel bonheur ! C’est aussi un immense honneur de présenter la pièce de Georges Aperghis, ‘corps à corps’, l’un des créateurs les plus originaux, enivrants et saisissants de notre époque, dans le programme du duo Gramma. On est au plus proche de la chair de la musique et au cœur de l’histoire d’amour entre l’homme et le son avec l’univers des percussions dont le corps s’adapte à l’instrument selon une fascinante chorégraphie. Jean-Baptiste Haye me fera le grand plaisir de créer ma première composition pour harpe : pièces d’Orphée, qui s’inspire d’une partie obscure du mythe d’Orphée, reprise dans ces rituels grecs qui ont coïncidé avec la naissance de la musique instrumentale : le démembrement du Dieu. À travers un langage simple, et à l’écoute de la parole archaïque qui se dégage de la harpe, je souhaite dresser un thrène, un court poème musical. La simplicité de ton, et l’évocation mélancolique irriguent la trop rarement jouée et si belle sonate pour alto seul de György Ligeti…

Tout autant de manières de dire que la musique vient de la main portant la plume, guidée par le cœur, passe par le corps entier de l’interprète. Revenant vers le cœur par l’oreille : cet étrange ballet s’appelle geste. L’intimité de la scène est tout entière est dans cet alliage. Ce geste, il est tourné vers le public ; à lui de le reprendre, le faire grandir, et résonner. … c’est le partage magique du concert. Alors, à bientôt !

Propos recueillis en avril 2024

 

 

 

Agenda

9è festival INVENTIO, du 16 mai au 7 octobre 2024 – LIRE notre présentation, temps forts, enjeux du Festival INVENTIO 2024 : https://www.classiquenews.com/77-9e-festival-inventio-leo-marillier-du-geste-a-la-musique-les-16-mai-1er-8-15-30-juin-7-juillet-2024-14-28-sept-puis-7-oct-2024/

 

 

 

 

(77) 9ème FESTIVAL INVENTIO. Léo Marillier : « Du geste à la musique », les 16 mai, 1er, 8, 15, 30 juin, 7 juillet 2024 / 14, 28 sept puis 7 oct 2024

 

 

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