Entretien avec
Max Emmanuel Cencic, contre ténor
Actualité riche pour le contre-ténor Max Emmanuel Cencic. A 31 ans, l’interprète haendélien s’engage pour la vocalità baroque romaine du Seicento (XVII ème siècle) comme il dérange nos habitudes lyriques… Il participe à la production événement de la scène baroque, Il Sant’Alessio de Stefano Landi, prochainement en escale au Théâtre des Champs elysées à Paris (21, 23 et 24 novembre 2007 mais en tournée européenne jusqu’au 16 février 2008), dans la rôle de Sposa., avant de chanter Rossini à Paris touours sur la scène de Gaveau, le 12 décembre prochain. Car le chanteur ose l’impensable pour son premier disque édité chez Virgin Classics: aborder les rôles masculins, d’habitude chanté par des altos ou des mezzo féminins, des opéras de Rossini. Max Emmanuel Cencic souhaiterait-il bouscouler la tradition vocale et inaugurer de nouvelles règles lyriques, en particulier sur la scène rossinienne? Entretien.
Quel a été l’objectif de votre premier récital discographique édité chez Virgin Classics, et dédié aux personnages rossiniens?
Il s’agissait surtout de trouver le style juste, sans maquillage. Après la période baroque et classique, avant le romantisme d’un Schubert chez lequel l’expression recherche l’intime et l’intériorité sur un mode très simple, Rossini fusionne idéalement la vocalità virtuose et l’émotion. J’ai souhaité démontrer que la voix de haute-contre se prête idéalement aux personnages rossiniens. Il s’agissait de renouer avec la tradition antérieure à l’essor des sopranos, quand les castrats chantaient les opéras de Rossini. J’ai d’abord choisi les airs en fonction de leur adéquation à ma tessiture et ma voix. Je suis mezzo-soprano coloratoure. L’album met en lumière l’expressivité dramatique des airs. Notre travail s’est concentré sur la pensée de chaque personnage et les couleurs émotionnelles de chaque air. Velluti a été comme une figure inspiratrice. Il fut le seul castrat rossinien, admiré par Stendhal et aussi Meyerbeer. Après lui, les sopranos se sont emparées des rôles masculins de Rossini, en particulier Giuditta Pasta.
Vous allez bientôt chanter à Paris, Sposa dans l’opéra sacré de Stefano Landi, aux côtés de Philippe Jaroussky et sous la direction de William Christie. Quels enseignements tirez-vous de cette production et quels sont les caractères du rôle de Sposa?
Le rôle de Sposa au moment de sa création à Rome a été chanté par le castrat Pasqualino, qui était célèbre et adulé, en particulier en France. Il s’agit d’un rôle intense qui fidèle à l’esthétique de la Contre-Réforme romaine se concentre sur l’articulation du texte. D’ailleurs, la notion de geste et d’action est aussi primordiale que celle du chant. En cela, le travail avec Benjamin Lazar et William Christie a été révélateur. Participer à la production de Sant’Alessio concrétise un rêve pour moi. Adolescent, j’écoutais en particulier le Combat de Tancrède et Clorinde que William Christie a enregistré avec le testo de Nicolas Rivencq. Pour moi, il s’agit de faire aussi bien aujourd’hui. Sposa est un personnage habité par l’amour pour son époux Alessio. Elle reste du début à la fin comme admirative du destin de son mari.
Quels sont projets et vos prises de rôles dans les mois à venir?
J’aimerai poursuivre l’aventure rossinienne. Je serai très heureux que le programme de l’album Virgin Classics soit prolongé par un engagement scénique. Mais cela dépend surtout des directeurs de théâtre tant il est vrai que l’habitude aujourd’hui reste de distribuer les opéras de Rossini aux sopranos pour les rôles féminins, aux altos et mezzo sopranos féminins pour les caractères masculins. Ecouter ici un contre-ténor bouscoule encore les oreilles. Pour l’heure, je vais aborder surtout les personnages haendéliens: Teseo en 2009 à Stuttgart. C’est un opéra captivant parce qu’il est inspiré de Racine. Son livret a en cela un caractère particulier qui me touche. Je chanterai Ottone à Bordeaux en 2008 sous la baguette de Rinaldo Alessandrini (après avoir chanté auparavant à Bâle le personnage de Nerone)… comme j’aimerai aussi aborder Serse…
Agenda de Max Emmanuel Cencic
Récital solo: Mozart/Rossini: airs pour les derniers castrats. Paris, Salle Gaveau, le 12 décembre 2007 à 20h30
Il Sant’Alessio de Landi. Sposa. Jusqu’en février 2008
Giulio Cesare de Haendel. Sesto. Ottavio Dantone. Lausane. Avril 2008
La Fida Ninfa de Vivaldi. Osmino. Jean Christophe Spinosi. Toulouse, La Halle aux grains. 7 mai 2008
CD
Lire aussi notre critique du cd Rossini: Arias par Emmanuel Cencic (Virgin Classics). Une vocalità à part: le timbre du contre-ténor, Max Emmanuel Cencic
gagne année après année en profondeur, en incarnation, en gravité. La
technique reste remarquable (cf. les deux airs de Malcolm dans La Donna del Lago)
et permet à l’interprète de relever de nouveaux défis, comme celui
apparemment insensé de chanter les airs héroïques de Rossini, hier
arborés avec éclat et agilité par Horne, aujourd’hui Kasarova. Mais à
ses consoeurs, le contre-ténor ajoute une touche personnelle, celle
d’un grain spécifique, qui souligne cette impression de dignité
blessée, d’hypersensibilité, magnifiquement « couverte » par une couleur
soyeuse, tissée dans le velours le plus tendre (les deux airs d’Arsace
de Semiramide). A contrario d’un Jaroussky qui tend à un
angélisme quasi sans caractère, presque passe-partout (ce qui n’ôte en
rien son immense talent), Cencic s’impose par l’affirmation d’un
tempérament et d’une identité parfaitement assumée, corsée, épicée,
engagée.
Lire aussi notre portrait de Max Emmanuel Cencic
Crédit photographique: Max Emmanuel Cencic © Robert Recker / Virgin Classics 2007
