Aux côtés de Jordi Savall, son époux, Monserrat Figueras exhume plusieurs siècles de musique composée par des femmes poétesses ou prophètes, aujourd’hui oubliées. Pourtant ce sont des chants qui parlent au coeur autant qu’à l’esprit dont l’actualité des thèmes n’a jamais été ausi aiguë. Voyage en pays de lumière, où les ténèbres ne sont jamais loin, à l’occasion de la sortie de son album « Lux Feminae »…
Quel est le sujet de votre nouvel album ?
« Lux Feminae » est un hommage à la lumière de la femme car évidemment elle n’a pas pu toujours briller. « Lux Feminae » part de sept aspects de la femme de l’ancienne Hespérie entre le Moyen-Age et la Renaissance. C’est une agora musicale, un espace où, à partir de la musique, est évoquée la féminité : son message, sa force, sa souffrance, sa joie, sa sacralité, sa lumière.
Nous abordons plusieurs poésies et musiques écrites par des femmes artistes, du Xème au XVIème siècle, dans la Péninsule Ibérique et dont le rayonnement des idées s’est propagé dans le bassin méditerranéen. Il s’agit de femmes de lumière, savantes, érudites, philosophes, pleines de sagesse qui offrent un regard sur la vie et la signification de l’existence.
Y en a-t-il qui vous ont particulièrement marquée ?
Oui, par exemple, les trobairitz, cette génération de poétesses qui viennent de l’Occitanie et du Nord de la Catalogne, qui incarnent l’idéal de la « Femina Nova » et représentent l’éthique de l’amour courtois « les fins amors » où l’on chante l’amour impossible. Avec Beatritz de Dia, Clara d’Anduza, Azalaïs de Porcairages…
Il y a aussi les princesses d’Al-Andalus comme Um al-Kiram, Walada et des esclaves anonymes, elles évoquent aussi en poésie les formes d’un amour courtois raffiné et extrêmement pur : l’amour Udri des arabes.
J’aime aussi beaucoup l’expérience mystique de Sainte Thérèse de Jésus, « femme de lumière » par excellence de la Renaissance espagnole. Nous interprétons en musique l’un de ses poèmes où son âme s’exprime avec passion et sans artifice.
D’autres femmes demeurent hélas anonymes car elles n’ont pas pu signer leurs poésies, c’est le cas pour le villancico féminin anonyme du Siglo de Oro où la femme exprime un riche éventail de symbologies et de métaphores.
Quel est leur message ? A-t-il une résonance aujourd’hui ?
Leur message est ancestral et même à l’origine de la connaissance ou comme dans les Berceuses, nous sommes devant la mère qui reconnaît la caresse qui est en elle depuis des siècles, et qui réunit la parole et la voix du cœur pour endormir son enfant.
Au travers les textes de la Sibylle, se dessine la figure archétypale de Magna Mater, Isis, Déméter… qui sont présentes à l’origine des cultes primordiaux dans la Grèce Antique.
L’oracle de la Sibylle proclame le message de la venue du Messie, il évoque l’Apocalypse.
Aux sens de sagesse et de mysticisme de la Sibylle, vient s’en ajouter un autre profondément actuel : le sens écologique. Son message est dramatiquement présent puisqu’il nous parle d’une nature qui disparaît, de la douleur et de la menace qui pèsent sur la vie de la terre.
Et dans le chant ainsi que dans le geste interprétatif qu’avez-vous souhaité exprimer ?
J’ai privilégié le ton intimiste comme un instant de silence et de musique pour instaurer un rapport de proximité avec l’auditeur. C’est une description d’un délicat espace intramuros d’un jardin intérieur au centre duquel se trouvent l’âme, la lumière, la joie, la tristesse, la beauté.
La plupart des textes ont une beauté cachée, et même secrète dont les références doivent être décryptées à la lumière de la connaissance de l’époque. Par exemple, lorsqu’un texte parle d’une « rose sans épines », il fait clairement allusion à la Vierge, Mère divine, sans désirs, nette, transparente, sans ombre.
Il y a beaucoup de textes s’inspirant ou faisant référence au Cantique des Cantiques et présentent dans ce sens, de nombreux niveaux de lecture. Leur caractère méditatif n’empêche pas non plus la violence de certaines évocations, comme le Planh médiéval chanté par Estelina, cette femme juive convertie de Gérone, condamnée par le tribunal de l’Inquisition qui la soupçonne de fausse conversion, ou la saeta ancienne originaire de Syrie, ce chant émouvant qui est le dard qui cherche l’infini ou l’âme s’envole vers l’inaccessible, vers la lumière.
Propos recueillis par Alexandre Pham
Montserrat Figueras, Lux Feminae (1 cd Alia Vox)
Montserrat Figueras en concert
Paris, cité de la musique, domaine privé, du 27 mai au 4 juin
Festival Alia Vox, Abbaye de Fontfroide, du 10 au 13 août (Narbonne).
Jordi Savall, viole de gambe et direction. Montserrat Figueras, soprano. Le Concert des Nations, La Capella Reial de Catalunya, Hespèrion XXI.
Vente à partir du 10 mai 2006, à l’Abbaye ou: [email protected] – 04 68 45 00 18. Site : http://www.fontfroide.com