mardi 2 juillet 2024

ENTRETIEN avec Richard BRUNEL, directeur de l’Opéra national de Lyon, à propos de la nouvelle saison 2024 – 2025.

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Avec ses 9 productions annuelles pour sa nouvelle saison 2024 – 2025, l’Opéra national de Lyon fait figure de maison exceptionnellement dynamique, d’autant plus dans notre période de disette budgétaire et d’économie à tous les échelons. Or ici, la créativité, les coproductions, le renouvellement des formes et propositions de spectacle, la proximité avec les nouvelles générations artistiques, une exigence constante permettent l’affirmation d’un projet global moteur qui a trouvé ses publics et est en capacité de les fidéliser. Richard Brunel, directeur général et artistique présente les enjeux et le sens de sa nouvelle saison 2024-2025, identifie les défis futurs et donc les moyens pour les relever, dresse des voies de réflexions et d’actions concrètes, dévoile la cohésion de sa programmation lyrique (entre autres) où brille le destin fascinant de ces antihéros qui par leur engagement et leur résilience font de l’opéra, un formidable miroir de notre société…

 

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CLASSIQUENEWS : Si nous suivons votre réflexion et votre travail comme metteur en scène sur les femmes que la société a rendues « invisibles » (depuis Otages créé en mars dernier), quelle sera votre prochaine réalisation dans cette optique ? Quelles sont les productions de la nouvelle saison 2024-2025 qui s’inscrivent dans ce sillon ?

RICHARD BRUNEL : Il y a évidemment L’Affaire Makropoulos (14-24 juin 2024), la prochaine production que je mets en scène à l’Opéra de Lyon, car je suis passionné par les figures féminines à qui j’ai donné la première place dans mon itinéraire de metteur en scène d’opéra. Je vois en Elina Makropoulos non pas une star glacée, surpuissante, une idole inaccessible, mais une femme terriblement seule ; une femme qui éveille malgré elle le désir sans le ressentir ; une femme obsédée par le but unique d’assurer l’immortalité de sa voix. Mon projet est de mettre face à face deux cantatrices : Elina Makropoulos dont le chant s’est épanoui au cours des siècles, d’identité en identité, et la jeune Krista qui commence juste sa carrière et qui doute de son talent. L’opéra, dans cette mise en scène, montrera l’évolution de cette relation, depuis l’écart vertigineux entre la diva et la débutante jusqu’au consentement de la première à mourir : c’est à travers l’épanouissement de Krista qu’Elina, passant la main, atteint à une éternité véritable.
La nouvelle saison 2024-2025 de l’Opéra de Lyon quant à elle propose d’autres portraits de personnages solitaires ou abandonnés d’une absolue dignité : je pense à Wozzeck que je mettrai en scène ; je pense aussi aux femmes de 7 minuti, l’opéra de Giorgio Battistelli ; au personnage de Peter Grimes, à celui de Cio-Cio San dans Madame Butterfly qui est une victime bouleversante dans ce sens… Photo Richard Brunel © JL Fernandez

 

CLASSIQUENEWS : Face à la situation des maisons d’opéra en France, pour atténuer les effets d’une véritable crise de fonctionnement et de moyens, quels seraient les défis à relever en priorité ?

RICHARD BRUNEL : Il me semble qu’il y a trois pistes, trois types de réponses à apporter face à ces difficultés structurelles.

COPRODUCTIONS… Il est vrai qu’avec des budgets qui s’érodent chaque année, des financements publics qui n’augmentent plus et une subvention qui stagne – ce qui veut dire que, mécaniquement, elle baisse –, il nous appartient d’être inventifs et de plus en plus créatifs en terme de budget, de ressources « extrabudgétaires ». Il nous faut davantage développer les coopérations en particulier à l’international. La saison prochaine, nous travaillons avec de nombreuses institutions hexagonales, comme le Festival d’Aix-en-Provence et l’Opéra national de Lorraine, et à l’international avec les opéras de Madrid, Stockholm, Tokyo, Berlin et Vienne. Il est de plus en plus nécessaire de favoriser les coproductions. D’abord cela permet de faire baisser les coûts de production car nous sommes plusieurs partenaires sur une même nouvelle production. Et ces spectacles coproduits, en multipliant le nombre de représentations sur plusieurs lieux, rencontrent un public plus large et plus divers.

REPRISES. D’autres pistes sont intéressantes du point de vue du coût de la production : il est vertueux par exemple de recycler des productions qui ont déjà leurs décors et leurs costumes. Et sur ce point, il y a de nombreux spectacles qui n’ont pas été vus, dans de multiples lieux en France, et qui mériteraient d’être repris. D’une façon générale, nous cherchons donc à équilibrer cette part de « recyclage » et celle des nouvelles productions. Car, dans le même temps, il faut aussi que nos ateliers de décors et costumes puissent poursuivre l’excellence de leur savoir-faire.

MÉCÉNAT. Le mécénat est un levier essentiel aujourd’hui. Par exemple à l’Opéra de Lyon, nous avons depuis peu un mécène qui accompagne les jeunes chanteurs et chanteuses de notre studio. C’est une source de nouveaux moyens et cela favorise l’intégration des jeunes solistes dans la programmation.
La plupart des mécènes sont très sensibles au projet artistique dans ses contenus, à notre engagement sociétal et citoyen, nos actions sur le territoire, l’Opéra itinérant par exemple, le fait de favoriser partout le partage vers le plus grand nombre et auprès de publics très différents. L’action culturelle, la volonté d’accessibilité, les ateliers et tant d’autres opérations font sens. Cet esprit d’ouverture, de dialogue et de rayonnement est vecteur d’adhésion.

 

Saison lyrique 2024 – 2025

Opéra national de Lyon
Une nouvelle saison inclusive, généreuse, diverse, ouverte

 

Richard Brunel, directeur de l’Opéra de Lyon © JL Fernandez

 

CLASSIQUENEWS : Quelle est la place des créations et des nouvelles productions au sein de la nouvelle saison 2024-2025 ?

RICHARD BRUNEL : Sur les 9 opéras à l’affiche, il y a quasiment trois créations : deux créations proprement dites et la reprise d’une partition créée il y a peu, en 2018.
La première création, L’Avenir nous le dira, est une pièce composée par Diana Soh pour la Maîtrise de l’Opéra de Lyon. On y suit des enfants qui se retrouvent seuls, livrés à eux-mêmes : ils doivent se prendre en main, assumer leur destin, agir pour leur survie et donc se confronter aux défis actuels comme les turbulences du climat.
Ensuite Le Sang du glacier, composé par Claire-Mélanie Sinnhuber, est un conte fantastique sur la contamination de l’eau et la fonte des glaciers.
Enfin, 7 Minuti / Sept minutes de Giorgio Battistelli s’inspire du destin des ouvrières de l’entreprise textile Lejaby en Haute-Loire : elles prennent en main leur destinée et se révoltent contre la potentielle fermeture de leur usine.
Tout cela construit un cycle d’ouvrages engagés avec notamment deux compositrices, deux autrices de livret et trois metteuses en scène ; ces œuvres posent des questions de société liées à l’environnement, à l’économie et aux conditions de travail, à la démocratie, avec en particulier le cas d’enfants responsabilisés, confrontés à la réalité du monde.

Les nouvelles productions d’œuvres du répertoire questionnent de la même façon notre société actuelle : Wozzeck interroge la place de l’humain dans la société ; Così fan tutte évoque les nouvelles conceptions des relations amoureuses, en particulier « l’amour fluide » ; Peter Grimes épingle la xénophobie et l’homophobie ; le Turc en Italie cache, sous des airs de franche comédie, des interrogations réelles sur le couple et sur les sentiments, ce dont Laurent Pelly s’empare avec humour par le biais du roman-photo ; enfin Madame Butterfly aborde la question politique du rapport de l’Occident colonialiste au reste du monde. En fait, l’opéra dispose de cette faculté à souligner les sujets qui font toujours débat aujourd’hui.

 

CLASSIQUENEWS : La page du covid est-elle définitivement tournée ? Avez-vous remarqué un changement de comportement de la part du public ?

RICHARD BRUNEL : Oui le covid est derrière nous. Les taux de remplissage sont élevés ; les abonnés ne représentent que 20% des spectateurs et spectatrices, c’est à dire que 80% réagissent à la dernière minute. 85% sont des résidents de la région ; et 73% viennent une seule fois pendant la saison (!) ; il y a donc dans nos salles une très grande diversité de publics…

 

CLASSIQUENEWS : Êtes-vous soucieux des nouvelles formes de spectacles ? Et lesquelles ?

RICHARD BRUNEL : Oui, disons que je souhaite surtout être le trait d’union entre des artistes de la nouvelle génération qui ne connaissent pas ou peu l’opéra et qui souhaitent s’y impliquer, s’y aventurer, et ceux ou celles qui en ont une grande expérience et qui ont une reconnaissance internationale. La diversité des esthétiques est résolument un enjeu du programme de l’Opéra de Lyon, que ce soit pour des formes lyriques ou chorégraphiques, des concerts dits « classiques » ou des concerts de l’Opéra Underground.

 

CLASSIQUENEWS : Y a-t-il des artistes ou des ensembles qui sont depuis des années comme les ambassadeurs familiers de votre projet artistique dans sa globalité ? Lesquels et pourquoi ?

RICHARD BRUNEL : Côté lyrique, il y a ceux et celles qui sont connus internationalement et, pour autant, qui n’ont pas encore présenté leur travail à Lyon : je pense à Christof Loy, Andrea Breth, Marie-Ève Signeyrole ou encore Calixto Bieto.
Et puis je pourrais aussi parler de Laurent Pelly, un habitué de l’Opéra de Lyon : il y a présenté un nombre important de productions lyriques ; les équipes et les artistes du Chœur apprécient beaucoup son sens de l’humour et sa sensibilité.
Et enfin, il y a la nouvelle génération française, Alice Laloy, Pauline Bayle, Angélique Clairand, et européenne avec notamment Ersan Mondtag.
Coté chorégraphique, nous accueillons les œuvres des figures incontournables du XXe siècle, Jiří Kylián, Merce Cunningham, Lucinda Childs, ainsi que celles de la nouvelle génération avec Jan Martens, Christos Papadopoulos, Noé Soulier… et d’autres bien sûr comme Nacera Belaza ou Ohad Naharin.

 

CLASSIQUENEWS : Pour conclure, quels sont les marqueurs de la nouvelle saison 2024-2025 de l’Opéra de Lyon ?

RICHARD BRUNEL : Sa diversité, son ouverture. Notre nouvelle saison se veut la plus inclusive possible, en impliquant l’Opéra dans la société. La rue s’invite dans nos murs : par exemple avec le spectacle de danse Skatepark, en collaboration avec les Nuits de Fourvière, la chorégraphe danoise Mette Ingvartsen fait entrer le skate à l’Opéra de Lyon, avec un spectacle célébrant l’énergie, la vitesse, les rencontres. Nous développons aussi des séances relax à destination de tous les publics, ainsi qu’un partenariat avec les Hospices Civils de Lyon, dédié aux patients et patientes, pour des ateliers de pratique artistique et des rediffusions filmées de nos spectacles.
Je pourrais aussi parler de la joyeuse électricité dans les concerts de notre Orchestre avec notre directeur musical Daniele Rustioni qui électrise littéralement les publics. Sont très attendus également les récitals des jeunes solistes du Lyon Opéra Studio, au cœur de notre volonté de transmission et de formation, comme notre collaboration avec Piano à Lyon et les concerts de l’Opéra Underground qui proposent des découvertes toujours originales sans catégorie de musique ni de hiérarchie. Ce sont des moments importants, qui réunissent une belle diversité de public.
Sans parler de notre présence à Lyon, dans la métropole, dans la région. Je le dis souvent, 27% de notre public a moins de 29 ans. C’est un signe pour notre Opéra. Je me souviens de Jean Dasté, le fondateur de la Comédie de Saint-Étienne, pendant mes études d’acteur à l’École de la Comédie. Il était très âgé et disait aux jeunes gens que nous étions : « il faut avoir l’ambition d’avoir la ville entière comme public ». Nous revendiquons cette ouverture totale, et la porosité de notre maison avec la société. L’Opéra en est le prolongement et le miroir.

Propos recueillis en avril 2024

 

 

Découvrez la nouvelle saison 2024 -2025 de l’Opéra national de Lyon, ici :

https://www.opera-lyon.com/

 

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