En janvier 2007, le label Glossa fait paraître en cd l’opéra « Callirhoé » de Destouches, un ouvrage méconnu d’un compositeur à redécouvrir. A l’occasion de la paurtion de l’enregistrement, dirigé par Hervé Niquet, nous avons rencontré Benoît Dratwicki, responsable de la programmation artistique du Centre de musique baroque de Versailles, qui a apporté son concours à l’exhumation de la partition. Eclaircissements sur l’œuvre, l’auteur, leur contexte.
L’opéra Callirhoé s’inscrit-il dans une tradition musicale, laquelle ?
Callirhoé, composé par Destouches en 1712, s’inscrit complètement dans la « deuxième génération » de l’opéra français, celle due à la plume des Desmarest, Campra, Colasse, Destouches, Marais. C’est la génération que l’on considère souvent simplement comme « l’entre-Lully-et-Rameau », génération qui n’aurait était qu’une transition sans apport saillant dans le domaine du théâtre lyrique. C’est bien sûr faux ! certes, tous ces compositeurs – à commencer par Destouches – ont Lully dans l’oreille. C’est le maître, la référence… mais pourtant chacun va développer à partir de ce modèle un style propre. Campra sera plutôt « décoratif » avec un réel talent pour composer les divertissements, les « ariettes », les ballets ; Desmarest sera plutôt « tragique » avec de grands récitatifs accompagnés, très développés et très dramatiques ; Marais sera plutôt « symphonique » avec des tempêtes, des tremblements de terre, des chaconnes démesurées… Destouches, lui, sera plutôt « mélodiste » avec un récitatif toujours chantant, un goût pour la belle mélodie, à la fois simple et touchante, une certaine immédiateté du discours…
En quoi l’ouvrage méritait-il d’être enregistré ? Apporte-t-il un éclairage particulier sur le style de Destouches ?
Parmi la dizaine d’opéras de Destouches, Callirhoé est un cas à part : c’est le livret le plus fort, le plus dramatique que le compositeur ait mis en musique. Et, dans Callirhoé, le poème et la musique fusionnent totalement pour obtenir – tout au long des cinq actes – une intensité très soutenue. A ce titre, le dernier acte est époustouflant : il dure quelques minutes seulement. Les trois rôles principaux sont confrontés une dernière fois avec, pour les soutenir, le seul continuo. L’un des trois met fin à sa vie brutalement, et l’opéra s’achève sur ses derniers mots, sans commentaire, sans page instrumentale, sans ballet… Il n’y a ici aucun des divertissements « obligés » dans l’opéra à cette époque. C’est neuf, saisissant, déjà un peu « romantique » avant l’heure…
Enregistrer Callirhoé est une grande première… tout simplement parce qu’aucun des opéras de Destouches n’a à ce jour été ni joué, ni enregistré. Le premier mérite de ce disque est donc – déjà – de rendre accessible la musique de l’un des maîtres de l’opéra français baroque. Tout le monde connaissait son nom, personne ne connaissait sa musique. Ce sera désormais possible, en espérant que Callirhoé ne soit qu’une première pierre. Car Omphale, Issé, Amadis de Grèce, Marthésie… et tant d’autres attendent encore leur tour !
Que savons-nous de Destouches exactement et qu’a-t-il apporté à la musique ?
De Destouches, on connaît la jeunesse originale (il était Mousquetaire du Roi avant de se mettre à la composition !) et la carrière exemplaire : il sera Surintendant de la Musique de la Chambre du Roi et directeur de l’Académie royale de Musique. Sur les pas de Lully, il occupera donc les deux postes les plus en vue du monde musical de l’époque. Et puis, on sait le succès qui accueillit certains de ses opéras, Omphale et Issé notamment, qui seront repris tout au long du XVIIIe siècle, à côté des ouvrages de Lully et de Rameau. Par contre, pour ce qui est de sa musique, peu de monde peut prétendre bien cerner le style et l’art de Destouches. Tout est encore en friche de ce côté-là ! Et quand on a écouté Callirhoé, on imagine de belles surprises en perspective…
Savoir ce que Destouches a véritablement apporté à la musique est plus difficile. Sans doute pas autant que Lully, Rameau ou Gluck, c’est certain. Il n’est pas un novateur. Disons plutôt qu’il sait faire son miel des innovations des autres et rester très personnel en se fondant dans la « manière » d’une époque. Ce qui est sûr par contre, c’est qu’il a un véritable sens du théâtre. Sa musique va droit au but, sans développements excessifs, sans décoration superflue. Callirhoé en est la preuve irréfutable !
Avez-vous d’autres projets discographiques ? Lesquels ?
Des projets, ce n’est pas ça qui manque ! Il ne faut pas se leurrer : le répertoire d’opéras français des XVIIe et XVIIIe siècles totalise plus d’un demi millier d’ouvrages. Aujourd’hui, on n’en connaît même pas trente ! Il y a donc de quoi faire pour ceux qui aiment cette période. Bien sûr, tout n’est pas génial, mais il y a encore beaucoup de perles à découvrir. Le Centre de Musique Baroque s’y emploie depuis 20 ans avec les artistes les plus talentueux et assez curieux pour se lancer dans ce genre d’aventure. Car c’est un véritable challenge. Hervé Niquet est de ceux-là et rien ne lui fait peur ! Après Callirhoé de Destouches, Proserpine de Lully et Sémélé de Marin Marais sont annoncées chez Glossa (deux opéras inédits montés dans la saison 2006 du Centre). Lully-Marais-Destouches : trois jalons essentiels dans l’histoire de la tragédie lyrique. Pour la suite, soyez sûrs que le Centre de Musique Baroque de Versailles et Le Concert Spirituel ne manquent ni d’idées, ni d’enthousiasme, ni d’audace !
Propos recueillis par Alexandre Pham
Illustration
Portrait d’André Cardinal Destouches (DR)