mardi 22 avril 2025

Ernest Ansermet (1883-1969), chef d’orchestrePortrait subjectif (1)

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Ernest Ansermet

(1883-1969)
Portrait subjectif du chef d’orchestre né à Vevey, mort à Genève, fondateur de l’Orchestre de la Suisse Romande, et son directeur, de 1918 à 1967.

20 février 1969 : Ansermet décède. Le 18 décembre de l’année précédente, il a donné son dernier concert au cours duquel se manifestent les symptômes du mal qui va l’emporter quelques semaines plus tard. Ses obsèques sont celles d’un héros national. Ansermet a été l’initiateur le plus important de la vie culturelle de son pays pendant plus de cinquante ans. Homme d’une grande culture et à l’esprit acéré, artiste musicien, d’une curiosité infatigable, Ernest Ansermet a été aussi l’un des acteurs les plus importants du marché du disque. Il est sans doute de ceux avec Herbert von Karajan et Antal Dorati qui ont gravé le plus de microsillons. Decca a fait d’Ansermet, l’une des figures de proue de son catalogue. Ses enregistrements ont eu un succès considérable. Ansermet, en effet, était un gage de qualité, d’excellence interprétative dans la musique moderne (Debussy, Ravel, Falla, Stravinsky, Honegger, Frank Martin) et de nombreux mélomanes, en Europe, au Japon et aux Etats-Unis, admiraient aussi ses interprétations des classiques (Haydn, Mozart, Beethoven) et romantiques (Brahms, Schumann, Mendelssohn,…). Au début des années 1980, à l’apparition du CD, les premières rééditions du label Decca sont d’une part le célèbre Chant de la Terre par Bruno Walter (avec Kathleen Ferrier et Julius Patzak), d’autre part un disque Debussy/Ravel par Ansermet. Le directeur de l’Orchestre de la Suisse Romande était une légende, l’est encore dans les années 1980. De nouvelles générations de mélomanes allaient encore vivre avec ces enregistrements ; ils en ont été durablement imprégnés.
Janvier 2007 : Decca publie un coffret de six CD, où figurent de rares témoignages du chef suisse, parfois même inédits en CD. On lit ici ou là des articles parfois durs à son encontre. Ansermet pourrait connaître le sort d’un Kempff il y a quelques années, celui de Karajan, actuellement. L’art d’Ansermet nous parle-t-il encore aujourd’hui ? Voici un « petit » portrait, lucide et admiratif.


Première Partie

Ernest Ansermet et l’Orchestre de la Suisse Romande (Genève)

Une relation unique dans l’histoire de l’interprétation au XXème siècle

Des débuts du chef Ernest Ansermet à la naissance de l’Orchestre de la Suisse Romande
Ernest Ansermet se fait connaître comme chef d’orchestre dès le début des années 1910, à Lausanne. Ses premiers concerts sont de véritables succès, presque inespérés. Tout le monde lui reconnaît de vraies qualités pour animer une œuvre musicale. En 1912, il obtient le poste de chef de l’Orchestre du Kursaal de Montreux, à la suite de Francisco de Lacerda, malade, avec qui il s’était lié intimement quelques mois auparavant et dont il a suivi régulièrement et très attentivement les répétitions. La nomination du jeune Ansermet à Montreux n’est due cependant qu’à son seul talent, reconnu lors d’une audition. Suivent d’autres succès qui le font rapidement connaître à Genève, où, en 1915, il vient diriger pour la première fois un concert d’où la critique ressort médusée. Dès lors, Ansermet n’est plus un chef comme les autres. Ses programmes très originaux, où la musique française contemporaine (Debussy, Ravel,…) et la musique russe (Rimsky-Korsakov, Borodine et déjà Stravinsky !) acquièrent une place inhabituelle, relativement pionnière en réalité, attirent l’attention de Stravinsky lui-même. Celui-ci recommande alors le jeune chef au célèbre directeur des Ballets Russes, Serge de Diaghilev, qui est à la recherche d’un nouveau musicien pour remplacer Pierre Monteux, parti à la guerre. Diaghilev se déplace à Genève pour entendre Ansermet. Très impressionné, il décide de le prendre immédiatement avec lui.
A la même époque, la ville de Genève devait aussi trouver un nouveau directeur musical pour son orchestre. Apprenant la récente nomination d’Ansermet aux Ballets Russes, Genève décide de le placer à la tête de l’orchestre, après bien pourtant des hésitations au cours des semaines précédentes à son égard. En 1915, Ansermet a 32 ans, les feux de la rampe sont braqués sur lui. Au cours des saisons suivantes, il partage donc ses activités entre les Ballets Russes et Genève ; il voyage beaucoup, et se fait connaître à l’étranger.

1918 : l’Europe est détruite par les ravages de la Grande Guerre, la plupart des activités artistiques sont suspendues. En Suisse romande, seule Genève présente encore des concerts. C’est trop peu. Un remède ? Oui, la création d’un orchestre qui aurait pour vocation de se déplacer dans l’ensemble de la région. Sous l’impulsion de différentes personnalités, dont Ansermet lui-même naturellement, naît ainsi l’idée du futur Orchestre de la Suisse Romande. Ansermet doit réunir des musiciens : il trouve ainsi ses cordes en Belgique et en Italie, ses vents à Paris et ses cuivres à Vienne, tout en faisant appel à des musiciens de l’ancien orchestre de la ville de Genève. La renommée qu’a acquise Ansermet grâce aux Ballets Russes profitera réellement à cette nouvelle phalange de musiciens. Pourtant, ses débuts restent tout à fait modestes. Il faut travailler. Rigoureux, tenace, très exigeant envers ses instrumentistes, Ansermet parvient rapidement, dès le milieu des années 1920, à susciter le sens de l’écoute entre ces artistes d’horizons divers et à créer un orchestre d’une belle homogénéité. Les années 1920 sont véritablement le début d’une longue et riche histoire entre un chef original et charismatique et des musiciens qui sauront créer un ensemble singulier, par ses couleurs extrêmement claires et franches, sa texture légère et transparente.

Par la volonté du chef, un orchestre moderne

Dès le début de son existence, l’Orchestre de la Suisse Romande joue et défend la musique du XXème siècle. Ansermet, ainsi, programme régulièrement Debussy, qui reste l’une de ses grandes passions musicales, mais aussi Ravel, qui est très impressionné par la création genevoise de La Valse (« je n’ai jamais pu obtenir cette souplesse rythmique à Paris » écrit Ravel au chef helvétique en novembre 1921), ou Stravinsky, qu’Ansermet interprètera toujours, même lors de leur brouille stupide à la fin de leur vie. Dans les années 1920, Ansermet propulse aussi le jeune Arthur Honegger. Il fait connaître dans le monde entier Le Roi David (1921), Horace victorieux (1921) ou le Chant de Joie (1923). Puis un peu plus tard les symphonies, dont il demeure l’un des premiers interprètes marquants avec Charles Munch, et ceci bien avant Herbert von Karajan.
La curiosité d’Ansermet, dont certains organisateurs de concerts devraient aujourd’hui se souvenir, conduit à la programmation d’œuvres encore bien négligées à l’époque : la Quatrième Symphonie de Mahler, en 1922, la Deuxième Symphonie en 1924, le Chant de la Terre en 1926, la Kammersymphonie pour quinze instruments de Schoenberg en 1923, les Trois Lieder op.8 en 1925 – Ansermet ne comprend pas du tout le dodécaphonisme du compositeur autrichien, le refuse et le rejette totalement –, le Troisième Concerto pour piano de Prokofiev en 1923, Chout en 1926, etc. Extraordinaire surtout est la quantité d’œuvres nouvelles que dirige Ansermet tout au long de sa carrière. De Stravinsky, il créé ainsi L’Histoire du Soldat, Le Chant du Rossignol, Pulcinella, Renard, Les Noces, Mavra, le Capriccio pour piano et orchestre, la Symphonie de Psaumes, la Messe. De Frank Martin, il révèle au public 13 œuvres. Peu de chefs au XXème siècle ont défendu avec autant d’ardeur et d’amour la musique de leur temps. Ansermet en est véritablement l’étendard le plus indiscutable et a fait de Genève un des centres les plus importants de l’Europe musicale. Ansermet voulait sans doute perpétuer le foisonnement artistique dont il avait pu profiter durant son séjour à Paris au début du siècle et qui l’a marqué sans doute à vie. Etre à la pointe de la création, être au centre de la contemporanéité musicale, voilà sans doute l’une de ses aspirations, même si l’ambition était une idée qui lui était un peu étrangère. Ansermet a vraiment côtoyé les noms les plus importants du XXème siècle : Debussy, à qui il suggéra des corrections dans l’orchestration des Nocturnes et de La Mer (Debussy ne rechigna pas à pareille demande contrairement à Igor Stravinsky, qui acceptait difficilement la contradiction), mais aussi Ravel, Stravinsky, Honegger, Hindemith, Berg, Bartók, Falla, Martin, Prokofiev, Roussel, Britten, Kodály, et bien d’autres encore. On croit rêver ! Cet indéniable intérêt pour les Modernes ne doit cependant pas faire oublier l’attirance croissante d’Ansermet pour les Anciens : en effet, il aime et interprète de plus en plus Haydn, Beethoven, Brahms, Liszt tout au long de sa carrière. Ce n’est sans doute pas par hasard en réalité que son intérêt pour les classiques et romantiques s’accroît : en effet, le dodécaphonisme, le courant artistique de l’époque le plus marquant depuis la Première Guerre mondiale lui semblait totalement imperméable. Ce « second » amour pour les compositeurs du passé trouvera son plein accomplissement dans de très belles gravures discographiques. Nous en reparlerons par la suite.

Un triomphe international

Parallèlement à ses activités à Genève, sa carrière internationale se développe. Il dirigera de plus en plus dans les grandes capitales européennes non francophones (Berlin, Londres, Vienne, Rome …), toujours autant à Paris – d’autant qu’au début des années 1930, il porte sur les fonds baptismaux l’Orchestre Symphonique de Paris –, et régulièrement aussi en Amérique du Sud (il est d’ailleurs responsable de l’Orchestre de Buenos-Aires de 1924 à 1934). Après la guerre, chacune de ses apparitions aux Etats-Unis est un triomphe, la presse est dithyrambique. Il connaît des succès semblables au Japon. Ce sont d’ailleurs grâce à ces concerts aux Etats-Unis et au Japon que la légende Ansermet se crée, légende favorisée en outre par la grande quantité de microsillons qu’Ernest Ansermet engrange après la Seconde Guerre mondiale pour Decca avec son Orchestre de la Suisse Romande.

Prochain épisode
(2) : Les témoignages discographiques d’Ansermet pour Decca (1947-1967)

Crédits photographiques
Ernest Ansermet (DR)

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