mercredi 23 avril 2025

Ferrucio Busoni: Faust (1925). Le théâtre de l’avenir

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Ferrucio Busoni
Faust
, 1925

Théâtre poétique prébrechtien

L’ultime opéra de Busoni n’a pu être terminé par son auteur. Il y manque toute la dernière partie, qui scénarisée précisément n’a pas reçu sa rédaction musicale. En avril 1924, Busoni écrit un plan abouti mais il meurt le 27 juillet suivant à 58 ans, sans avoir pu écrire la musique. C’est à partir des esquisses et du plan laissé par Busoni que son disciple Jarnach en 1925 entreprend d’écrire la musique de la dernière scène: mais l’élève avait un tempérament propre et sans tout à fait respecter la volonté du compositeur, Jarnach compose cett fin qui en général est préférée à celle de Beaumont. Altération voire trahison de poids, Jarnach termine l’oeuvre en mi bémol mineur, de façon tragique et irrésolue, alors que l’ut majeur est la tonalité générale de l’oeuvre (ce que respecte d’ailleurs Beaumont). Mais l’option de Jarnach se révèle particulièrement efficace: même si elle contredit la volonté de distanciation progressive souhaitée par Busoni dans son oeuvre (de dédramatisation progressive), la fin Jarnach se tend, saisit le spectateur par ses vertiges et ses fracas, laisant l’inquiétude et l’interrogation creuser la force d’une oeuvre désormais stupéfiante. Il faut reconnaître que la version de Jarnach est puissante et efficace, en insistant davantage sur la poésie du fantastique et du surnaturel souhaitée par Busoni. De plus, Faust, vieillard désabusé parvenu au terme de sa course dérisoire, grandit dans cette fin sans véritable réponse: l’homme est prisonnier des questions qu’il se pose à lui-même. Plus grand est son désir de connaître, plus amère et déconcertante, sa chute.

Retour aux marionnettes
Busoni s’écarte volontairement de la tradition Goethéenne du mythe de Faust. Il s’intéresse en particulier au texte de Faust dans sa version pour marionnettes, daté de 1587: source originelle, première dans laquelle son attraction pour la scène de l’enfance mais aussi le théâtre des origines, celui de la Commedia del Arte, de Polichinelle et de Guignol, a pu se réaliser. A l’origine, il avait prévu un rôle pour Polichinelle: le clown triste exprimant mieux que quiconque la vérité terrifiante de notre condition humaine. Le thème du Faust goéthéen, est de plus très à la mode, régulièrement traité par les musiciens: sans citer tous leurs prédécesseurs dont Schumann et Berlioz, rappelons cependant que Gustav Mahler s’intéresse récemment au Faust de Goethe pour la seconde partie de sa huitième Symphonie (1906).

S’affranchir de Goethe
A la différence de Goethe, Busoni isole ses héros en supprimant les rôles féminins. Son plateau est presque exclusivement masculin: pas de Marguerite, sinon évoquée par la présence de son frère qui veut tuer le héros pour venger l’honneur de la famille: c’est d’ailleurs pressé et même paniqué par cette menace que Faust signe le document que lui tend Méphistophélès… quand chez Berlioz, la signature a lieu à la fin de l’oeuvre quand le protagoniste touché par le sacrifice et l’amour de Marguerite, veut se racheter et sauver son salut… Rien de tel chez Busoni l’agnostique: aucune dissertation sur la problématique du salut. L’appel du néant et du vide cosmique n’en ont que plus de présence. Seules femmee dans son Faut, la duchesse de Parme, puis Hélène de Troie qui est en fait un double fantasmatique, une apparition plus qu’un présence: un spectre qui suscitant le désir de l’homme insatiable, souligne d’autant plus son impuissance dérisoire et sa profonde solitude. L’idée la plus géniale de Busoni reste certainement dans le scénario final, l’image d’un Méphistophélès veilleur de nuit, comme un faucheur et l’agent du destin. Il vient saisir sa proie, tout en rappelant qu’il est illusoire de croire à toute immortalité. On ne peut concevoir davanatge de cynisme.

Paravent musical, fenêtre sur l’avenir

Superbement architecturé, l’oeuvre est conçue comme un paravent musical dont chaque volet est précisément évoqué et développé comme un tableau indépendant. En cela, Busoni se rapproche de la conception musicala et dramatique de Berg qui compose son Wozzeck à la même période (Berlin, décembre 1925). En cela, l’opéra de Busoni est bien cette scène visionnaire et moderne qui ouvre directement sur Brecht: distanciée, âpre, morale et cynique à la fois, elle puise son expressionnisme en prenant ses distances avec le théâtre fusionnel de Wagner et le réalisme des véristes italiens. Busoni développe une fable, entre onirisme et fantastique. Kurt Weil sera, après avoir été l’élève de Busoni, le collaborateur le plus fidèle de Brecht: ici, la scène et l’action représentée et commentée permettent au spectateur d’être lucide et détaché. Aucun de nous n’est invité à s’identifier à ce Faust atypique, à l’inquiétude permanente, à l’insatisfaction chronique. Pour Busoni, il s’agit d’un spiel, c’est à dire, un « jeu », en rien, « dramma », ni tragédie. Voilà qui renoue avec le théâtre « comique » et grinçant de l’opéra Bouffon, ces comédies italiennes dont Busoni a la nostalgie. Une nostalgie elle aussi instable et non résolue: le compositeur fut toute sa vie, tiraillé entre la culture italienne (par son père) et allemande (par sa mère). La scène semble ressusciter ce conflit, qui fait à la fois toute la richesse et la singularité de son oeuvre de théâtre. Son Faust en reste une illustration captivante. Ainsi, jaillisement libre de cette veine comique: l’acte de Parme où Faust devient magicien et bateleur, amuseur à la cour italienne… en filigrane, paraît la figure de Busoni saltimbanque qui comme Liszt parlait de lui en artiste bohême, serviteur de son public… Sur le plan musical, en particulier de l’orchestre, il faut préserver la transparence et la légèreté d’une orchestration suggestive, très évocatoire: Busoni est aux antipodes du wagnérisme (voilà clairement définie sa spécificité vis à vis de la sphère germanique dominante). En favorisant une tonalité instable, flottante, créant des séries d’accords étranges, le compositeur produit des climats inquiétants et mystérieux, comme l’expression du surnaturel, de la transgression, de la subversion et surtout de la révélation. Le caractère extatique, léthal voire livide n’est jamais isolé: il est souvent associé à l’expression sincère et lyrique d’un pur mysticisme, ce qui préserve toujours l’humanité du développement musical. Proche souvent de Franck Martin, Busoni ouvre des voies et suscite les visions de la modernité… que prolonge l’un de ses élèves, Edgar Varèse, dans l’atonalité.

Crédits photographiques: deux portraits de Ferrucio Busoni (DR)

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