Du 17 au 28 novembre 2009
Grenoble et agglomération (38)
24 concerts et spectacles de nouvelles musiques
Les 38e rugit pour la 20e année à Grenoble et s’est installé dans le paysage d’expérimentation contemporaine. La session 2009 se consacre à une interrogation sans frontières sur le sens et le son au miroir des musiques et des textes. Les descendances du théâtre musical et instrumental s’y croisent avec les transes poétiques, les récitations, le concert-conversation et le slam. Une presque-quinzaine de créations et de reprises récentes, de relectures et de regards enrichissants.
L’om dans tous ses états sur erre
Et l’homme en son langage, comment le préférez-vous ? A la Michaux de Passages ? « L’homme se promène volontiers au bord des fleuves, ne pensant à rien. Croyant contempler le fleuve ou simplement sans rien faire, il contemple son propre fleuve de sang, dont il est une île délicate, malgré ses organes, ses os durs, ses principes, plus durs encore, qui voudraient lui en faire accroire. Ce radotage, indéfiniment répété, de soi mis devant soi, plaît. Prolongé il constitue une cure, ou du moins une villégiature… » A la Joyce de Finnegan’s Wake ? « La chute(bababadagharaghtakaminarronkonnbronntonnerrertuonthuntrovahurnuk !) d’un ci-devant inframurs est détaillée ore au lit et encore dans la vie tout au long de la christiomathie. » A la Diablerie d’Andrei Stetszenko (alias Andrioucha Joyce, Lucien Vsevichnii ou Héloïse Prokoptchouc) ? « trunch prunch criunch bronk bronk bronk monk monk monk un homme marche marche dans la ville il parle dans un mégaphone et les passants sont convaincus que c’est quelqu’un L’HOMME… » A la François Rabelais de Pantagruel parcourant le catalogue de la Librairie Saint Victor ? « Bragueta Juris. Pantofla Decretorum. Le Vistempenard des Prêcheurs, composé par Turlupin. La Couille d’éléphant des Preux. L’apparition de Sainte Gertrude à un nonnain de Poissy étant en mal d’enfant. Le Cabas des Notaires . Le Paquet de Mariage. Le Creuset de contemplation. Les Fanfares de Rome ; La Croquignole des Curés. Le Chat Fourré des Procureurs. La Profiterolle des indulgences. De Modo faciendi boudinos. Le Couillage des promoteurs. La Marmite des Quatre Temps. Le Rêvasseur des cas de conscience… » A la Valère Novarina convoquant Adam au théâtre vide : « Pendant toute la durée de votre mort vous prononcerez le chant le chant suivant : Je tiens le bouillon de toutes choses, j’ai tenu le bouillon de toutes choses, voici pourquoi, voici de quoi. Dix fois, 100 fois, 1000 fois, 118.810.000.1800.10.000.800.008 fois, alors le corps mort parlera. » A la Jacques Rebotier de Les omes se divisent en pauvres et riches ? « 1111.1 Les pauvres nourrissent les riches. 11.2 Mouvements de opulation. Les riches se déplacent vite. Les pauvres lentement. 11.3 Les riches se déplacent assez souvent pour leur plaisir. Les pauvres pour leur malheur. 11.5 Pauvres riches. 11.8 Après leur mort, on suppose que les ommes ont une autre vie. On suppose encore que les pauvres alors deviennent riches, et les riches pauvres. Mais ce ne sont que suppositoires.11.22 L’opulation des riches n’a pas cessé de vivre dans l’opulence. 11.32 L’erre est errible, erratique, errifiante, errifique. »
Passerelles sur Isère, Drac et Romanche
On peut aussi poser les questions avec davantage de sérieux théorique, ainsi le Patron des 38e Rugissants, Benoît Thibergien, à l’orée d’une 20e édition consacrée aux « Langages, entre le sens et le son » : « La musique est-elle consubstantielle à la langue ? La musique pure est-elle universelle, affranchie des barrières linguistiques, ou bien indissociable de la langue et de la culture de ceux qui lui donnent naissance ? La diversité des musiques du monde contemporain ne serait-elle qu’une babélisation sonore ? » Dans toutes les langues (mais combien en disparaît-il chaque année à la surface de « la pauvre erre » ?), selon tous les glissements et intertextualités, rigoureuses notations et harmonieuses disharmonies, plaisanteries, bouffonneries, variations et thématiques, Les 38e va donc interroger en rugissant (de plaisir aussi ?) les correspondances – comme un célèbre disait au XIXe : les parfums, les couleurs et les sons se répondent – en y ajoutant le couple (pas toujours béni par la constitution des langages rationalisés) sens-son –(et Dalila ? demanderait un amateur de calembours, « cette fiente de l’esprit qui vole bas » selon Victor Hugo). Dans la musique savante qui s’est prise à s’encanailler avec la populaire de « l’erre d’ampli », il y a donc bien des domaines : à côté de l’opéra, de la mélodie (aria, lied…), voire de la chanson, figurent désormais théâtres musical et instrumental, contes et récits, « poésie sonore, slam, spoken work, concert-conversation, théâtre sonore, transes poétiques », tout cela « en lisière du verbe, des mots, de la langue et des langages d’ici et d’ailleurs ». Car en domaine d’expériences et de confrontations, « les 38e R. » peut en remontrer à beaucoup, y compris en « matière d’image institutionnelle de la fin des Eighties à transposer » … au point que « les partenaires institutionnels d’aujourd’hui sont attirés par lui », et ses 20 ans sont jalonnés d’audaces en représentation (opéra subaquatique, récitals d’oiseaux et d’insectes, concerts gustatifs, musiques pour espaces sidéraux et profondeurs telluriques, symphonies de clochers…), « d’arts sonores et numériques , de satellites-cabarets », et de ponts lancés entre des rives a priori peu franchissables : c’est d’Isère à Drac ou Romanche une « nouvelle migration des esthétiques, les créations transculturelles par artistes Nord et Sud, de la terre et de la modernité ». Bilan chiffré de la double décennie : plus de 150 créations mondiales, 300 artistes représentant 600 concerts ou spectacles, 10.000 spectateurs à chaque session…
De Rebotier à Panizza
En 2009 et selon un parcours d’agenda fin novembre, désignons les temps forts. Jacques Rebotier, poète, compositeur, performeur, l’un des voyageurs les plus attirés par « la constante proximité des marges et le malin plaisir à transgresser les codes » – met en profil « l’oreille droite » d’un pianiste très aimé du public, le jeune Alexandre Tharaud – celui qui au Théâtre Antique de Lyon « parlait à l’oreille des chevaux » (de Bartabas) l’encerclant d’une Ronde sans fin -, dans une « partition de sons, de gestes et de mots, avec forts relents d’enfance et bouffées inopinées de Bach et de Scarlatti ». (On aura une pensée émue pour Bernard Haller, le multi-créateur genevois parti fin avril faire écouter sa sidérante et post-beethovénienne « Sonate au clair de lune » aux habitants de l’espace sidéral). Puis ce sera Awatsihu, le spectacle inspiré d’un conte amazonien à Philippe Forget pour et par les Solistes de Lyon, dont classiquenews parle plus longuement dans un article voisin. « De 7 à 177 ans», venez y apprendre « comment les oiseaux trouvent leur voix », et les artistes lyonnais ne nous en voudront sans doute pas de renvoyer à l’immortel recueil de…Chaval, « les oiseaux sont des cons » (un must des années 60, à bientôt 77 ans, mais pas 177 –j’ai déjà remarqué que mes citations ne me rajeunissent pas )… Liste, énumération et transformation parodique chères à Valère Novarina s’interpénètrent en langue Dzig(slam), échos-Nougaro et grâce au « français toulousain mâtiné de langue d’oc » avec Capitaine Slam pour poser l’inusable Question pataphysique : « A quel Dieu parles-tu ? ».Re-Reb(elo)tier , qui cette fois se saisit des textes du psychotique Ernst Herbeck (confié dans les années 50 à son anti-psychiatre, Léo Navratil, dont le traitement était : « un poème par jour sur un mot imposé ») pour un « Vous avez la parole, vous avez ma parole » dont l’ensemble Court-Circuit traduit les sautes de fusible. Erick Abecassis sort dans l’espace urbain avec ses 250 musiciens (professionnels et amateurs venus du Conservatoire Jean Wiener) et son dispositif électromobile promener « Strom », où « le corps de l’auditeur est aussi acteur dans l’espace musical ». Le Grand Slam compilera des créations sur textes de Pérec , Artaud, Jodlowski, Didier Malherbe, Sébastien Lespinasse et joués par Bastien Mots Paumés. Le chanteur basque Benat Achiary s’allie à Serge Pey (écrivain, enseignant, rédacteur de textes sur bâtons et piquets de tomate, installations rituelles de poèmes). Un David -Krakauer (créateur new-yorkais et recréateur de la musique Klezmer)- se joint à un autre – Greilsammer (pianiste réexplorateur de Mozart et marathonien de la Sonate classique) et à Will Holshouser (accordéoniste) pour Beyond Crossover. Et le poète allemand Oscar Panizza (1853-1921), ci-devant médecin aliéniste mort aliéné, célébré en 1917 par le torrentiel tableau de George Grosz (L’Enterrement), est repris en son œuvre la plus célèbre : à cause de son Concile d’Amour (1895), où 46 figures blasphématoires montrent en scène le très vieux Dieu le Père, l’érotomane Marie, le phtisique Jésus-Christ concoctent avec le Diable un châtiment des Papes Borgia, Panizza fit un an de prison helvétique… Les Ateliers du Spectacle (Michel Musseau, J.P.Larroche) en font un « opéra pour voix , instruments, marionnettes et machineries ».
Tout ce que vous n’avez jamais osé demander
Phiippe Foch et Brigitte Lallier-Maisonneuve inventent dans Kernel et avec chaque spectateur des rituels –miniatures sonores en milieu du tout-petit-enfant. L’Ensemble Györg Projekt nous emmènera vers un autre Sidéral où se tient la Statue du Commandeur Stockhausen, qui en 1975 confiait à des boîtes à musique les mélodies des 12 signes célestes et ne verra nul inconvénient à ce que cet ensemble rhône-alpin fasse descendre en Grésivaudan une nouvelle version de Tierkreis. Le Libanais Zad Moultaka embarque les Musicatreize de Roland Hayrabédian et le groupe Mezwej dans une méditation d’enfant et d’adulte sur « Et si j’étais né de l’autre côté »(des lignes de démarcation), le public lui-même changeant de salle (MC 2)et de langue à l’entracte… Le Sabar Groupe de Fodé Diop (un compositeur Sénégalais, d’une famille de griots et tambourinaires) sera en pré-écho de La Langue d’après Babel, une conception musicale de Sylvain Kassap, jouée par un ensemble Burkinabé et l’Ars Nova, l’un des témoins et acteurs de la création contemporaine, et de Sabar Ring (groupe Thöt, Ivan Ormond). La « partition-culte » du théâtre musical et langagier, les Récitations de Georges Aperghis (célèbre Grec descendant d’Aristophane et acclimateur de phonèmes en bord de Seine) est chorégraphié-chanté par Michèle Wattez et Béatrice Soum : « J’en perds la tête ». Le grand style classique-apparent de Michel Tournier acclimate son Vendredi en Une Ile Solaire où débarquent Samuel Sighicelli, Elise Caron et Wilhem Latchoumia. Et l’un des événements de cette session sera donné par le concert de l’Ensemble Orchestral Contemporain (Daniel Kawka) jouant deux partitions de Hugues Dufourt inspiré – comme bien souvent – par les sons-couleurs-sens picturaux, cette fois chez Goya et Van Gogh : nous parlerons ici plus longuement de La Maison du Sourd et des Chardons. Projections de films en « musiques atypiques », colloque, rencontres avec les artistes (en toutes langues de la planète y compris le langage-Michaux, la langue-zaoum des futuristes russes, la Lettriste d’Isidore Isou, et mieux encore si vous en inventez une) avec qui vous pourrez débattre de toutes les questions que vous n’avez jamais osé poser à vos papa-maman, confesseur, psychanalyste, copains, chef d’orchestre ou pianiste préférés…
Grenoble et autres lieux (38): 20e édition des Festival 38 ème Rugissants. Mardi 17 novembre 2009, 20h30. Mercredi 18, 19h30 ; jeudi 19, 14h30, 20h et 20h30 ; vendredi 20, 20h : samedi 21, 15h15 et 16h, 20h ; dimanche 22, 11h15 et 12h ; 15h et 16h30 ; mardi 24, 20h ; mercredi 25, 19h30 ; jeudi 26, 12h30, 19h30 ; vendredi27, 12h30, 20h30 ; samedi 28 10h et 11h ; 12h30 ; 17h30 ; 19h30 ;21h30. Rencontres, colloque, projections. Information et réservation : T. 04 76 51 12 92 ;