mercredi 23 avril 2025

Francesco Cavalli (1602-1676), La Calisto (Venise, 1651)

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Lorsque son opéra La Calisto est créé à Venise, à l’automne 1651 au teatro San Apollinare, Cavalli, en digne disciple de Monteverdi, le père de l’opéra baroque, dévoile une maîtrise indiscutable.

Venise est depuis 1637, l’année où est créé le premier opéra public et commercial, le foyer de l’innovation lyrique. Monteverdi, maître de chapelle à Saint-Marc depuis 1613, s’est engagé à redéfinir le théâtre musical ou dramma in musica. En témoignent ses deux dernières ouvrages, co écrits avec ses disciples dont Cavalli, Il Ritorno d’Ulisse in Patria (1641) et l’Incoronazione di Poppea (1642). Deux ouvrages dont l’économie intense du style correspond à la réalisme mordant et cynique du sujet. Le premier peint l’odyssée cruelle et violente au terme de laquelle Ulysse peut reconquérir sa bien aimée. Les chemins de la destinée humaine sont jalonnées d’épreuves éreintantes. Le second opéra plonge plus profondément dans le scepticisme et la critique de l’ordre social voire de la nature humaine. Néron y est soumis aux seules lois de l’amour et de la volupté. L’ordre y est inféodé au beaux yeux de l’intrigante Poppée. En Néron, il faut voir la corruption du politique, le sacrifice des valeurs philosophiques (Sénèque y est immolé sans scrupule). Ici, peines et souffrances d’un époux désireux de retrouver celle qui l’attend. Là, échec des valeurs humaines et sacrifice de l’éthique. L’opéra montéverdien dans les années 1640, affirme un modèle désenchanté sur le plan de la pensée. Mais la musique n’a jamais été aussi articulée, accentuée, agissante. Elle épouse les accents de la langue pour en révéler le sens incantatoire.
Dans le sillon de son maître, Cavalli reprend le flambeau de la scène lyrique vénitienne. Calisto témoigne de son génie, quelques dix années après les derniers ouvrages vénitiens de Monteverdi.

L’opéra vénitien public a connu de profondes évolutions : nécessité de suivre le goût d’un public de plus en plus éclectique : patriciens venus s’encanailler à Venise au moment du Carnaval, bourgeois soucieux de s’y divertir. Les imprésarios gèrent l’économie des spectacles s’ils ne veulent pas augmenter les tarifs des billets déjà onéreux. S’en ressent l’effectif des interprètes : surtout les chœurs, insignifiants, et l’orchestre réduit a minima, sauf en cas de financement exceptionnel. Opéra du peuple où chacun peut payer désormais sa place, la réalité de la rue investit la salle mais aussi la scène. L’opéra vénitien dès son origine, mêle les héros et les dieux, et le monde plus vulgaires de la domesticité. Ici gouvernantes, soldats et nourrices expriment le point de vue de la plèbe, souvent humoristique voire cynique. En un contraste des plus mordants, le comique roturier se mêlent au registre héroïque et divin, créant des situations et des contrastes d’individualités particulièrement cocasses. En particulier les rôles de travestis dévolus aux nourrices, types les plus emblématiques de la dramaturgie vénitienne baroque. En témoigne le rôle de la nourrice de Diane, Lymphée, chanté par un ténor. Certes rôles secondaires mais porteurs de messages des plus pénétrants. Dans la voix de ces personnages s’exprime souvent la pensée du compositeur et de son librettiste. Ce mélange du comique bouffon et de l’héroïque sérieux est alors emblématique de l’opéra vénitien. Le XVIIIème siècle défera ce subtile équilibre. Pour l’heure, la scène permet la fusion des genres. Telle est la langue de Cavalli.

L’auteur du livret de Calisto, Giovanni Faustini renoue avec la tradition de l’opéra mythologique, hérité de l’Orfeo de Monteverdi par exemple. Mais ici, l’ambition noble de l’écriture, les vertus moralisatrices et l’action édifiante des protagonistes se sont mués en une nouvelle scène parodique propre à dénoncer la vulgarité des caractères. Les divinités de la Grèce mythologique (Jupiter et Junon, Diane et Pan) habitent ici une Arcadie utopique, en pleine forêt, aux pieds de mont Latmos et dans la plaine de l’Erymanthe. Ils y cotoient de simples mortels (Calisto et Endymion) mais aussi une multitude d’êtres lascifs et à l’instinct des plus lubriques, satyres et faunes. L’idéalisme des types créés au début du siècle a disparu pour une peinture réaliste des caractères humains. A la peinture édifiante des vertus morales du héros, les auteurs préfèrent souvent la satire sociale, le dénonciation des traits de caractères moins édifiants : félonie, jalousie, calculs et manipulations, voire perversité et mensonges. La charge de Cavalli et Faustini est d’autant plus virulente que les dieux, Jupiter en première position, expriment les plus viles pensées quand seuls les êtres les plus vertueux demeurent les mortels, Calisto et Endymion.

Ainsi la « fange », incarnant un état de sauvagerie animale, est clairement désignée dans la figure de Pan et de son joyeux cortège, des faunes et des satyres.
La musique de Cavalli tout en respectant la liberté des formes destinées à suivre l’accentuation naturelle de la langue, invente aussi de nouveaux formats comme de nouveaux airs fermés sur eux-mêmes, comme s’il s’agissait de cellules quasi indépendantes, détachées du continuum musical et linguisitique que forment les récitatifs expressifs dans lesquels excella son maître Montevedi. L’avènement de l’aria se précise peu à peu, le plus souvent sur un rythme ternaire.

L’inventivité de l’écriture vocale compense d’une certaine façon la sobriété des lignes instrumentales, quand à elles réduites au minimum pour les raisons d’économie et de rentabilité recherchées par les impressarios de théâtres vénitiens.

Dans un tout autre contexte, en particulier pour de puissants commanditaires, Cavalli aura l’occasion de composer de nouveaux modèles d’opéra de cour, bénéficiant de moyens décuplés, dont dix années après La Calisto, Ercole Amante, créé à Paris en 1662 devant la Cour de Louis XIV.

Intrigue

A l’acte I,
Jupiter et Mercure inspecte la surface de la terre après la chute de Phaéton. Ils constatent les brûlures que le soleil a fait subir à la surface terrestre. L’Arcadie dense et boisée a souffert d’une dessication terrible. Le domaine de Diane est dévasté. Jupiter découvre la nymphe suivante de Diane, Calisto. Pour la tromper, il se déguise en Diane et peut à loisir abuser de sa naïveté, elle qui voue sa chasteté à la Déesse. De son côté, Endymion se languit de Diane tout en sachant qu’il ne pourra rien obtenir d’une divinité qui a jura de rester chaste, même si elle partage le même désir pour Endymion. Paraît aussi, Pan que Diane a tout autant éconduit.

Au II, Endymion et Diane chantent leur amour impossible. Calisto évoque les souvenirs voluptueux à Junon qui comprend que son époux Jupiter a abusé de la nymphe. Celui paraît déguisé en Diane. Endymion se méprend et entonne une nouvelle romance pour la déesse de la lune. Il est ligoté par le dieu Pan, jaloux de connaître ce rival plus heureux que lui. Les satyres des bois raillent la folie de ceux qui croient en l’amour.

Au III, Calisto se languit de revoir Diane. Mais Junon paraît avec les furies et décide de la changer en ourse. Mais Jupiter paraît son vrai visage. Il épargne à Calisto de vivre la vie d’une bête sauvage. Calisto sera élevée au firmament sous l’aspect d’une étoile, la Grande Ourse céleste, à ses côtés. Endymion est maltraité par Pan et sa cohorte de satyres. Mais Diane para
ît et le libère. L’apothéose de Calisto au firmament conclue l’opéra.

Discographie

René Jacobs, 1994
Maria Bayo, Barry Banks, Marcello Lippi, Simon Keelyside… Concerto vocale. 3cds Harmonia mundi.

Illustrations
Dosso Dossi, La Calisto (1528, Galerie Borghèse, Rome). Le drame s’est joué. Diane abandonne sa suivante Calisto quand la déesse apprend que la nymphe s’est offerte à Jupiter.

Portrait présumé de Francesco Cavalli, gravure (dr).

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