dimanche 11 mai 2025

Francesco Cavalli: La Calisto, 1651. Wernicke, Jacobs (1993) Bruxelles, La Monnaie. Du 17 février au 1er mars 2009

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Francesco Cavalli

La Calisto
, 1651
Opéra créé au Teatro San Apollinare de Venise,

Le 28 novembre 1651

Du 17 février au 1er mars 2009

Bruxelles, La Monnaie

Reprise de 1993


Reprise d’une production lyrique qui fut à partir de sa création en 1993, l’un des temps forts des réalisations baroques à l’opéra: une production devenue légendaire dès ses premières représentations belges, puis au cours de ses reprises à Salzbourg et à Lyon… qui reste encore inédite à Paris… Conçue par Herbert Wernicke, hélas décédé depuis (en 2002), auquel l’Opéra Bastille à Paris, doit une production non moins éblouissante du
Chevalier à la rose, la mise en scène de Calisto de Francesco Cavalli (1602-1676) réalise une fusion pertinente entre cocasserie comique voire paillarde de la partition et poésie de la métamorphose, une association sulfureuse, musicalement inventive, propre à ce premier bel canto du Seicento (17ème siècle). Wernicke ressuscite avec une tension émotionnelle intacte depuis 15 ans, la force et la sauvagerie, la sensualité et le délire, valeurs essentielles dans l’opéra de Monteverdi et de ses disciples dont Cavalli.

Rediriger Calisto 15 ans plus tard





René Jacobs reprend donc 15 ans après, la partition originale qui demeure une esquisse: l’interprète doit « augmenter » l’effectif instrumental (« amplifier la polychromie de l’accompagnement« ), résoudre les lacunes nombreuses (la partition d’époque n’indique que la partie « squelettique » des deux violons et de la basse), restituer le style et les options musicales à partir de sa connaissance de l’époque, en particulier de la tradition d’interprétation à Venise au Seicento. Le chef, spécialiste de l’opéra vénitien, qui a ressuscité aux côtés de Cavalli, Cesti, cet autre élève surdoué de Monteverdi, entre autres, s’intéresse surtout outre à la vocalità expressive et articulée, à l’instrumentarium variable de l’orchestre opératique du 17è: dans les théâtres vénitiens, l’instrumentarieum est réduit à son minimum, mais l’on sait aussi que les opéras les plus prestigieux (Il Pomo d’oro de Cesti justement) étaient l’objet de représentations monumentales et luxueuses en plein air…
Venise a perdu tous ses théâtres intimes et chambristes de l’âge baroque. Pour s’en donner un aperçu, il faut visiter la salle originelle et baroque de 250 places, sur l’île croate de Hvar.
A Bruxelles, le chef flamand réduit le continuo: passant depuis 1993, de trois à deux clavecins qui seront extrêmement sollicités pour articuler les récitatifs au même titre que le luth et la harpe. Pour accuser la robe contrastée des ritournelles et sinfoniae, seront ajoutés des trombones aux cornets habituels, ces derniers étant les instruments emblématiques de la musique vénitienne du premier baroque (17è).

La verve satirique et érotique de l’ouvrage sera défendue, entre autres par Max Emmanuel Cencic dans la rôle de Satirino (initialement tenu par Dominique Visse et sa gouaille âpre et mordante). Dans une partition éblouissante par sa richesse créative, la vis comica, aigre et délirante, concerne aussi les rôles nobles comme celui de Jupiter lorsque pour séduire Calisto, la suivante de Diane, le dieu continent paraît avec voix de fausset, donc fémininisé, sous les traits de la déesse chasseresse. Sur la scène bruxelloise 2009, le rôle travesti est tenu par l’excellent baryton et haute contre (!), Johannes Weisser.C’est une nouvelle génération de chanteurs qui succédera à la distribution initiale où avait étincelé la soprano espagnole Maria Bayo. Sophie Karthauser chantera après elle, le très difficle rôle de Calisto qui exige virtuosité vocale et finesse psychologique.
Après avoir ressuscité Eliogabalo, son dernier opéra, René Jacobs prolonge ainsi son exploration des ouvrages de Cavalli, avec une prochaine Elena (tragicomédie sur l’histoire d’Hélène de Troie) et une plus lointaine, Didone. L’écriture de Cavalli, douée d’une prodigieuse inventivité, à 1000 lieux de la forme asséchante de l’aria da capo du théâtre du XVIIIè, demeure un standard européen à son époque: l’aboutissement original et puissant de la leçon du Maître Monteverdi, capable d’imposer à l’époque moderne, un modèle lyrique qui sera applaudi à Paris, pour le mariage de Louis XIV. A cette source, s’abreuve Lully, futur inventeur de l’opéra français, à partir de 1673, avec Cadmus et Hermione, récemment ressuscité par Le duo Lazar/Dumestre.

L’univers visuel de Wernicke dans la Calisto

La mise en scène d’Hubert Wernicke (1946-2002) s’inspire pour La Calisto du plafond peint de la salle de la Mappemonde de la Villa Farnèse à Caprarola, près de Viterbe (2ème moitié du XVIème siècle). Le petit-fils du pape Paul III, le cardinal Alexandre Farnèse (1520-1589) portraituré par Titien, personnalité politique et culturelle majeure de la Renaissance tardive, commande deux palais, résumant l’ambition intellectuelle et artistique de l’époque: les villas Farnèse à Rome et à Caprarola (1576). Le plafond choisi et distingué par Wernicke qui reproduit les emblèmes et symboles astrologiques dans son décor, récapitule la connaissance cosmique et philosophique à l’époque du prince Farnèse. Au plafond, la voûte céleste peinte par Giovanni deVecchi et Raffaellino da Reggio d’après l’Astronomica d’Hyginus (64 avant J.-C., 17 après J.-C.) où figurent les 48 constellations recensées par Ptolémée dans son Almageste. C’est un bestiaire merveilleux et éblouissant par son luxe analytique et descriptif qui donne au sens propre le vertige; sur les murs, une cartographie précise des contrées terrestres connues à l’époque, peinte par Vanosino da Varese.

Les constellations de l’univers sont toutes représentées et transposent l’action de La Calisto dans le firmament, conférant à l’intrigue, son arrière-plan fabuleux. Un souffle onirique même que souligne Herbert Wernicke qui n’évite pas non plus une vision cynique et comique acide, sur la vacuité dérisoire de l’existence humaine. Propre au XVIIème, qui inventa la vanité en peinture, thème central de l’esthétique du siècle, la scène ainsi imaginée, balance toujours entre sensualité tendre et lyrique, et désespoir solitaire. Fidèle à la connaissance mythologique, Jupiter triomphateur et dominateur apparaît foudroyant sur un aigle (son animal emblématique), et à ses côtés, la belle Calisto qui succombant à ses charmes, rejoint la voûte céleste sous la forme de la Grande Ourse. Fable amoureuse et métamorphose poétique auquel répond aussi la pure veine du théâtre comique (selon l’alliance propre à la Venise baroque): ainsi le cycle poétique de l’opéra de Cavalli est-il génialement synthétisé.

Illustrations: René Jacobs, Franceco Cavalli, détail du plafond du Palazzo Farnese à Caprarola, circa 1574-1575 (bataille des centaures), Herbert Wernicke(DR).

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