mardi 22 avril 2025

Franz Liszt, dévoilé

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Liszt dévoilé

Deux parutions récentes et simultanées, chez deux éditeurs différents s’intéressent au « cas » Liszt. Davantage que d’énièmes contributions sur l’oeuvre et la figure exceptionnellement douée de Franz Liszt, né hongrois à Raiding, le 22 octobre 1811, les deux publications s’accordent à dépoussiérer les apriori tenaces. Elles nous dévoilent au final deux aspects de la carrière et de la vie du musicien tout à fait méconnus, qui n’avaient pas été dévoilés avec autant de précision.

L’amuseur « saltimbanque »

C’est aussi un « grand écart » chronologique où le premier livre, que publient les éditions Symétrie, s’intéresse aux tournées du récitaliste dès 1823 en France: Liszt est alors âgé de 12 ans. C’est un enfant prodige au piano qui accomplit alors des cycles inimterrompus de concerts, en particulier dans les régions françaises (jusqu’au 1846, date de son dernier récital comme pianiste virtuose). La somme des textes qui regroupe les contributions (entre autres) du colloque « Liszt à Angers » (tenu en décembre 2005), est incontournable car elle offre un ensemble particulièrement cohérent sur les concerts réalisés par l’enfant (une idôle blonde et frêle, aux yeux clairs et au teint pâle, « maladif », mais enjoué voire impertinente, adulée par les femmes) et le jeune homme Liszt, en tournée dans les provinces françaises. A Bourges, Metz, Marseille, Strasbourg, « à la conquête de l’ouest », en Alsace, dans le sud-ouest, et même en Belgique, en 1845, à l’âge de 34 ans: tout est abordé. L’organisation et la promotion des concerts, le réseau des mélomanes qui « font » le succès des concerts en province, les relations de Liszt avec les notabilités en région, le transport de l’artiste (et de son père), du piano (Erard ou Boisselot)… le répertoire également, où l’importance alors laissée à l’improvisation permet à l’interprète de conquérir ses publics, en incarnant la pure virtuosité, mais aussi, au compositeur qui sommeille (mais est déjà présent) d’éprouver et d’expérimenter les perspectives musicales et techniques de l’instrument. L’inventeur du récital de piano paraît ici, non à Paris (où pourtant il connaît la gloire européenne en s’y fixant de 1823 à 1835), mais dans les 60 villes régionales qui consolident sa réputation musicale. Outre la figure et aussi les humeurs contradictoires de l’interprète qui s’appelle lui-même « saltimbanque », « valet du public », et qui d’ailleurs décidera de la fin de sa carrière de virtuose pour ne plus s’attacher qu’à son oeuvre de chef et de compositeur, les textes évoquent l’activité musicale et l’organisation, le milieu culturel et sociale qui gravite autour du concert, phénomène culturel régional. Lire notre critique de Franz
Liszt, un saltimbanque en province. Ouvrage collectif sous la direction
de Nicolas Dufetel et Malou Haine (collection « Perpetuum mobile »,
éditions Symétrie, 424 pages)
.

La mort de Liszt

Le second livre édité par Buchet Chastel lève le voile à l’extrêmité de la vie du musicien, en particulier sur ses derniers jours, à Bayreuth, au mois de juillet 1886. L’image d’épinal a laissé le souvenir d’un homme âgé, épuisé mais serein, expirant dans le ville de Wagner (le 31 juillet 1886), aux cotés de sa « chère » Cosima, qui accompagne, attentionnée et aimante, le dernier voyage de son père, lequel s’éteint en prononçant le mot de « Tristan ». Le tableau est idyllique, il rétablit dans la paix le visage et la carrière de l’homme, il réconcilie surtout Wagner et son beau-père. Or rien ne semble plus faux si l’on s’en tient aux révélations présentées dans le livre d’ Alan Walker. Découvrant en 1977, le journal de Lina Schmalhausen, jeune élève de Liszt qui rédige plusieurs pages alors qu’elle assiste le vieillard, le biographe allemand nous livre le récit d’un témoin, frappé par l’indigence et la misère d’un vieux compositeur, diminué, laissé à l’agonie par un entourage assez peu impliqué par son état. La réalité dépasse ici la fiction et le roman légendaire: il précise même dans quelles souffrance et dans quel isolement, Liszt, âgé de 75 ans, s’est éteint.
Alan Walker commente, introduit, annote les apports et l’enjeu du témoignage de Lina Schmalhausen. Aux côtés du texte proprement dit, le biographe de Liszt dévoile également les événements qui ont suivi la mort de Liszt à Bayreuth: ses obsèques, le « règlement » de sa succession, l’écriture de sa légende… Comment Cosima et son « clan » réécrivent le déroulement de l’histoire, les rapports de Liszt et Wagner, s’opposent de façon tenace à tout transfert de la dépouille du grand homme, de Bayreuth à Weimar, qui fut sa véritable patrie… Leur but (inavoué) est de servir la cause « Wagner à Bayreuth »… Le livre soulève bien des questions. Il pénètre en profondeur et sans pudeur mais avec pertinence dans la succession de son oeuvre, dévoilant le profil de Cosima dont le dévouement légitime et total pour l’oeuvre de son mari, Richard Wagner, s’exécuta parfois au détriment de la juste connaissance de l’oeuvre de son père. Alan Walker pour sa part, démêle les fils des écritures biographiques concernant Liszt: le travail des chercheurs n’a pas toujours servi la vérité et il est à souhaiter, comme le dit le découvreur du texte « interdit », que le journal de Lina Schmulhausen déplace de façon significative le centre de gravité du travail des biographes à venir. Passionnant.
Lire notre critique de La mort de Franz Liszt d’Alan d’après le Journal de son élève Lina Schmalhausen (196 pages, Buchet Chastel)

Illustration
Jean Vignaud: Franz Liszt, enfant, vers 1825 (Nîmes, musée des Beaux-Arts)

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