Mon Schubert
A l’occasion de la sortie du coffret « Schubert, The collector’edition » (50 cds) chez Emi, notre rédacteur Adrien de Vries évoque « son » Schubert. Portrait fantaisie du « Wanderer », mort le 19 novembre 1828, à l’âge de 31 ans…
Chant d’un autre monde
Pour Stravinsky, le chant de Schubert même dans ses « longueurs », mène au Paradis. Aucun autre compositeur romantique ne semble plus inspiré par l’idée d’un autre monde, serein et pacifique, dont il aurait la nostalgie. Ce monde dont nous parle le compositeur serait celui de l’enfance et de l’insouciance, de la pureté et de l’innocence.
Franz Seraph Schubert ne fut-il pas un ange égaré sur la terre, un être « séraphique », venu de l’au-delà, comme égrenant lied après lied ou sonate après sonate, ce rêve éveillé que font les génies, touchés par des visions enchantées? Finalement, la musique de Schubert nous parle d’un monde réhumanisé, pacifié, féerique, où l’explorateur termine son errance en s’adressant à son frère, son ami, son double. C’est un monde de l’intime et de la confession, où chacun se dirait à l’autre, je t’ai choisi car tu me ressembles. Un rêve de fraternité en somme, un idéal de civilisation et d’humanité.
Mort, mon amie, ma fin
La bonne âme de Schubert, qui a vécu ce que vivent les enfants, le temps d’une aube à peine consciente d’elle-même, soit presque 32 ans, depuis sa naissance à Vienne, le 31 janvier 1797, aime, chérir et caresser. Il aime se sentir aimé, entouré, choyé. Son père était maître d’école et sa mère, cuisinière. Des 14 enfants nés de ce couple modeste, quatre seulement survécurent dont le plus grand musicien Viennois, le maître du lied.
De sa précarité, Schubert semble avoir été toujours conscient. Je nais pour mourir. Et lui, plus tôt que tout autre. C’est pourquoi la mort paraît toujours, dans chaque phrase musicale, à l’ombre d’une exaltation. La fin n’est jamais effrayante: elle est attendue, consolatrice, bienvenue. C’est un sommeil doux et là encore fraternel, l’ultime caresse d’une amie rassurante. Mais dire adieu n’est pas simple et la dernière étreinte ne se fait jamais sans pleurs ni larmes, sans recul ni tension.
Alors la musique elle-même que ne peut être dite précisément, ne serait-elle pas le langage de l’ineffable, l’expression de ce voyage sans retour qui accompagne la révélation de ce désespoir mais qui en même temps, le transfigure et le rend finalement, acceptable?
Génie précoce, fausse naïveté
Un autre caractère de la musique de Schubert est sa précocité: Première Symphonie à 16 ans, puis, le lied Marguerite au rouet, à 17 ans (octobre 1814), surtout l’année suivante en 1815, à 18 ans, la perfection faite mélodie: Le roi des aulnes.
L’image d’épinal cultive un Schubert bon teint, naïf, douceâtre. Comme ailleurs, on ne saurait voir en Mozart, le trentenaire accablé, exténué, désespéré, d’une profondeur sincère et tragique… Si l’homme était humble et réservé, le compositeur était exceptionnel, et d’ailleurs, parfaitement conscient de sa valeur: « je ne suis au monde que pour composer », dit Schubert. Son lied « A la musique » ne dit pas autre chose. En composant, le musicien oeuvre pour l’éternité. Il nous dit l’expérience et les rêves de tout homme, sublimé par le verbe musical. Le désir et le remords, avec cette tendresse à hauteur d’homme qui se révèle bouleversante.
Ses deux cycles de lieder les plus essentiels, La Belle Meunière et le Voyage d’hiver, la fantaisie pour piano Le voyageur (wandererphantasie), composé en 1822, comme ses symphonies sont des marches, errances suspendues au battement d’un coeur, celui du voyageur. Ni guerre, ni drames contrastés à l’échelle du cosmos, comme chez Beethoven, mais la progression intérieure d’une aventure humaine, coûte que coûte. Ce rêve nostalgique d’un monde pacifié, que l’on oublie jamais, et vers lequel l’âme tend à chaque soupir d’une vie…
CDEn avril 2007, Emi publie un coffret essentiel de 50 cd regroupant les oeuvres majeures de Franz Schubert. Musique de scène et symphonie, musique de chambre et sonates pour piano, oratorio, musique religieuse et lieder… Lire notre critique de Schubert, The collector’s edition (Emi, 50 cd)
Illustrations
Portrait de Franz Seraph Schubert (DR)
Gustav Klimt, Schubert au piano (DR)