jeudi 24 avril 2025

Furtwängler’s love. Documentaire de Jan Schmidt-Garre (1 dvd Arthaus Musik, 2004)

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La musique est un acte d’amour
L’amour est l’essence même de l’interprétation, de la musique. Jouer, diriger, composer, puisqu’il fut aussi (et surtout) compositeur, tout est acte d’amour dans la vie du chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler. Décédé parce qu’il l’avait décidé, en novembre 1954, sur son lit d’hôpital à Baden Baden, permettant par là même à son éternel rival, Karajan, de prendre la tête du Berliner Philharmoniker, « Fu » comme on disait alors (comme les mêmes personnes parlaient aussi à l’époque de Kna, pour Knappertsbuch) reste une légende de la baguette, et certainement, le plus grand chef d’orchestre de la première moitié du XXème siècle. Dans la villa familliale au bord du Lac Léman en Suisse, son épouse, Elisabeth Furtwängler, née Ackermann, se souvient de leur première rencontre: en 1940, lors d’un dîner à Berlin: celle qui était alors veuve à 29 ans, ayant déjà quatre enfants de son précédent mari, mort à la guerre, ne se doutait pas qu’elle marquerait fortement le chef alors adulé, comptant pourtant son harem de conquêtes, bien qu’il fut toujours marié depuis 1923, mais séparé: un homme timide et réservé, qui cependant fera sa demande par l’intermédiaire de la soeur d’Elisabeth, Maria (elle-même un temps follement éprise du maestro).

Le réalisateur a construit subtilement son scénario: insérant dans l’évocation de leur rencontre puis de leur mariage en 1943, plusieurs extraits sonores de ses nombreuses déclarations sur l’art du chef, sur la musique, et ambition première à ses yeux, sur son activité de compositeur. Furtwängler incarne certainement, avant la spécialisation contemporaine que nous connaissons, le dernier des « chefs- compositeurs ».

Furtwängler compositeur
Homme de culture et de mémoire, Furtwängler s’inscrit dans le monde tonal. Lui qui a dirigé et même créé les oeuvres de Hindemith, Stravinsky ou Schönberg, reste attaché au système « classique » de la tonalité, où selon ses mots, « la cadence naît sur la base solide de l’accord« , où « la tension naît du relâchement »… ainsi qu’il l’explique lui-même. De fait, comme compositeur, Furtwängler nous a laissé plusieurs oeuvres de musique de chambre et deux Symphonies. Rencontré en 1940, épousé en 1943, le Furtwängler que connaît Elisabeth correspond au directeur du Philharmonique de Berlin, qui a décidé de rester en Allemagne, à l’époque du régime hitlérien, pour servir et perpétuer la grande musique allemande, celle de Bach, Mozart, Beethoven, Schubert… Après la guerre, Furtwängler qui s’est réfugié en Suisse, est suspecté de collaboration et sommé de s’expliquer sur ses années d’activité pendant le règne de la barbarie nazie: ce n’est qu’en décembre 1946, que dénazifié (étiquetté « sympathisant » par le tribunal militaire), le chef retrouve son orchestre à partir de mai 1947. Elisabeth Furtwängler précise que c’est Schönberg, rencontré à Paris en 1933 où il était exilé, qui convainc Furtwängler de demeurer en Allemagne, étant allemand de souche: il avait le devoir de poursuivre la tradition de la vraie culture allemande, celle humaniste et tolérante dans l’esprit de Goethe. Rester pour résister.

Au moment où en avril 2008, est célébré avec pompe et grandeur, le centenaire de la naissance de Karajan, cet « autre » que « Fu » ne daignait citer que par la première lettre du nom: « K », tant il n’appréciait pas son style et sa personnalité (bien que Karajan n’ait toujours estimé), ce témoignage vient à poings nommés relativiser le contexte par rapport auquel s’inscrit le travail de Karajan. Ce dernier s’est toujours inconsciemment référé (avec Toscanini) à la baguette de Furtwängler, y compris lorsque, seul commandeur à bord du vaisseau Salzbourg, il drigeait Don Giovanni, pensant non sans raison au fameux tempi de « Fu » dans son enregistrement légendaire de 1954, filmé en août précisément, quelques mois avant sa mort, en novembre suivant (le film en présente un extrait). Celui qui conseillait Celibidache sur l’approche des oeuvres de Bruckner, affirmant que tout dépendait des circonstances et du contexte présent, a toujours défendu de façon génial une esthétique fondée justement sur le présent de l’interprétation. Chaque oeuvre qu’il dirigeait donnait l’impression de sonner comme si elles venaient d’être écrites dans l’instant de la représentation. Plus que jamais la direction de Furtwängler reste présente et actuelle. Il reste inconcevable que ce grand chef ne devint directeur musical et poète de la baguette qu’à défaut d’être reconnu comme compositeur: le jeune Furt ne passa aucun examen, son père, célèbre archéologue, directeur de la glyptothèque de Munich, préférant lui assurer les conseils de professeurs de composition, en privé. Ce film sensible, dont l’écriture traduit une approche fine et poétique de son sujet, remarquablement construit à partir du témoignage de sa veuve, est un superbe hommage à l’une des figures les plus captivante de l’art de la direction.

Furtwängler’s Love. Film essai de Jan Schmidt-Garre. En bonus audio: l’éditeur ajoute circa 4 h30 de témoignages audio mp3 où Wilhelm Furtwängler s’exprime sur la musique, l’art de la direction, sur son activité de compositeur. Le lecteur que ce sujet passionne se reportera avec bénéfice sur le livre écrit par Elisabeth Furtwängler, « Pour Whilhelm » (comprenant plusieurs lettres inédites de 1941 à 1954. Préface de Daniel Barenboïm), édité en 2004, pour le jubilé de la disparition du chef, aux éditions L’Archipel. Les mêmes éditions ont publié pour le Centenaire de la mort de Karajan, en mars 2008, le livre de sa veuve, Eliette von Karajan, « A ses côtés ».

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