Perle comique
Près de 43 ans après qu’un couple mythique (Sutherland/Pavarotti) donnait sa version mémorable du chef-d’oeuvre comique et léger de Donizetti (en 1966 précisément), Natalie Desay et Juan Diego Florez offraient en janvier 2007, sur les mêmes planches du Covent Garden, leur propre lecture de l’opéra italien. L’atout de cette production londonienne qui s’exporte aujourd’hui au Met de New York et est même télédiffusée en direct dans plusieurs dizaines de salles françaises ce 25 avril 2008, doit aussi sa bouillonnante réussite à la mise en scène de Laurent Pelly. Ce dernier spécialiste d’Offenbach (souvenez vous : le trépidant Orphée aux enfers à Lyon avec la même sémillante Dessay, c’était déjà lui), sait toute l’alchimie délicate des dialogues parlés et des airs qui leur font suite, car La Fille du régiment (1840) est bel et bien un chef-d’oeuvre du genre opéra-comique. Le metteur en scène français cisèle la cocasserie facétieuses, en une série d’effets et de scènes délurés, ailleurs vulgaires, ici à leur juste place car justement et délicatement dosés. Comme nous l’avions relevé dans L’Elisir d’amore, à l’Opéra Bastille, Pelly a l’intelligence d’alterner bouffonnerie et poésie, d’extraire de toute scène a priori artificelle, son essence tendre, sincère, vraie.
Duo pétaradant
Dans une telle vision aussi finie qu’efficace, les deux solistes éblouissent autant par leur verve complice que ce piquant qu’ils savent apporter à chacun de leur caractère, et ce malgré une intrigue plutôt mince. D’autant que chacun s’est exercé avant les représentations à explorer un français parfaitement articulé. En garçon manqué, lutin audacieux, espiègle sorti de tranchées (à la fois Fifi brin d’acier et Gavroche) et aussi en fille de bonne famille, « La Dessay » époustoufle par sa malice, son jeu inventif, sa sensibilité et son naturel. La soprano coloratoure orfèvre un chant d’une finesse magicienne qui renouvelle et rend justice surtout au chant donizettien, hors de toute caricature comme de toute mignardise: du théâtre, de la vérité, une franchise sertie d’élégance et d’audace (une véritable héroïne populaire) … rien ne manque à la parure déjà somptueuse des talents de la Diva française que l’on retrouve ici au mieux de son énergie comme de sa santé vocale, d’autant plus admirable après sa petite méforme de la fin 2006. Dans le registre drôle et tendre, le rôle de Marie lui va comme une seconde nature (justesse émotionnelle d’ « il faut partir » qui marque la fin de l’acte I)…
Pareil constat vaut également pour le Tonio de Juan Diego Florez: finesse, tendresse, subtilité vocale, et présence scénique… difficile d’exiger davantage tant le personnage semble jaillir de l’interprète. Les reprises comme les notes hautes, perchées au sommet des vocalises (les contre-uts d' »ah mes amis« …), sont des joyaux de naturel qui montrent combien le ténor péruvien est capable de changer l’artifice (et l’acrobatie) en or scénique. Le chanteur, idéal aussi chez Rossini, sait moduler sans perdre l’ossature et le relief du mot et de son accentuation. Pour achever ce tableau qui s’apparente à un accomplissement, Bruno Campanella, dans la fosse, apporte la même science de la justesse, une série de prouesses exceptionnelles qui touchent continûment l’ouïe mais aussi le coeur, tant la présente version s’inscrit dans la sincérité. Saluons enfin Virgin Classics d’avoir filmé la réalisation qui tient du prodige. Après Manon, (avec Rolando Villazon), Natalie Dessay nous offre des témoignages audiovisuels, éclatants de son art. Une collection de trésors à voir et à revoir… grâce au dvd.
Gaetano Donizetti (1797-1848): La Fille du Régiment, opéra comique en deux actes (1840). Livret de Jean-François Bayard et J. H. Vernoy de Saint-Georges. Avec Marie, Natalie Dessay. Tonio, Juan Diego Flórez. La Marquise de Berkenfeld, Felicity Palmer. Sulpice Pingot, Alessandro Corbelli. Hortensius, Donald Maxwell. La Duchesse de Crackentorp, Dawn French. Orchestre et chœurs du Royal Opera House. Bruno Campanella, direction. Mise en scène: Laurent Pelly. Parution française: le 21 avril 2008.
Radio
France Musique diffuse en direct du Metropolitan Opera de New York, la production de La fille du régiment, mise en scène par Laurent Pelly, avec le duo Natalie Dessay et Juan Diego Florez: samedi 26 avril 2008 à partir de 19h30. En simultané et dans les salles de cinéma partenaires de l’opération de diffusion en direct, l’opéra sera aussi télédiffusé.