mardi 22 avril 2025

Genoveva, un opéra romantique (1847-1848)

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Jusqu’en 1839, l’œuvre musicale de Schumann est pianistique et littéraire. L’homme s’évade et se projette dans l’irréel, la féerie, l’imaginaire. Le lied et les œuvres pour piano seul, témoignent d’une aspiration volontairement cultivée, en dehors du réel. Tout prépare l’avènement de l’orchestre et surtout de l’opéra qui dans sa pensée, fusionne davantage, création artistique, poésie et musique. C’est curieusement au même moment que Wagner et dans la même ville, Dresde, que Robert Schumann s’intéresse à la notion de scène lyrique. Spectacle total dont l’enchantement et l’action sont portés par le flux musical.


Elaborer un opéra romantique, en langue allemande.
Si l’homme aime tisser en images vaporeuses et inextricables, ses états d’âme, s’il cultive ce flottement imprécis et diffus des sentiments exprimés dans une musique aussi riche que la prose proustienne, les étapes de la création sont cependant très aisées à suivre. 1841 : éclosion de ses œuvres pour orchestre. 1842 : essor de sa musique de chambre. Il ne manquait plus dans les années suivantes, que la musique dramatique et vocale. Son unique opéra, Genoveva, créé à Leipzig, le 25 juin 1850, réalise l’ambition de Schumann, moins dramaturge que poète lyrique.

Après Mozart, à la suite de Weber, contemporain de Wagner, Schumann s’intéresse lui aussi à la conception d’un drame allemand : « Savez-vous quelle est ma prière du soir ? Elle s’appelle l’opéra allemand. Il faut réaliser cela… », écrit-il en 1842 à Kosmaly.

Comme Berlioz avait imaginer son Faust pour le concert, moins pour la scène au sens classique du terme, Schumann aborde l’opéra comme une œuvre musicale globale, où la musique devenue verbe prime toute action visuelle. C’est l’imaginaire suscité par le flamboiement nouveau de l’orchestre qui créé ici l’action, la catastrophe, sa résolution.
Il s’agit d’imaginer un équivalent esthétique à l’opéra italien et français. Mais une drame nouveau, romantique, résolument germanique.
Il est lui aussi tenté par le Faust mais sous une forme d’oratorio, comme il l’a réalisé avec La Péri, œuvre symphonique, moins théâtrale, mais sollicitant comme l’opéra italien, chœur et solistes.

Lecteur assidu des poètes et des grands dramaturges, de Jean-Paul, Hoffmann à Byron, Schumann évoque maints projets de sujets lyriques, autant de pistes qui révèlent une atmosphère culturelle dont l’aboutissement partagée est essentiellement lyrique.

En 1845, il écrit à Mendelssohn son étonnement après avoir entendu le Lohengrin de Wagner. Lui-même songeait au même sujet pour en faire un opéra ! Finalement, toutes ses ébauches doivent jétées au panier… La convergence des projets artistiques est indéniable. Mais leur différence stylistique allait démarquer les tempéraments, et affirmer la suprématie wagnérienne en la matière.

L’opéra selon Schumann. Pour Schumann, l’opéra doit découler du texte, en être le symptôme, le miroir privilégié. Ni accompagnement ni faire valoir mais double, ou pendant harmonique. Le chant des instruments, l’ivresse des voix sont traités sur un pied d’égalité, et mêlés, produisent la résolution du spectacle. Esthétiquement, Schumann s’écarte de Meyerbeer, il se rapproche naturellement de Weber.
Vis-à-vis de Wagner, il s’est souvent exprimé, nuançant ses réserves du début : il reconnaît une indéniable séduction scénique à Tannhäuser. Mais lorsque l’auteur de Lohengrin lui soumet quelques idées d’amélioration dramaturgique pour sa Genoveva, Schumann les rejette en bloc, certain de défendre seul, l’idée d’un authentique drame romantique allemand.
Si Wagner se soucie autant de cohérence musicale que d’unité dramatique, Schumann par tempérament et culture, privilégie surtout l’idée poétique. La trouvaille musicale prime sur la contingence scénique. C’est pourquoi l’on a tort d’évaluer, – comme on le fait toujours-, la réussite de son opéra Genoveva, sous le seul registre dramaturgique et théâtral.
Entre visuel et musique, théâtre et chant, Schumann, même si la notion d’action lyrique l’occupe, a choisi. L’essentiel de sa partition intéresse le concert plutôt que la scène.

Genoveva. Après avoir développé musicalement La Péri (1843), Schumann choisit finalement Genoveva comme sujet de son « opéra ». Il travaille sur ce nouveau chantier en 1847 et 1848. L’élaboration de l’œuvre à quelques semaines près, est strictement contemporaine du Lohengrin de Wagner.
D’après la tragédie de Hebbel, il a demandé à Reinick, la rédaction d’un livret. Mais le texte manquant de force, le compositeur, comme Wagner, écrit lui-même le texte dramatique. Il radicalise le personnage de Golo, révise la continuité de l’acte III, en particulier la scène du miroir et surtout, estompe la résolution tragique du sujet, préférant contre l’avis de Wagner, une fin heureuse, qui fait l’apothéose de la fidélité conjugale. Ses modifications esthétiques s’expliquent nous l’avons vu par le goût poétique et littéraire de Schuman qui préfère la narration, en cela proche du lied, à l’action proprememnt dite. En ce sens, Genoveva marque une extension de la forme symphonique associée à une trame narrative, amplification du principe initié avec La Péri. Il est vrai aussi, qu’adepte de l’oratorio, Schumann était resté très impressionné par la Première nuit de Walpurgis de son ami tant admiré, Mendelssohn (1843) qui lui avait indiqué, une résonance nouvelle pour l’écriture orchestrale.
De fait, après Genoveva, le musicien ne renouvelle pas ses essais dans la forme lyrique classique.
Il s’intéresse plutôt à poursuivre dans l’imaginaire du concert, une forme pleinement évocatrice, narrative, proche de l’oratorio, en une amplification orchestrale et vocale du lied, sur le thème de Faust.
Ce Faust qui le rapproche de Berlioz, l’occupe pendant toutes les années 1840. Avant Genoveva, il écrit la troisème partie (1844). Après Genoveva, il compose ensuite la première (1849) puis deuxième partie de Faust (1850), qui reste son chef-d’œuvre absolu sur le plan vocal.

Le sujet de Genoveva. Schumann que son amour partagé pour Clara a toujours inspiré et même équilibré, aborde avec Genoveva, l’image de la femme vertueuse, injustement condamnée, mais qu’un coup de théâtre, sauve, in extremis, de la mort et de la honte.
Il s’agit au travers d’une narration assez terne, de l’apothéose de la fidélité féminine, et après épreuves et châtiments, de la reconnaissance de la nature vertueuse d’une épouse humiliée.
La conception psychologique de Genoveva est beaucoup moins fouillée que celle de Lohengrin par exemple, opéra contemporain de Wagner. Si les deux ouvrages puisent dans la légende médiévale, leur point de convergence s’arrête là : déjà, Wagner explicite les thèmes récurrents de son théâtre, celui là même qui ira s’affinant avec l’œuvre à venir, le Ring : malédiction de l’homme, vertu rédemptrice de l’amour, opposition de la politique au bonheur des individus…
Lohengrin pour Wagner est l’illustration autobiographique de sa souffrance et de sa solitude, de son impossibilité personnelle à trouver la femme qui le comprend et l’aime avec une loyauté aveugle. Lohengrin, c’est Wagner, la figure éternelle et sublime de l’artiste en opposition avec la société de son époque, un héros incompris qui ne trouve pas encore d’égal, de pair, de semblable.

Dans Genoveva, rien de tel sinon l’anecdote d’une ép
ouse fidèle, attendant son époux parti en croisade, qui aurait été exécutée si le musicien n’avait tiré artificiellement de son inspiration, une issue bien peu vraisemblable.

Schumann pense la musique comme un poète et son unique opéra souffre d’un indiscutable déséquilibre dramaturgique. Mais la musique relève ici l’impression générale, elle compense ses faiblesses théâtrales, tant pour son premier essai lyrique, comme ce fut le cas de ses symphonies, son inspiration fulgurante et première est miraculeuse. L’ouverture comme de nombreuses pages extraites des quatre actes de son opéra, -prises hélas isolément-, sont de sublimes aboutissements romantiques.

discographie

Kurt Masur, 1976
Dietrich-Fischer Dieskau (Siegfried), Edda Moser (Genoveva), Peter Schreier (Golo)… 2 cds Emi.
Le seul enregistrement disponible en cd est de loin le plus convaincant. Difficile de réunir un plateau de solistes, psychologiquement aussi vraisemblable d’autant, comme nous l’avons dit, que la conception des caractères relève davantage de la légende anecdotique, que du grand opéra tragique (et pour cause puisque l’action s’achève sur une fin heureuse des plus convenues). Edda Moser « est » Genoveva. Kurt Mazur fait chanter l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig avec une sensibilité féérique qui rend justice à l’une des partitions les plus éblouissantes composées par Schumann.

illustrations

Baron Gérard, Marquise Visconti (1810)
Boilly, Une mère et son fils (1818)

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