Giuseppe Verdi
La Traviata, 1853
Cynisme
d’un destin comptable
Plutôt que d’évoquer en la condamnant la carrière d’une « dévoyée » (selon la traduction en français de « Traviata »), Verdi, ému au moment où il découvre le texte d’Alexandre Dumas fils, « La Dame aux camélias » d’après la vie authentique de Marie Duplessis, courtisane célèbre pour sa beauté dans le Paris des années 1820, s’intéresse plutôt à peindre l’épreuve assumée et finalement miraculeuse, d’une pécheresse.
Violetta Valéry a tout pour elle: la jeunesse et la grâce, la beauté, la gloire, la fortune et l’admiration des hommes. Mais pour prix de cette réussite, la belle a sacrifié son âme et sa moralité en monnayant ses charmes. C’est un sacrifice qui s’avère lourd à porter, surtout quand, alors qu’elle ne s’y attend pas, un pur amoureux, sincère et juvénil, s’éprend d’elle, annonçant l’avènement d’une autre forme d’amour. Non plus le vil amour commercial et vénal, mais l’amour chaste et pur qui unit deux êtres sincères.
Le rapport s’inverse donc, lorsqu’Alfredo tombe amoureux de la Courtisane qui décide de tout abandonner pour lui.
C’était compter sans la main cynique et comptable du destin. La pécheresse doit payer d’autant qu’elle se sait aussi condamnée par la maladie… Son temps est mesuré comme ses possibilités de salut. Elle devra donc renoncer à ce qu’elle a de plus cher, l’amour d’Alfredo. Le père de son jeune amant lui demande de cesser cette relation qui entache la moralité de leur famille. La courtisane accepte, quitte sans donner raison Alfredo et retourne aux artifices illusoires de sa vie dissolue.
Violetta, pêcheresse miraculée
Hantée par la mort, figure vivante de l’expiation douloureuse, Violetta devient sous la plume de Verdi, une héroïne tragique comme l’attendait l’opéra romantique, à la suite de Marguerite, Norma, Lucia, Gilda… Femme blessée, autosacrifiée, et du fait de sa souffrance, miraculée au terme de ses épreuves. L’opéra raconte cette progression ténébriste et solitaire, qui mène Violetta de l’ombre du péché à la lumière finale, celle de son salut.
Certes, si Alfredo et son père Germont pleurent la dépouille de la jeune femme (Marie Duplessis est morte à l’âge de 24 ans), les spectateurs applaudissent au miracle conclusif: pécheresse au début de l’action, Violetta meurt rachetée par l’expiation de ses fautes, dans le sacrifice qui lui a été imposé par la voix de Germont. Huit-clos à trois personnages, La Traviata fixe aussi le trio désormais infernal du théâtre lyrique à l’âge romantique, une soprano languissante, aimée par un ténor à l’ardente activité. Leur union est rompue par le baryton, agent d’un destin contraire, qu’il soit le rival du ténor ou l’arme d’une loi inflexible.
L’ouvrage qui connut une sévère déconfiture lors de sa création vénitienne (La Fenice) en mars 1853, est l’une des partitions les plus jouée aujourd’hui. Succédant au Trouvère (janvier de la même année), à Rigoletto (mars 1851), La Traviata appartient à l’un des cycles de création les plus inspirés de Verdi.
Illustration
Franz Xaver Winterhalter, portrait de madame Barbe de Rimsky-Korsakov (1864. Paris, Musée d’Orsay)