Giuseppe Verdi,
La Traviata, 1853
France 3.
Le 14 avril 2007 vers 22h30
L’Heure de l’Opéra
Documentaire, 2006. 52 mn. Réalisation: Jérémy Rozen
Casting de rêve
Après un premier volet consacré au Barbier de Séville de Rossini, Alain Duault analyse et commente un nouvel ouvrage lyrique, La Traviata de Giuseppe Verdi. L’oeuvre créée à la Fenice de Venise, le 6 mars 1853, connut un échec retentissant, a contrario de son succès actuel.
Casting de rêve ce soir au programme du deuxième documentaire de la série « L’heure de l’opéra » proposée par France 3. Les meilleurs interprètes de l’heure répondent aux questions d’Alain Duault: les Violetta d’hier (Ileana Cotrubas qui fut une Violetta d’anthologie sous la direction de Carlos Kleiber!), et de demain (Natalie Dessay qui chantera le rôle en 2009), sans omettre celle d’aujourd’hui: rien de moins que la soprano qui monte, née russe, citoyenne autrichienne depuis peu, l’irrésistible Anna Netrebko. De nombreux extraits musicaux sont tirés de la production enregistrée au Festival de Salzbourg en 2005, avec la soprano, et Rolando Villazon, son partenaire de prédilection.
Autres témoins: June Anderson, Patrizia Ciofi, le chef Jean-Claude Casadesus et la metteuse en scène, Irina Brook. En complément, un hommage est rendu à Maria Callas qui sut en 1955, exprimer l’humanité émouvante de la comédie de moeurs.
Comédie de moeurs, sombre et sacrificielle
L’histoire des papillons d’un jour a toujours fasciné les imaginations ardentes et romantiques. La vie de la vraie « Traviata » fut un feu de paille, aussi flamboyant qu’éphémère. D’ailleurs, la production lyrique qui illustre le propos, dans la mise en scène de Willy Decker, met l’accent sur le sentiment d’un temps compté. L’héroïne a-t-elle conscience de vivre ses derniers instants au travers d’un amour miraculeux? C’est pourtant ce qui se passe et lui assure, d’une certaine façon, sa rédemption après une vie de débauche et de perdition morale.
De son véritable nom, Alphonsine Duplessis née en Normandie devint à Paris, Marie Duplessis, l’une des courtisanes les plus célèbres du Paris des années 1820. Elle devait mourir à 24 ans. L’un de ses admirateurs, Alexandre Dumas fils lui dédia son roman et une pièce de théâtre, « La Dame au camélias » où l’héroïne s’appelle Marguerite Gautier. Verdi remarque la pièce et décide de l’adapter en opéra: ainsi la Traviata (la dévoyée) allait naître sous le nom de Violetta Valéry.
La Traviata est un ouvrage sombre et sacrificiel, pourtant emprunt d’un certain mysticisme amoureux. Au moment de mourir, Violetta Valéry, courtisane parisienne, suscite un pur amour, celui d’Alfredo. Touchée par son innocence et sa pureté, la courtisane se laisse séduire, s’éveillant peu à peu à cette idylle sincère.
Sous la pression sociale, incarnée par le père du jeune homme, la femme renonce au désir naissant afin de ne pas ternir l’honneur de la famille de son jeune amant. Dure loi de l’opéra que d’opposer toujours, la liberté des coeurs à l’inflexible morale bien pensante. Le rôle est devenu incontournable pour toute soprano dramatique, soucieuse d’imposer en plus de sa vocalità, un jeu dramatique, intense et tragique.
Verdi traite ici pour la première fois, une intrigue dont le cadre est sa propre époque: le Paris du XIXème siècle. Le dramaturge qui a souvent traité le roman historique d’après Hugo ou Shakespeare, s’intéresse, en un huit clos à trois (Violetta, Alfredo, Germont qui est le père d’Alfredo), à un fait divers, une comédie de moeurs, intimiste, presque étouffante. Visions des interprètes sur chacun des personnages, commentaires sur la musique et le développement du drame qui trouve aussi dans la vie personnelle du compositeur de douloureuses résonances, la réalisation du documentaire s’avère instructive.
En 52 minutes, tous les aspects d’une oeuvre majeure de l’opéra romantique italien nous sont révélés.
Après le documentaire, la version intégraleLe documentaire est suivi de la diffusion de l’opéra dans sa version intégral. Certes les versions de légende ne manquent pas : Maria Callas, Ileana Cotrubas, voire Montserrat Caballe, autant d’enregistrements aujourd’hui, heureusement gravés, dont le disque garde le souvenir… Mais côté vidéo? Depuis l’essor du dvd, les mises en scènes sont l’autre aspect qui pèse dans la balance d’une vérité dramatique souvent malmenée. Alain Duault a l’idée juste d’illustrer son documentaire par la version intégrale de la production produite au Festival de Salzbourg en 2005.
Pour beaucoup de mélomanes, le film fut un choc. Paru après l’album cd, le film en dvd édité aussi chez DG rétablissait la « vérité » des acteurs, la justesse de leur personnage, dans le dispositif à l’implacable froideur de Willy Decker.
On avait souligné la faiblesse vocale des chanteurs, on découvrait la cohérence du spectacle.
La palme de ce « miracle » visuel et filmique revient pour beaucoup à la caméra de Brian Large qui parvient, insigne de pertinence, à restituer, le souffle et l’urgence, l’émotion et la sensibilité du spectacle vivant.
Avec une volonté affirmée, récurrente de serrer les visages, piéger les plans rapprochés afin de mieux saisir la psychologie des protagonistes.
La netteté des contrastes entre le blanc et le noir où « crie » le rouge sang de la robe pourtant fleurie de Violetta, rose fatale, accable davantage le déroulement de cette « tragédie ». Avec ses airs d’Amfortas, Hampson (Germont) incarne un père et un homme loyal, blessé, digne, compassionnel. Villazon paraît hagard, en suspension, égaré, perdu comme un enfant démuni, et Netrebko, sur laquelle tout un milieu musical a fondé ses rêves (fantasmes), ses espoirs surtout, donne une dimension très humaine, presque terrassée de la courtisane, prise dans les rets de l’amour… Chacun est victime, en proie à des expressions propres au cinéma des années 1940: c’est décapant et grandiose. Pleinement investi, incarné. Théâtralement bouleversant car ici le chant n’est qu’un élément de la tension scénique, pas son aboutissement. Le sublime à l’opéra, comme on aime! Un très grand spectacle.
Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata
Violetta Valery : Anna Netrebko
Alfredo Germont : Rolando Villazon
Giorgio Germont : Thomas Hampson
Annina : Diane Pilcher
Dottore Grenvil : Luigi Roni
Wiener Philharmoniker
Carlo Rizzi, direction
Enregistrement en public, Festival de Salzbourg 2005
Mise en scène : Willy Decker. Réalisation : Brian Large
La production salzbourgeoise est l’objet d’un dvd incontournable, paru chez Deutsche Grammophon.
Illustrations
William Bouguereau, Vénus (DR)
Le duo désormais légendaire qui éblouit le festival de Salzbourg 2005 : Anna Netrebko et Rollando Villazon (DR)