Verdi télégénique
Télé, Mezzo et Arte: trois opéras de Giuseppe Verdi en juin 2008, soirées des 12, 14 et 21 juin 2008. En juin 2008, les chaînes télévisuelles semblent s’être donné le mot pour souligner le génie dramatique du compositeur italien romantique, Giuseppe Verdi. Mezzo diffuse deux opéras du Maître de Busseto: Otello (1887), jeudi 12 juin 2008 à 20h30, puis I Due Foscari (1844), samedi 14 juin 2008 à 20h30. Arte de son côté, parachève le tryptique et transmet en direct, Rigoletto (1851), samedi 21 juin 2008 à 21h, depuis le Semper Oper de Dresde !
Mezzo
Jeudi 12 juin 2008 à 20h30
Otello (1887) est une oeuvre au noir, traversée par le génie poétique et épique du grand William. Verdi s’est à de nombreuses reprises inspiré de Shakespeare. Dans Otello, son écriture saisit par l’intensité des climats musicaux, une partition orchestrale aussi riche que subtile qui éclaire de l’intérieur la psychologie du Maure et sa jalousie destructrice à l’encontre de sa bien aimée, Desdémone. Dans cette production espagnole, mise en scène par Willy Decker en février 2006 sur les planches du Liceu de Barcelone, le ténor argentin José Cura (à 44 ans alors, né en 1962 à Rosario) campe un fier et éruptif Otello, animal fauve à la virilité sanguine, entre la transe et la passion (on reste néanmoins réservé quant à sa diction inexistente et son émission constamment basse): mais s’il s’agit d’une couleur volontaire marquant la maladie continue qui le ronge, alors nous applaudissons cette conception léthale, impuissante malgré ses sursaut de violence.(Notons la captation au dvd d’André Chénier de Giordano sur la scène du Teatro Comunale de Bologne en 2006 également où le soliste paraissait de la même façon emplombé. Lire notre critique d’Andrea Chénier, avec José Cura, 1 dvd TDK). A ses côtés, une très honnête distribution brosse une série de portraits solitaires dont évidemment la Desdemona à la sensibilité saillante de la soprano bulgare Krassimira Stoyanova qui fait alors ses débuts au Liceu. Lado Atanelli campe un Iago solide et carré, agent diabolique percutant.
D’autant que le dispositif scénique de Willy Decker, avec son système de trappes qui montent et se relèvent, avec ses codes de couleurs contrastés voire électriques, conçoit la scène comme un piège: tout converge de façon étouffante dans le sillon de la jalouisie et du poison soupçonneux. Le rouge omniprésent (tapissant les hautes parois de l’espace. Décors de John McFarlane) transpire un état instinctif, où règnent la peur et la désespérance en un embrasement nocturne. Venise au pays des cauchemars. La mise en scène intelligente et claire, doublée par un orchestre fin, scintillant, vivant reste l’élément le plus convaincant. Les choeurs sont parfaits: humanité blanche, balancée entre les mouvements de la passion des solistes. tout Shakespeare nerveux, cynique et autant poétique et féerique, paraît ici mais en version lyrique, grâce au duo légendaire composé par Verdi et son librettiste, Arrigo Boïto. Les deux compères devaient ensuite réussir un nouveau chef d’oeuvre: Falstaff. Pour l’heure, sous la direction d’Antoni Ros-Marba, d’une ardeur fouillée, la soirée est plus que recommandable: expressionniste et fantastique dans le déploiement scénique géométrique et synthétique de Willy Decker. Mezzo, jeudi 12 juin 2008 à 20h30.
Mezzo
Samedi 14 juin 2008 à 20h30
I Due Foscari (1844), adapté par Piave d’après le roman éponyme de Byron, est une partition sombre, noire également qui cependant ne sort pas d’un canevas ni d’une écriture assez scolaires. L’oeuvre n’est d’ailleurs que rarement donnée sur la scène des théâtres. En provenance de La Scala de Milan, sous l’ère Riccardo Muti (2003), la production fait entendre le vibrato intense de la soprano Dimitra Theodossiu dans le rôle de Lucrezia. Le baryton Leo Nucci, spécialiste des rôles tragiques verdiens offre au personnage du doge Francesco Foscari, le père de Lucrezia, noblesse et tendresse émouvantes. Heureusement habitée, la nervosité âpre et musclée de maestro Muti sert très efficacement l’action d’une partition convenue qui enchaîne assez mécaniquement, il faut bien le reconnaître, récitatifs et arias. Le tout dans une mise en scène, plutôt classique de Cesare Lievi. Mezzo, à partir du 14 juin 2008 à 20h30.
Arte
Samedi 21 juin 2008 à 20h30. En direct
Rigoletto (1851) fait figure de pièce maîtresse, volet du « tryptique de la maturité », avec La Traviata et Le Trouvère (1853). Dans cette production chicissime, avec le duo épatant, lumineux, racé, stylé, vocalement irréprochable de Diana Damrau (Gilda) et Juan Diego Florez (Duc de Mantoue), l’action superbement traitée par Verdi, d’après Victor Hugo (Le Roi s’amuse) resplendit par ses éclairs fulgurants en particulier dans la scène finale de la tempête où se précipite l’action: meurtre de la fille, à cause du père qu’une malédiction conduit à commettre l’impensable, le plus effroyable des sacrifices… Dans sa pièce, Hugo parlait explicitement de François Ier. Dans l’opéra, Piave, encore lui, transfère l’action à Mantoue au XVème siècle: même si l’opéra porte le nom du baryton (à suivre, le serbe Zeljko Lucic, déjà remarqué en Germont dans La Traviata aixoise de 2003 avec Mireille Delunsch…), le compositeur a surtout troussé de superbes airs (trois au total) pour le ténor, ce Duc continent et lâche, aussi inconstant qu’infidèle qui d’ailleurs applique la légèreté qu’il dénonce chez la femme (La donna è mobile) pour lui-même: comble de l’hypocrisie! Mais porté par le chant aristocratique de Florez, le rôle récupère toute notre admiration. Quant à Diana Damrau, elle est irrésistible: soprano fragile, ardente, cristalline et sacrifiée. Dans la fosse du Semperoper de Dresde, Fabio Luisi dirige une Staatskapelle maison crépitante et sanguine. D’autant que la mise en scène du wagnérien Nikolaus Lehnhoff, essentiel et vénéneux, s’entend à merveille avec la direction tout autant stylée et vive du chef italien. Grande soirée de vocalità verdienne et de souffle dramatique. Spectacle incontournable. Lire notre dossier Rigoletto de Giuseppe Verdi avec Juan Diego Florez sur Arte, samedi 21 juin 2008 à 21h.