Gluck
Iphigénie en Aulide, 1774
Le 31 mars 2007 à 20h45
Le 1er avril 2007 à 13h45
Le 10 avril 2007 à 15h45
Le 13 avril 2007 à 3h45
Le 20 avril 2007 à 15 h45
Opéra. Production de la Scala de Milan. Choeur, ballet, orchestre de la Scala de Milan, direction: Riccardo Muti. Avec : Christopher Robertson [Agamemnon], Daniela Barcellona [Clytemnestre], Violeta Urmana [Iphigénie], Stephen Mark-Brown [Achilles], Ildar Abdrazakov [Calchas]. Mise en scène et décors : Yannis Kokkos – Chorégraphie (divertissements) : Mischa Van Hoecke.
Que penser de cette production milanaise ? Au Teatro degli Arcimboldi de Milan, Riccardo Muti dirige avec nervosité et parfois tension, le drame tragique de Gluck. La mestro a choisi le final que Wagner a réécrit en 1847 pour les représentations qu’il dirige à Dresde. Iphigénie ne sera pas sacrifiée mais accompagnera ses vieilles années comme prêtresse de Diane en Tauride. La production est ambitieuse : décors de Kokkos avec ses grands miroirs panoramiques en fond de scène, éclairant le mouvement des groupes, ballets grandiloquents, décors impeccables et clairs… mais le spectaculaire prime sur l’analyse psychologique et les données de l’action. Le spectacle est glacial et la poésie, souvent absente. Dommage par ailleurs que Violeta Urmana incarne une Iphigénie vocalement attachante mais au français massacré.
Purger le théâtre lyrique
« Je me suis efforcé de limiter la musique à sa véritable fonction, qui est de servir la poésie avec expression, tout en suivant les étapes de l’intrigue, sans pour autant interrompre l’action et en évitant de l’étouffer par quantité d’ornements superflus »… ainsi Gluck précise-t-il ses intentions dans sa préface d’Alceste, drame funèbre qui lui fut probablement inspiré, avec son librettiste Calzabigi, par la mort de l’empereur François Ier (1765). Ce texte autographe qui a valeur de « manifeste esthétique » et annonce tout l’oeuvre lyrique à venir, est dédié au duc de Toscane, le futur Leopold II.
Plus d’acrobaties et de pirouettes vocales, plus de diluation superfétatoires: il s’agit bien de renouer avec la pureté de la tragédie antique (du moins dans l’idée que Gluck s’en fait), d’assainir le théâtre lyrique par une bonne purge, en le nettoyant de tous ses oripeaux inutiles. Le drame, l’articulation du drame et du poème: voilà la réforme qui point alors sous la plume de Gluck.
L’intention est claire. Les résultats moins certains. L’accueil réservé à Alceste fut assez tiède, le compositeur, point encore à son aise s’est embarassé d’une narration qui piétine et n’atteint pas assez cette efficacité annoncée. La reprise d’Alceste à Paris, objet de coupures et de réadaptations, sera nettement plus convaincante.
La grande aventure française
Justement, la France est la grande aventure de Gluck. Son aura faiblit à Vienne. Et lorsque l’opportunité d’une place se dessine avec d’autant plus d’évidence quand son ancienne élève, Marie-Antoinette, devient Dauphine de France, le compositeur ne se fait pas prier. Il éblouira la scène parisienne et versaillaise de son style réformiste. A la fin de 1771, Gluck reçoit le livret d’Iphigénie en Aulide d’après Racine que Bland du Roullet vient d’adapter. Ce dernier fait miroiter de plus, la possibilité de monter l’opéra qui en découlerait, sur la scène de l’Académie royale. Marie-Antoinette soutient ce projet d’autant qu’elle ne souffre pas le style français de Rameau. La machine lyrique post lullyste l’ennuie. Gluck sera le champion de son désir de renouveau musical. De fait, Iphigénie, accueillie avec enthousiasme, à sa création le 19 avril 1774, déclenche le ravissement de l’auditoire, mais son ascension auprès du public est brutalement mise en faillite avec le deuil national qui suit la mort de Louis XV, en 1774.
Mais Marie-Antoinette devenue Reine de France, favorisera davantage son favori, qui créera pour les planches françaises, plusieurs tragédies lyriques, selon son esthétique néo antique, claire et intelligible, d’une sobre et solennelle pureté grecque, créant de nouveaux drames, recyclant d’anciens, comme Orfeo et Alceste, préalablement créés à Vienne, plus de dix années auparavant!
Iphigénie en Aulide
Contrairement à ce qu’on en dit, la première Iphigénie de Gluck (le compositeur composera à la fin de son séjour en France, une « Iphigénie en Tauride », créée le 18 mai 1779) est musicalement respectueuse de son esthétisme: grandeur héroïque, lyrisme sobre et sincère, toujours la musique suit la volonté de clarté et d’intelligibilité. En ce sens l’ouverture est éloquente: son souffle tragique, sa démonstration furieuse indiquent ce qui attend l’auditeur par la suite. Sur le plan de l’intrigue et de l’action poétique, il n’en va pas de même car le livret de Roullet dilue la tension, dérape souvent, répète jusqu’à l’ennui les épanchements des coeurs, les langueurs des âmes douloureuses… Pourtant, sur le plan musical, l’oeuvre offre quelque grands moments dramatiques: première scène enchaînée après l’ouverture où Agamenon terrassé par le doute et la crainte, fait front à Calchas et un choeur furieux, par exemple. Du reste, le père d’Iphigénie est parfaitement restitué: noble basse, profonde et morale. Gluck a respecté dans son personnage l’idéalisme tendu de Racine. Les scènes collectives sont les plus inspirées: Gluck semble relire avec génie l’effet des compositions grecques sur le tympan des temples antiques. Plusieurs duos, un trio palpitant, deux quatuors font du compositeur, le fondateur de l’opéra tragique et sentimental, légitimement admiré par Berlioz et donc Wagner.
Dans la voie de ce premier succès, Gluck réadapte ensuite pour Paris et Versailles, ses anciens opéras viennois, Orfeo (1774) et Alceste (1776), imposant en France, sa réforme désormais décisive dans l’évolution du goût théâtral.
Illustration
Anselm Feuerbach, Iphigénie, 1871 (Stuttgart, Staatgalerie)