Charles Gounod
Editions Fayard
Mireille, Roméo et Juliette, et aussi le si décrié Faust... (que détestait Richard Strauss) les opéras de Charles Gounod ont fait les beaux soirs du Second Empire et de la IIIè République. Pourtant ils font oublier ses autres opus tout autant « percutants » (n’en déplaise à Tourgueniev): Le Médecin malgré lui, Sapho, La Nonne sanglante, Philémon et Baucis, La Colombe, Mors et Vita, Cinq Mars, Polyeucte, et que dire encore des musiques de scène dont Ulysse ou Le songe d’Auguste... dont Gérard Condé souligne la « fraîcheur d’expression », la « pureté d’écriture », emporté par un « style résolument personnel ».
Pour autant savons-nous aujourd’hui combien Ravel avait raison de déclarer que Gounod était bien : « le véritable instaurateur de la mélodie en France« … après Berlioz évidemment. Mais pour l’auteur du Boléro, Gounod « a retrouvé le secret d’une sensualité harmonique perdue depuis les clavecinistes des XVII et XVIIIè ».
L’auteur de cette nouvelle biographie capitale rétablit le compositeur dans une perspective globale, abordant les pans demeurés dans l’ombre, injustement: mélodies, certes mais surtout musique sacrée: Gounod dans le sillon de Bach relie sentiment fervent et sincère, et acte musical. Qui connaît aujourd’hui les oratorios, le Requiem, ses messes solennelles et ses cantates?
Deux parties s’offrent à notre lecture: un portrait du musicien (« par petites touches« ) par ses témoins, amis, proches (dont Saint-Saëns, Lalo, Dukas, Bruneau, Suarès, Tourgueneiv (plutôt critique et réservé), Fanny Mendelssohn…, puis une biographie plus serrée, de celui qui avouait lire passionnément la Bible (son texte de chevet) et aimer tout autant sa mère…, c’est une approche jour après jour ou presque, « à la trace », intitulée « au fil des jours« , année après année, dont les apports, exhaustifs en bien des aspects, s’appuient sur une étude critique des sources majeures: la correspondance (à partir de 4.500 lettres environ), et de nombreuses autres documentations avérées.
L’amateur sera exaucé: l’auteur présente chaque oeuvre produite (dont nombre de pièces méconnues: messes, motets… aux côtés des plus célèbres opéras ci-dessus mentionnés) en en restituant l’enjeu esthétique, musical, poétique.
En prime, on y découvre l’appétence du compositeur pour la plume: il se rêvait écrivain, amorçant nombre de texte jamais achevés de portée esthétique et philosophique, en passant par un traité sur l’utilisation raisonné du nouveau cor à piston. Néanmoins, il nous reste des écrits délectables sur les chefs d’orchestres, les critiques dont il remarque les limites et la futilité…, le public, et aussi l’opéra Henry VIII de Saint-Saëns dont il loue le sens de la mesure (musicale), sa propension exemplaire à composer avec « ce qu’il sent et ce qu’il sait », ou le Don Giovanni de Mozart dont il célèbre le génie qui sait quant à lui, faire correspondre beauté formelle correspondant et vérité d’expression.
Grand bavard sur la musique, et pas que sur la sienne, Charles Gounod paraît tel qu’en lui-même: avide, curieux, sanguin, idéaliste,… grand admirateur de Mozart. Son portrait attablé à son bureau de composition par son beau-frère Edouard Dubuffe, réalisé en 1867 (qui fait le visuel de couverture de la biographie), en dit assez sur ce travailleur discipliné dont l’âme cependant savait s’enflammer. Il a souvent des idées clairement exprimées et des jugements justes. Pour lui, l’art doit sublimer le réel et non le copier; d’où sa détestation du naturalisme. Une ligne claire et intelligible du fil vocal qui fait que l’on peut chanter tout une oeuvre par sa seule mélodie: voilà le secret d’un art véritable. C’est un rêveur simple qui sait s’enchanter des lectures (nocturnes) de Novalis: Gounod est un créateur sincère qui recherche l’éloquence du coeur. Ce livre le démontre admirablement. Lecture incontournable.
Gérard Condé: Charles Gounod, 1088 pages. Fayard. Publié en juin 2009.