(Handel edition)
Warner classics
Plusieurs boitiers parfaitement éditorialisés, de 6 cd chacun, dont les livrets traduits des oeuvres lyriques et oratorios sont téléchargeables depuis le site de Warner classics and jazz (en cliquant sur l’option « sungstexts« ): voilà une première moisson des plus indiquées… que vous soyez fervents baroqueux ou mélomanes curieux. D’autant que réexhumant ainsi les anciens volumes Erato des ouvrages majeurs de « Handel » (pour respecter l’orthographe » anglosaxonne du compositeur baroque), Warner classics nous permet de reconsidérer trois générations d’interprètes baroquisants/baroqueux: le visionnaire Harnoncourt, le tempéré Leppard, auxquels répondent un Christie élitiste et un Minkowski fougueux, pas toujours homogène…
1. Raymond Leppard
En version remastérisée, les deux oratorios Messie (décembre 1974, avec Felicity Palmer et John Shirley-Quirck, entre autres…) et Samson (octobre 1978, avec Janet Baker en Dalila et Robert Tear en Samson, et aussi Philip Langridge et Helen Watts… soit des prime voce qui ont fait tout l’or de la version Colin Davis), et les airs d’opéras par les solistes Marylin Horne et Jennifer Larmore, montrent combien il ne suffit pas de jouer sur des instruments dits d’époque ou de respecter les soits disants traités d’interprétation, pour obtenir une évidence musicale aux oeuvres. Le maître d’oeuvre est ici Raymond Leppard qui au plein des années 1970 impose avec son English Chamber orchestra, un sens dramatique et un lyrisme sans pathos ni lourdeur, avec même un luminisme ample et souple qui pourrait faire pâlir le Minkowski, âpre et tendu voire sec et sans chair des années 1980/1990 (lire ci-après). Le chef britannique dispose outre d’un choeur homogène, d’un solide plateau vocal dont l’aisance dans l’approche des caractères psychologiques se distingue sans peine. Ajouter deux florilèges lyriques magnifiquement servis par deux cantatrices au tempérament avéré (Horne dans Rinaldo et Partenope, bande de 1994) et Larmore (dans Ariodante et Cleopatra de Giulio Cesare in Egitto, enregistrée en 1998) ajoute à la valeur du coffret de 6 cd.
2. Nikolaus Harnoncourt
A l’époque où Leppard défend un Haendel très lisse, dans une mesure so british, Harnoncourt « ose » ses premiers traits incisifs dont la valeur maîtresse inspiratrice de tout l’édifice aujourd’hui transmis demeure l’urgence. Tous les chanteurs des deux oratorios ici abordés en 1976 (Belshaazar, avec deux forces vocales impeccables: Felicity Palmer, touchante et grave Nitocris et Paul Eswood dans le rôle-titre) puis 1979 (Jephta) sont conduits jusqu’en leurs ultimes limites: Werner Hollweg parvient à exprimer dans chaque air de Jephté, l’impuissante prière d’un être déchiré. La fièvre haendélienne qui rapproche l’oratorio de l’opéra est bien présente, d’un bout à l’autre de ses réalisations où Harnoncourt tient ses troupes, d’un main d’acier avec une maîtrise spécifique de l’expressivité mordante, tendue mais jamais raide. En comparaison, les Gardiner et Minkowski paraissent atténués, décoratifs: le souffle Harnoncourt, qu’on s’entête à définir comme pessimiste ou ténébriste, ne manque en vérité ni d’éclat, ni de grandeur, ni d’humanité. Geste magnifique, vrai, qui n’ a rien perdu de son efficacité dramatique, de ses fulgurances poétiques.
3. Marc Minkowski
Au tournant des années 1980/1990, remontent les trois propositions haendéliennes de Minkowski et ses Musiciens du Louvre: 3 révélations à leur époque (premières au disque dont aux côtés de la vanité romaine, deux opéras d’après des sources françaises, signées Quinault et Houdar de la Motte). Le Trionfo de 1988 est tiré sur la corde raide des émotions, et la prise technique signée Yolanta Skura, fondatrice d’Opus 111, met en relief toutes les aspérités des cordes, des vents et des voix: c’est mordant, nerveux, parfois sec, mais jamais ennuyeux.
Amadigi, enregistré un an plus tard, en 1989, fait écouter un orchestre plus soyeux grâce aux bois (bassons, hautbois fluides) et des cordes moins agressives. Sans perdre de pulpe, la sonorité a gagné de la chair: le trio Nathalie Stutzman (dans le rôle-titre), Jennifer Smith (Oriana), Bernarda Fink (Dardano) se montre jubilatoire dans l’inflexion noble et sensuelle des caractères comme dans l’articulation. Un modèle de beau chant qui dépasse ce qui n’aurait pu être qu’une approche fougueuse et juvénile, certes déjà méritante.
Le cas de Teseo est plus discutable. De 1992 (Paris, Salle Wagram qui depuis a brûlé), la production réunit une distribution moins équilibrée: sans éclat, dommage indéfendable dans le rôle-titre, Eirian James (constamment basse), pincée, un rien hystérique Derek Lee Ragin (Egeo), un peu courte l’Agilea de Julia Gooding,… heureusement Della Jones rehausse la lecture: sa Médée ne manque ni de haine ni de tempérament, de fragilité comme de gravité funèbre (« Moriro, ma vendicata« : déclamé avec noblesse et profondeur, sans perte de souffle ni de style!). Les meilleurs moments de cette intégrale bancale correspondent à cette Médée furieuse et émouvante.
4. William Christie
Reste la boîte des 6 cd Christie. La prise live d’Alcina (1999) regroupe certes des têtes d’affiche qui au moment des représentations au Palais Garnier dans la mise en scène de Robert Carsen ont pu faire recette. Le document audio souligne en définitive le côté glamour, un rien arrogant mais stylé de l’Alcina de Renée Fleming, la suavité feutrée de Susann Graham, la tendresse franche d’une Dessay, incandescente avant son opération des cordes vocales. On n’entendra plus Haendel chanté à Paris, avec pareille distribution… L’Orlando (1996) nous paraît mieux servi par l’enregistrement en studio en soulignant l’équilibre des voix. Christie n’est pas aussi à l’aise que chez Rameau: son Haendel souffre par manque de profondeur, de vérité, de fluidité: tout respire avec peine, paraît souvent tiré, hautain, systématique et sophistiqué. N’est pas Harnoncourt qui veut! On peut regretter ce manque patent de vibration humaine chez Christie, à mille lieux du chef autrichien, autrement plus vrai. Mais la baguette nerveuse de « Bill » à la tête de ses Arts Florissants, tempête et s’agite pour un Haendel, génie de la scène émotionnelle. Cellte lecture « versaillaise », idéalement guindée, ne manque pas d’allure…