Igor Stravinsky
France Musique
Histoire du Soldat, 1918
Jeudi 24 avril 2008 à 16h
Le soldat violoniste et le diable
Un pauvre soldat vend son âme (son violon) au diable, contre la possession du livre qui permet de dévoiler l’avenir. Après avoir pactisé avoir le Diable, le soldat revient dans son village mais, après ces trois longues années, personne ne le reconnaît plus. Pas même sa fiancée ni sa propre mère… Le héros s’entend alors à décoder les arcanes de l’avenir, grâce à son livre, et devient outrageusement riche: mais toujours insatisfait et peu heureux, le soldat joue sa fortune contre son violon avec le Diable. Ce dernier gagne, mais excité par le gain ainsi collecté, ne s’aperçoit pas que le soldat lui a dérobé le violon. Grâce à l’instrument, le soldat parvient à séduire la princesse, la guérit et s’enfuit avec elle… Mais le Diable, force destructrice irrépressible rattrape sa victime désignée: le soldat damné est jeté aux enfers, et l’oeuvre se termine de façon, ironique et sarcastique par une marche de triomphe, celui du mal omnipotent contre l’idéalisme et la naïveté humaine.
Tableaux musicaux
Stravinsky aime approfondir les avatars de son héros en tableau isolé, impeccablement caractérisé, à la façon des gravures médiévales: traits incisifs, atmosphères ciselées, avec toujours en sonorité de fond, le sarcasme et la grimace du démon, grand manipulateur de l’action. Les danses populaires (héritée des campagnes russes si chères à Stravinsky qui y ajoute aussi, en assimilateur génial, les « transes » urbaines de son temps: tango et ragtime) sont intégrées dans le fil narratif pour en rehausser la sève expressive. Ernest Ansermet qui mit en contact le compositeur avec l’auteur Ramuz, dirige la création de l’oeuvre à Lausanne le 28 septembre 1918: difficile de ne pas rétablir la correspondance entre barbarie de la guerre et couleur démoniaque de l’ouvrage qui sacrifie la vie d’un pauvre bougre, soldat-victime, proie trop fragile de forces qui le dépasse. Par la suite, le compositeur tira de son oeuvre originale une Suite pour piano, clarinette et violon (1919) puis une seconde Suite, respectant l’orchestration originelle, en 1920.
L’esprit des tréteaux et du théâtre itinérant
L’oeuvre est décisive das la carrière de Stravinsky: le compositeur abandonne le cycle de ses grands ballets pour une forme nouvelle de spectacle totale, plus vivante que l’opéra, associant, musique théâtre (ici, trois acteurs: le soldat, la princesse et le diable) et danse. Ramuz et Stravinsky, marqués par la guerre environnante et témoins de la barbarie, s’entendent à concevoir un spectacle « simple », concentré sur trois personnages, nécessitant peu d’instrumentistes comme peu de décors, s’apparentant au spectacle des tréteaux dans les foires du XVIIIème siècle, dans l’esprit des petites troupes d’acteurs et de musiciens itinérants, de village en village… Le style « naïf » et populaire ainsi assumé par le compositeur, s’affirme comme une réponse contre tout romantisme lyrique. En ce sens, chaque lecture soigne plus ou moins la richesse et la diversité agissante des danses métissées, reprises avec une acuité prenante par un Stravinsky curieux et polymorphe: tango et rythmes d’Amérique du sud, inflexions mélodiques d’ascendance russe, valses viennoises, rythmes modernes de la Nouvelle-Orléans…
Illustration: portrait d’Igor Strawinsky (DR)