Il bel sogno
Née albanaise, fille de la compositrice et chanteuse vedette dans son pays, Avni Mula, Inva Mula, révélée par le Concours de chant de Placido Domingo « Operalia » 1993, a depuis affirmé le timbre rayonnant et tendre de sa voix de soprano colorature, en particulier dans les répertoire italien (Puccini et Verdi principalement) et français: sa Mireille de Gounod (après sa Marguerite de Faust, à Orange 2008), est déjà très attendue. La diva, couronnée aussi au cinéma dans le rôle de la cantatrice sidérale « Plavalaguna » dans le film « Le cinquième élément » de Luc Besson (1997), Inva Mula devrait rencontrer son public dans un rôle taillée pour elle: jeune femme amoureuse, blessée et aussi déterminée… qui d’ailleurs finie en sainte et martyre aux Saintes-Maries de la mer, dans l’opéra provençal de Gounod.
Défis révélés dans cet album qui après une mise en voix puccinienne (du miel pour la voix que sont les air de La Rondine, ou de Mimi de La Bohème), dévoilent deux airs de Mireille: « Trahir Vincent, vraiment cela serait être folle » puis « Voici la vaste plaine et le désert de feu« … deux épisodes intenses musicalement qui ne souffrent aucune faille linguistique ni baisse de tension comme d’élégance: le caractère du personnage est préservé. Inva Mula déjà Liu ou Gilda exprime idéalement la tendresse ardente, la dignité blessée des héroïnes sacrifiées ou éprouvées.
Songe laborieux….
Dommage que dans le premier air, la moitié des mots demeure inintelligible. Quand on sait que l’opéra français ne peut s’épanouir qu’au prix d’une articulation exigeante et naturelle (voir ici ce que réalise Véronique Gens chez Grétry)… Certes on aime la musicalité, les notes aiguës couvertes, le fluidité de la ligne, mais le style sonne systématique et un rien maniéré qui chez Mireille souligne en hors sujet, un côté mignardisé (les vocalises laborieuses et non tenues), une préciosité qui manque de simplicité et nous paraît inefficace dans le cas du personnage. Sa Mireille a ce côté coquette poseuse qui réduit la palette émotionnelle du personnage. Heureusement le jeu s’améliore nettement dans le second rôle.
« Voici la vaste plaine… » est l’air d’une femme accablée, prête à vivre sa dernière épreuve, ivre, portée par une foi inextinguible qui lui permet de traverser le désert de La Crau… Superbe air où le tact, la mesure et la pudeur très haut perchés disent l’éblouissement et la révélation de l’amoureuse touchée par la grâce, une illumination soudaine qui emporte son destin. Saluons l’engagement vocal et la sûreté des moyens, la tendresse comme irradiée de la fiancée qui quitte ce monde en une dernière vision spirituelle, au coeur du désert dont l’éblouissement rappelle les errances de grands mystiques. Certes l’articulation reste incertaine mais le style est élégant, tendre, malgré un orchestre guère attentif à la transparence et la ciselure instrumentale souhaitées par Gounod.
En guise de beau songe (bel sogno), l’album ne berce que rarement… souvent la soprano compense son manque d’aisance dans la prosodie française par des tics véristes souvent systématiques. Ecoutez sa Marguerite qu’elle a chanté à Orange avec pourtant plus de naturel (portée par l’ardeur de l’orchestre? Et si madame Mula était meilleure en live qu’au studio? Ou peut-être qu’au moment de l’enregistrement, une petite méforme s’est développée contre toute attente…). De fait, l’amorce de son « comment« , dans « et comment il se nomme » (Il était un roi de Thulé…), du Faust de Gounod: une affectation précieuse là encore qui demeure sa faiblesse la plus criante… puis à la reprise « et comme une demoiselle il me trouverait belle », la fin de la phrase se termine sans appui d’une bien laide façon (à 8:55 de la plage 8). Et là encore, l’orchestre n’arrange en rien la tenue de la soliste, d’une pesante activité… Son « Ah je ris de me voir si belle »… au studio creuse encore ses effets de cocotte ampoulée, minaudante avec une tenue de souffle imparfaite, et des aiguës tirés parfois tendus et secs.
Et puis tout cela paraît vétilles quand vient son « Il ne revient pas »: plus assumé, couleurs et accents veloutés, entre tendresse et blessure que réussit parfaitement l’interprète…
Sa Thaïs manque de souffle, laissant paraître des défaillances évidentes avec les tics dont nous avons parlés (expressivité outrée). Quand à sa Traviata, rien à faire: le déraillement des vocalises finales, le manque de souffle et de soutien, la voix sans éclat font paraître Violetta déjà phtisique dans son air où doit cependant rayonner son hymne triomphal à l’amour (E Strano)…
Un album en demi-teintes qui cependant exauce nos espoirs pour Mireille de Gounod: pleine réponse sur les planches puisque la soprano prend le rôle sur la scène de Bastille à partir du 14 septembre 2009…
Inva Mula, soprano. Il bel sogno. Airs d’opéras de Puccini, Gounod, Massenet, Verdi. Orchestre Philharmonique de Zagreb. Ivo Lipanovic, direction.