lundi 21 avril 2025

Itinéraire d’un compositeur de l’après-guerre

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L’enfant a la révélation de la musique lorsqu’à onze ans, en 1924, il écoute au concert la suite pour orchestre The Sea de Franck Bridge. Cette écoute décide de son avenir : il sera compositeur. Auprès de Bridge, son professeur, le seul véritable dont il reconnaît l’influence, l’adolescent s’initie aux styles des auteurs du XX ème, à ceux du XIX ème avec une affection avouée pour Elgar ; surtout, il se passionne immédiatement pour les compositeurs anciens, de Dowland à Purcell, tout en construisant son orchestre à l’exemple de celui de Debussy. En 1939, aux heures sombres où l’Europe bascule dans la barbarie de la guerre, Britten décide de s’exiler avec son compagnon Peter Pears, rencontré en 1937, aux Etas-Unis. De sorte qu’occupé à ce qui se dessine comme son premier opéra, Peter Grimes, le souvenir de sa terre natale balayée par la mer du Suffolk imprime la partition toute entière. Les fameux interludes marins expriment le souffle de ce premier chef d’œuvre dont le sujet cristalise le déclin d’une société gangrènée par le soupçon et la peur. Deux maladies vénéneuses qui se polarisent sur le héros épnoyme, devenu la figure universelle du paria, de l’exclu, du maudit et donc du coupable. Dans les réminiscences de l’océan qui donne cette atmosphère d’étuve, une nostalgie presque inquiétant colore ce premier chef-d’œuvre pour une grande partie conçu à New-York.
Créé à Londres, le 7 juin 1945, l’opéra suscite un triomphe qui révèle le talent d’un dramaturge précoce. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne reconnaît avec fierté l’avènement d’un grand musicien national. Celui-ci ne tarde pas à fonder sa propre compagnie lyrique, the English opera group et se fixe dans le bourg côtier d’Aldeburgh. Le viol de Lucrèce, représenté à Glyndebourne en 1946 est une première tentative théâtrale qui est l’aboutissement, sous la forme d’un opéra de chambre, du travail de la jeune troupe (orchestre de treize musiciens). Si Lucrèce est une tragédie, Albert Herring créé l’année suivante, explore de nouvelles voies expressives en particulier sur le registre comique. Puis Billy Budd, opéra ouvertement homosexuel, que Britten dirige à Paris en 1952, consacre la plénitude et la maturation de son écriture théâtrale. La commande de Gloriana en 1953 pour le couronnement de la Reine Elizabeth II retentit comme une nouvelle consacrétion. Pourtant, l’homme garde en lui un terrible secret, lié à ses années d’internat à la South Lodge School où il est à présent avéré grâce aux recherches de Humphrey Carpenter, que l’enfant fut abusé par son professeur T.J.E. Sewell. Une blessure qui a déterminé sa vie. Même s’il a toujours parlé de son homosexualité comme d’un libre choix : elle n’en comporte pas moins une réalité douloureuse. Ce traumatisme qui ébranle les fondements même de son identité se voit explicitement évoqué dans le Tour d’écrou, créé à Venise en 1954. Britten a eu la révélation du sujet en lisant la nouvelle d’Henry James : immédiatement frappé par la beauté et le mystère du texte, il en a conçu un opéra d’une terrible violence émotive. Dans la figure du garçon, le jeune Miles, Britten projette son propre effroi : une déchirure toujours présente, jamais pansée ni guérie. D’ailleurs, le thème de la domination étouffante incarnée par une figure masculine abjecte, émaille tout l’œuvre : Claggart (Billy Budd), Peter Quint (Le Tour d’écrou). Comme à l’inverse, les personnages du page (le songe d’une nuit d’été), de l’enfant (la rivière aux courlis, the Golden Vanity), réactivent le rituel de la proie offerte et condamnée par son innocence.
A partir de 1960 (le Songe d’une nuit d’été), Britten semble développer sur un mode intimiste de nouveaux champs de création, en particulier comme désireux d’oublier le sinistre souvenir, dans le sillon du rêve et du sommeil. Suivent les trois paraboles d’églises, conçues pour être jouées dans une nef : La Rivière aux courlis (1964), la Fournaise ardente (1966) et le Fils prodigue (1968) : effectif mesuré, orchestre à l’économie, relecture du théâtre Nô et des mystères médiévaux, Britten semble renouer avec des formes très anciennes de rituel primitif. Homme du repli, de l’intériorité et de l’allusif, il affectionne ces pièces élaborées comme des épures. Doué d’un tempérament dramaturgique, il n’a cessé de redéfinir le cadre de la musique théâtrale comme en témoignent les œuvres qui suivent : Owen Windgrave, commande de la BBC de 1971 sur un thème important pour le musicien, le pacifisme. Puis, Mort à Venise d’après Thomas Mann (1974), sollicite plusieurs scènes de danse.
Figures du conflit dont la résolution reste souvent sombre (mort du jeune Miles dans le tour d’écrou), ou a contrario, tentatives d’échapper au sentiment de la fatalité meurtrière, les œuvres de Britten portent sur la scène un cadre dramatique d’une exceptionnelle intensité poétique.

Approfondir
Lire notre dossier consacré aux « opéras de Benjamin Britten : question de l’identité du héros« 

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