Jacques Offenbach
Les Contes d’Hoffmann, 1881
Toulouse, Capitole
Longtemps, Offenbach rêvait de monter un opéra fantastique. Les fées
Du 12 au 29 juin 2008
Abel, Nicolas Joel
du Rhin, Fantasio sont des premiers essais, encore sous-évalués et dès
leur création, honteusement critiqués. La genèse des Contes d’Hoffmann
est lente et souvent reportée. Le compositeur ne verra jamais la
création, il meurt pendant les répétitions, laissant une partition pas
totalement achevée.
Comprendre l’oeuvre: rupture ou continuité?
Retracer le catalogue des oeuvres composées par le plus grand
amuseur du Second Empire, laisse perplexe quant à la signification de
son dernier opus, de surcroît sur un sujet tragique. Les Contes
d’Hoffmann, ouvrage par ailleurs laissé inachevé, sans ordre et sans
construction clairement énoncés ni résolus, serait-il un aboutissement
ou un dernier avatar sans lien avec les oeuvres précédentes?
On dit
que l’oeuvre serait une manière de rachat orchestré par l’auteur des
bouffonneries séditieuses un tantinet scrabreuses. Une sorte de sauve
conduit pour l’éternité critique, une oeuvre d’excuse qui lui aurait
permis, hélas presque trop tard, car il est mort avant d’achever son
projet, de gagner le panthéon des grands auteurs en traitant in
extremis, le grand genre, celui de l’opéra tragique et fantastique.
Est-ce lui rendre justice?
En fait, l’oeuvre s’inscrit bien dans la
continuité d’un style et d’une personnalité dont l’idéal artistique
semble trouver avec Hoffmann, une manifestation parfaite. En maints
endroits, il s’agirait même d’y relever la résurgence de souvenirs
personnels liés à la carrière du compositeur.
Ainsi le premier
tableau, bruyant, qui met en avant la foule et l’agitation de la
taverne, évoque les débuts du jeune musicien quand il tentait de percer
dans les auberges et les bistrots de Cologne. D’ailleurs, l’Allemagne
dont il est question dans le texte de Barbier, est celle du jeune
Jacques/Jacob avant de rejoindre la France en 1833, à 14 ans. Dans les
salons bourgeois de la Monarchie de Juillet, Offenbach qui veut percer
comme violoncelliste virtuose, traîne derrière lui, une réputation
diabolique malgré lui car sa mise rappelle étonnamment celle des héros
de E.T.A. Hoffmann: sombre et perçant, emporté et expressif.
Offenbach, subjugué par la veine fantastique
Le compositeur est contemporain de la création à l’Odéon, de la
pièce de Barbier et Carré, « Les Contes d’Hoffmann », en mars 1851. Le
fantastique et le caractère tragique le bouleversent certainement car
ils correspondent à ce qui lui est cher. D’ailleurs, absorbé par la
création de son propre théâtre, Les Bouffes-Parisiens, passage
Choiseul, il monte en 1857, « Les Trois baisers du diable », opérette
fantastique d’après le Freischütz et Robert le Diable. En composant la
musique, Offenbach se rapproche de ce qu’il réalisera pleinement dans
Hoffmann: le fantastique.
Après le succès d’Orfée aux enfers (1858),
son rêve est d’accéder à la scène de l’Opéra-Comique. « Barkouf », écrit
avec Eugène Scribe (librettiste adulé de La Dame Blanche et de Fra
Diavolo), est emporté dans une cabale retentissante qui veut effacer le
triomphe d’Orphée. Fort à propos, l’Opéra Impérial de Vienne lui
commande « Die Rheinnixen », les Filles du Rhin, qui se déroule au XVI
ème siècle, et dans lequel les sombres lueurs du fantastiques ne sont
pas absentes. Créé en 1864, l’ouvrage ne comporte pas, a contrario des
oeuvres comiques du maître, de scènes parlées, comme Hoffmann. Mais
hélas, la partition ne convainc pas mais le thème de son ouverture qui
évoque le choeur des esprits du Rhin sera réutilisé pour la Barcarolle
des Contes d’Hoffmann.
A Paris, Offenbach semble néanmoins s’affirmer grâce à l’accueil réservé à son « Robinson Crusoé » (1867), et à Vert-Vert (1869).
Hoffmann, l’oeuvre d’un mourant
Avec la chute du Second Empire et le trouble politique qui suit,
enfin l’avènement de la III ème République, Offenbach se maintient
artistiquement mais le milieu parisien ne l’entend pas ainsi qui veut
lui faire payer le succès du « Bouffon Impérial ». Ainsi quand il propose
en 1872, « Fantasio » d’après Musset, une nouvelle cabale emporte son
chef-d’oeuvre. Dégoûté, le compositeur s’éloigne de l’Opéra-Comique: il
lui semble revivre l’échec et l’amertume de « Barkouf » dix années
auparavant.
Pourtant les années qui suivent se montrent plus
clémentes. D’après un texte de Victorien Sardou qui s’inspire d’E.T.A.
Hoffmann, Le Roi Carotte triomphe à la Gaîté Lyrique dont Offenbach
devient directeur en juin 1873. Il le restera deux années pendant
lesquelles il fait représenter Jeanne d’Arc de Gounod sur un livret de
Barbier. Ce dernier est alors sollicité par le compositeur d’Orphée aux
Enfers pour reprendre l’idée d’adapter à l’opéra, Les Contes
d’Hoffmann. Mais Offenbach qui a dû quitter ses fonctions à la Gaîté a
convaincu Albert Vizentini, son successeur de l’intérêt de l’ouvrage.
L’opéra est à l’affiche de la saison 1877-1878, et le compositeur
s’engage à rendre sa copie. Hélas, nouvelles déconvenues, la Gaîté n’a
plus les moyens financiers pour monter l’oeuvre d’Offenbach. Et
le compositeur fait entendre plusieurs scènes de son nouvel opéra,
quasi achevé, dans son propre appartement, boulevard des Capucines.
L’audition porte ses fruits. L’Opéra de Vienne retient l’ouvrage et
Carvalho, directeur de l’Opéra-Comique depuis 1876, réserve aussi la
création de l’opéra à Paris. Pour la création parisienne, Offenbach
très malade, travaille à l’achèvement de son oeuvre. On sait que les
défaillances techniques de la poupée Olympia renvoie aux souffrances
personnelles qui l’accablent pendant la gestation de l’ouvrage. En août
1880, il s’en ouvre à sa fille dans une lettre célèbre: « Le ressort de
la poupée articulée se détraque maintenant à la moindre fatigue ». Les
répétitions commencent le 11 septembre 1880. L’auteur meurt le 5
octobre sans pouvoir assister comme il l’espérait à la création de son
chef-d’oeuvre. Le fils du compositeur, Auguste, aidé d’Ernest Guiraud,
chargé par la famille de terminer la partition, accompagnent les
répétitions. On sait à présent que l’ouvrage laissé par Offenbach était
quasiment abouti, mais seule l’orchestration était fragmentaire. La
création a lieu le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique dans une version
révisée par Carvalho : les rôles de la Muse et de Nicklausse qui ne
formaient qu’un seul personnage, sont séparés et chantés par deux
interprètes différents. Pire, l’acte de Venise a été tout bonnement
censuré. Il faudra que les parisiens patientent jusqu’en 1911 pour
l’écouter.
Le succès est triomphal et la 100 ème est atteinte dès
le mois de décembre suivant, avant que l’Opéra de Vienne ne sombre dans
les flammes, empêchant une carrière plus prestigieuse encore. Entre
Paris et Vienne, l’opéra d’Offenbach a fait son entrée par la grande
porte.
Illustrations
Fussli, le cauchemard (DR)
Goya, le rêve du poète (DR)