Jenufa, 1904
Comme Puccini et Massenet ont tenté de donner au fil de leurs
ouvrages, un portrait de la femme idéale, rêvée, tendre, fatale, Janacek
traite aussi le genre féminin avec infiniment de compassion et de
tendresse. En témoigne en particulier la trame tragique et édifiante de Jenufa,
opéra en trois actes créé à Brno le 21 janvier 1904. Le compositeur
situe l’action dans une famille morave dont les liens parentaux tout en
signifiant l’oppression étouffante d’une maisonnée fermée sur-elle même,
isole le destin de l’un de ses membres, Jenufa. Le destin de la jeune
femme croise deux hommes: le premier est violent et machiste, Laca qui
l’aime mais qu’elle n’aime pas; le second est Steva, indigne, ivre,
irresponsable dont elle attend non sans angoisse un enfant après une
liaison sans lendemain qu’elle s’obstine à tenir cachée.
Janacek n’épargne aucun tourment à ses personnage, permettant que
l’inqualifiable et le tragique cynique se déroule sur la scène. Hantés
par le remords, accablés par leur destin misérable, les individus
apprennent la dure loi de la condition humaine… Sans permettre une
issue tragique à l’intrigue pourtant violente et sauvage, le compositeur
imagine Jenufa et son fiancé déclaré, Laca, porteurs d’un nouveau
message: dépasser les épreuves, renaître à soi-même malgré les tragédies
vécues. Fussent-elles impardonnables. Contre la tragédie et la
fatalité, Janacek fait de son héroïne, un être de compassion, de pardon,
d’espoir.
Sur le plan de l’écriture, Janacek invente l’opéra tchèque moderne: tout converge ici vers la projection du texte, l’activité permanente du mot. C’est d’ailleurs selon certains, l’opéra du théâtre parlé. Jusqu’à ses derniers ouvrages, le compositeur choisit et remodèle ses livrets pour que naisse fusionné au chant de l’orchestre, une musique reformulée, égale expressive du langage. Le style de Janacek est direct, mordant, d’une apparente simplicité, mais son sens des situations et son extrême sensibilité composent au final un théâtre brûlant d’intensité dramatique. Jenufa est le premier jalon d’une oeuvre flamboyante qui parle de l’homme avec un réalisme souvent cru mais poétique et dont le cheminement dévoile en pleine lumière la part la plus sombre et contradictoire de l’individu.
France Musique
Samedi 12 juin 2010 à 19h
Soirée lyrique
Opéra de Bordeaux/Janácek/Jenufa/Orchestre National Bordeaux Aquitaine/Kamensek. Concert donné le 7 mai 2010, Grand Théâtre de l’Opéra National de Bordeaux
Leos Janácek: Jenufa
Opéra en trois actes
Texte du compositeur d’après un récit de Gabriela Preissova
Créé à Brno le 21 janvier 1904
Sheila Nadler, mezzo-soprano, grand-mère Buryjovskà
Stuart Skelton, ténor, Laca Klemen
Gregory Turay, ténor, Steva Buryjovská
Hedwig Fassbender, mezzo-soprano, Kostelnicka Buryjovka
Mireille Delunsch, soprano, Jenufa
Jean-Manuel Candenot, baryton, le contremaitre du moulin
Jean-Philippe Marlière, baryton, le maire du village
Marie-Thérèse Keller, mezzo-soprano, sa femme
Laure Crumière, soprano, Karolka / leur fille
Olga Fedorova, mezzo-soprano, la vachère
Eve Christophe-Fontana, soprano, Barena / une servante
Florica Marilena Goya, soprano, une villageoise
Maryelle Hostein, alto, la tante
Loick Cassin, un vieux paysan
Aurélie Ligerot, soprano, jano, un berger
Choeur de l’Opéra National de Bordeaux
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Direction : Karen Kamensek
Illustration: le viol de Degas (DR)