mercredi 23 avril 2025

Jean-Baptiste Lully: Le Ballet des arts, 1663. Tavernier, Reyne Versailles, les 2 et 3 octobre 2008 à 21h

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Jean-Baptiste Lully
Le Ballet des arts
, 1663


Versailles, Orangerie du Château
les 2 et 3 octobre 2008
à 21h

A la gloire de Louis le Grand
Avant sa « recréation » à Versailles, début octobre 2008, le Ballet des Arts de Lully, sous la baguette d’Hugo Reyne, a fait les beaux soirs des festivals de La Chabotterie (Vendée) et de Sablé, au mois d’août dernier (lire notre compte rendu du Ballet des Arts présenté à Sablé, août 2008). Créé en janvier 1663, l’oeuvre est née de l’inspiration du musicien d’origine florentine. Lully (31 ans, né en 1632) s’y révèle capable de renouvellement: certes le comique et même la farce dans le style de la commedia dell’arte s’y déploient sans limites avec délire et âpreté (entrée de la Chirurgie dansée par Lully lui-même), mais le « divin Bouffon » ajoute la grâce, la poésie, l’élégance et la noblesse, un ton nouveau, profond et mûr. Le créateur sait aussi fusionner avec un art renouvelé verbe et chant en une déclamation désormais maîtrisée qui annonce bientôt l’opéra à venir, cette tragédie en musique… fixée en un équilibre parfait 10 années plus tard avec Cadmus et Hermione.

Le Ballet du Roi
En fait, le Ballet des Arts aurait dû s’appeler le Ballet du Roi: tout tend à glorifier la personne et l’autorité du jeune monarque (né en 1638, 25 ans au moment où il danse dans le Ballet des Arts). Sur le plan formel, le compositeur sûr de sa manière, d’une invention constante, se plaît à partir du Ballet des Arts à expérimenter, innover, surprendre, affiner un divertissement purement français, inféodé à la gloire monarchique: comédie ballet (Le Mariage Forcé, 1664), festivités spectaculaires (les Plaisirs de l’île Enchantée, 1664), comédie pastorale (Les Amants magnifiques, 1670), tragi-comédie ballet (Pysché, 1671)… Le loisir du roi cherche la formule qui lui sied le mieux. Pour l’heure, le Ballet des Arts offre en miroir, dans le genre resserré du ballet de cour, l’harmonie politique et centralisée du régime voulu par Louis XIV.

Contexte de paix
Louis XIV signe plusieurs accords de paix avec ses voisins: la monarchie française semble alors être la maîtresse de l’Europe: l’arbitre des équilibres de pouvoir, et aussi, la souveraine du goût. Acquisition de Dunkerque, accord avec la Suède et la Hollande, annexion de la Lorraine, paix avec les Habsbourg d’Espagne depuis son mariage avec l’Infante Marie-Thérèse… Voici donc dans la première entrée, (il y a en 7 au total): le Roi berger, adulé par sa cour pastorale, qui est surtout un héros moderne: le pilier de la puissance et de la paix.

Les Vers du Ballet
Destiné au public, le recueil de poèmes, composés par Benserade, explicite, affine, commente ce qui est dansé et chanté. En prémices à notre futur livret, ce petit fascicule est distribué à l’audience pour sa délectation: nous sommes donc loin d’un divertissement décoratif: tout se tient ici par la magie et la pertinence des allusions, des codes, et des références suggérées grâce au génie du poète. Commentaire en vers, d’une délicate et exquise suggestion (épigrammes, acrostiches…), les textes de Benserade annoncent par la perfection de leur forme et des jeux de lectures, les livrets de Philippe Quinault quand celui-ci écrira les vers des futures tragédies en musique. En définitive, le Ballet de Cour est le miroir de la société monarchique: courtisans scénographiés faisant acte d’allégeance, monarque divinisé en son centre, axe d’une mécanique subtile et raffinée. Quand Louis XIV paraît entouré des plus belles femmes du royaume, il s’agit d’évoquer le quotidien d’Apollon servi par les muses… que le sculpteur Girardon produira pour la grotte de Thétys à Versailles.

Architecture symétrique

De surcroît, l’intelligence du poème de Benserade rétablit la symétrie d’un ballet édifié comme une architecture savamment équilibrée: l’entrée de la peinture occupe le centre de ce cycle en 7 épisodes. Elle est composée d’un dialogue (comique), comme la première (Pastorale, « pastorale noble ») et l’ultime (la Guerre, héroïque noble). Entre les dialogues, se développent les récits, chacun alternant le genre bouffe et le noble, symétriquement à l’axe « comique » de la peinture: Pastorale (dialogue pastoral noble), Navigation (récit bouffe), Orfèvrerie (récit noble), Peinture (dialogue comique), Chasse (récit noble), Chirurgie (récit bouffe), Guerre (dialogue héroïque noble). Incroyable magie de l’équilibre et de la symétrie qui s’inscrit aussi en résonance avec l’art des jardins et de l’architecture de Versailles.
Dans cette machinerie chorégraphique et chantée, la hiérarchie orchestre les rapports entre les personnages et précise la dignité des sujets: les Courtisans dansent les entrées impairs, les femmes paraissent dans la première et la dernière, les paires sont assurés par les « maîtres à danser ». A travers la grille des genres poétiques ainsi associés (noble, bouffe, comique), sont déclarés « nobles »: pastorale, chasse, guerre et bijoux. Roturière est la peinture (!), comme la navigation. Et la Chirurgie comme la médecine, genres bouffons par excellence… facétieuse et impertinente posture que Molière développe avec quel génie parallèle à celui de Lully.


Jean-Baptiste Lully: le ballet des Arts, 1663
. Mise en scène: Vincent Tavernier. Chorégraphie: Marie-Geneviève Massé. La Simphonie du Marais. Hugo Reyne, direction. Tournée française 2008: Festival de La Chabotterie (les 12 et 13 août), 30 ème Festival de Sablé (le 19 août); Orangerie du Château de Versailles (les 2 puis 3 octobre 2008 à 21h, « Grandes Journées Lully 2008 »).

CD

Hugo Reyne avant de diriger la partition sur la scène, a enregistré l’ouvrage de jeunesse de Lully pour le disque. Et de 10! La collection chez Accord, « Lully ou le musicien du soleil« ,
atteint avec ce ballets des arts du jeune Baptiste (1663), son déjà
dixième opus. L’oeuvre ainsi portée par Hugo Reyne et la Simphonie du
Marais pourrait bien être l’une des plus opiniâtres du marché actuel,
comme l’est, l’intégrale Vivaldi chez Naïve. Saluons cette constance,
dans la durée comme dans l’exigence interprétative. Nous voici aux
origines d’un genre promis à accompagner pendant tout son (long) règne,
Louis XIV: le divertissement dont il est question ici, est encore dansé
mais il associe amples épisodes instrumentaux et surtout chant et
déclamation… (1 cd Accord)

Illustrations: portrait de Lully. Le Roi danse: Louis XIV en Apollon (DR)

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