L’improvisateur et le transcripteur interprète
C’est l’œuvre d’un instrumentiste, interprète transcripteur vénéré (à
juste titre), improvisateur souverain, à la fois lisztéen et faustéen,
capable d’évoquer le déluge comme les murmures exquis de la nature… sur
un même instrument, l’orgue du Conservatoire San Pietro a Majella de
Naples.
En évitant scrupuleusement l’épaisseur, Jean Guillou (né le 18 avril
1930, organiste titulaire des grandes orgues de Sainte Eustache) plus
engagé que jamais, redéfinit la sonorité de l’orgue, ouvre perspectives
et plans étagés, convoque les bruits de l’univers, en détaillant chaque
intonation.
En publiant 3 nouveaux cd chez Philips, l’organiste français n’a jamais
semblé plus juste, plus poète, plus évocateur. Les deux Préludes et
Fugues de Brahms imposent des phrasés brillants, parfaitement
reconnaissables, qui disent l’ampleur du sentiment de réinterprétation,
tout en accusant l’impériale musicalité de l’interprète. Il suffit
d’écouter dans le premier disque, ses Schumann pour piano à pédalier,
pour écouter l’engagement d’une personnalité sûre de ses audaces,
maîtresse de ses « rubatos », capable d’exprimer une saine liberté sous
le carcan d’un contrepoint millimétré.
Maître de l’analyse, sourcilleux sur le relief
détaillé de sa sonorité, (les hanches idéalement perceptibles), Jean
Guillou s’impose parmi ses confrères par sa vision d’ensemble, par le
souffle personnel qui réinvestit et redessine tous les contours des
œuvres.
Superbe, tout autant servi par l’art des grandes lignes, comme celui
des couleurs ténues et évocatrices, son « Liszt » s’impose. Les
transcriptions personnelles d’après Prometheus et Orpheus montrent
cette ampleur recréative dont nous avons parlé ci avant.
Les quatre chansons populaires napolitaines sont au cœur d’un
itinéraire improvisé, à variations : « Voyage à Naples » qui est le
troisième chapitre discographique, pérégrination au pays de l’opéra,
des castrats, surtout de Gesualdo (auquel l’organiste tisse en coda, un
superbe hommage personnel) : après avoir supervisé la construction de
l’orgue du Conservatoire San Pietro a Majella de Naples, l’organiste
fait valoir la superbe palette expressive d’un orgue riche en climats
et en atmosphères. L’instrument est caractérisé par ses timbres
mordants mais aussi suggestifs : une diva complice (Cira Scoppa,
mezzo-soprano) expose la cantilène que reprend ensuite en arabesques de
l’instant, l’improvisateur habité qui se saisit du thème pour
l’analyser, l’éprouver, le reformuler. L’assise du geste libéré,
l’invention conquise, la série des contrastes et des climats qui se
succèdent, offrent le plus brillant tableau : coup de projecteurs,
impressions entre l’ombre et la lumière que n’aurait pas désavoué le
peintre Caravage, lequel inspire aussi au brillant organiste, une
évocation « baroque » : devant ses toiles citées comme la source
vivifiante de nouveaux traits fulgurants, le jeu crépite, produisant
des scènes d’apocalypses, des visions fantastiques, spécifiques et
singulières qui redonnent à l’orgue, ses capacités expressives,
saisissantes. Triptyque majeur.
Jean Guillou : trois disques édités par Philips. (1) : Robert Schumann : Six fugues sur le nom de BACH. Six pièces en forme de canon. Quatre esquisses. Brahms : Deux Préludes et fugues. (2) : Liszt : Fantaisie et fugue sur BACH. Fantaisie « Ad Nos ». Promotheus, Orpheus. (3) : « Le voyage à Naples » : improvisations sur l’orgue du Conservatoire San Pietro a Majella de Naples. Les 3 disques sont édités chez Philips en septembre 2008