Jean Martinon
et l’Orchestre National
de l’O.R.T.F
France Musique
Le dimanche 18 février 2007
Le dimanche 18 mars 2007
de 20h à 22h
Pour les amoureux de l’Orchestre National – gageons que c’est la majorité des mélomanes -, le dimanche soir, en cette saison 2006-2007, est un moment très attendu. Depuis le mois de septembre, Jean-Michel Damian nous a présenté ainsi des documents mahlériens magnifiques, successivement une Deuxième par Bernstein en novembre 1958, une Cinquième par Hermann Scherchen en 1965 et surtout très récemment Le Chant de la Terre par Nan Merriman, Ernst Haefliger et Paul Kletzki du 21 avril 1964.
Alain Pâris est plus varié dans sa programmation et a déjà évoqué au cours des derniers mois des chefs comme Louis Fourestier, Antal Dorati, Carl Schuricht ou Pierre Dervaux. Au cours des deux prochaines soirées qu’il présente, les 18 février et 18 mars 2007, de 20h à 22h, il revient sur la personnalité de Jean Martinon, auquel nous avons rendu hommage. Martinon – doit-on le rappeler – fut l’un des plus grands interprètes de la musique française. Ses témoignages debussystes engrangés en studio pour Emi restent une pierre angulaire de la discographie, tout comme ses gravures des œuvres de Roussel (inoubliable Deuxième Symphonie !) ou Pierné.
Mais comment était Martinon en live ? C’est ce qu’Alain Pâris nous fera découvrir, d’autant plus qu’il composera ses deux soirées de témoignages provenant uniquement des archives de l’INA, assez peu diffusés en ce qui concerne le chef français. Espérons que la programmation sera variée, et qu’elle abordera tout autant la musique française que les musiques classique et romantique (Beethoven, Mozart, Brahms, Schumann, Dvorak, Tchaikovsky,…), dont Martinon était un interprète régulier, ce que nous avons oublié, sans omettre bien sûr, certaines œuvres de Bartók, Schoenberg, Prokofiev, Chostakovitch… Soyez certains que vous ferez de très belles découvertes.
Dossier
Entre 1963 et 1976, Jean Martinon a gravé ses plus grands enregistrements, principalement chez RCA, Emi et Erato. Ils nous permettent d’affiner notre vision du chef, notamment au travers de ses gravures Debussy et Roussel, dont il reste un interprète essentiel. Nous ne ferons pas cependant de recommandations discographiques, car tout choix devient ici trahison…
Jean MARTINON (1910-1976)
(3). 1963-1976 : Les Absolus
Lorsque Martinon prend la tête de l’Orchestre Symphonique de Chicago, il hérite d’une formation qui était devenue, grâce à l’exigence impitoyable de Fritz Reiner, l’une des meilleures au monde. Durant le mandat du Français, l’orchestre poursuit sa collaboration avec la maison de disques américaine RCA et les discophiles retiennent surtout de cette époque les sessions consacrées à Ravel, dont peu de chefs ont pénétré l’univers avec une telle acuité psychologique et un naturel aussi fascinant. La Rapsodie espagnole, d’une sensualité torride et d’un raffinement extrême, est une porte ouverte sur le paradis (1) tandis que Ma Mère l’Oye réitère la magie de la légendaire gravure de Munch à Boston.
L’Arcana de Varèse reste cependant à nos yeux plus extraordinaire encore (2). Le chef français donne de cette pièce maîtresse une vision d’une vitalité exacerbée, d’une puissance bruitiste phénoménale. Inoubliable !
Le legs officiel de Martinon est assez peu mis en valeur par RCA. Ce sont donc plutôt grâce aux nombreuses archives live de l’orchestre américain que nous pourrons continuer à découvrir le remarquable travail du chef aux Etats-Unis. Il y a quelques années, RCA Japon avait réédité dans un disque Bizet une remarquable Symphonie en ut. Outre des Chausson, Fauré, Beethoven (dont un Concerto « L’Empereur » avec Gilels), il existe dans des coffrets, cette fois publiés par l’orchestre, une Troisième et une Dixième de Mahler. Ce sont les seuls témoignages de Martinon dans Mahler, auteur qu’il a défendu amoureusement tout au long de sa vie, ce qui lui valut en 1967 une médaille Mahler (3).
Dans les merveilles encore non publiées, vous devriez guetter les Quatre Interludes Marins de Britten, où Martinon subjugue par son interprétation torrentielle, intériorisée à l’extrême, d’un dramatisme brûlant, absolu.
Quand Martinon devient le directeur musical de l’Orchestre National, il retrouve une phalange de haute tradition française. Vous ne pourrez plus quitter ces bois si identifiables, notamment les bassons et les clarinettes, cette texture d’orchestre naturellement lumineuse, ronde et transparente, chaleureuse et sensuelle. Tout ceci vous procurera déjà une émotion vive, un sentiment d’éternité. Ecoutez par exemple Cydalise et le Chèvre-pied ou les Divertissements sur un thème pastoral de Gabriel Pierné. Les timbres contribuent véritablement à l’intensité du discours musical. C’est évident : la direction de Martinon interagit avec ces couleurs si évocatrices, que le chef met constamment en valeur.
Martinon peaufinait ses interprétations avec beaucoup d’exigence. Cependant, elles ne sonnent jamais analytiques. Ses Debussy sont des merveilles de rigueur et d’équilibre, comme de liberté et de poésie. Le chef n’oublie jamais de reproduire le mouvement de l’esprit créateur, le jaillissement de la plume. Ses Debussy sont imprégnés d’une énergie électrique, d’une passion, d’une exaltation qui révèle la vraie nature du compositeur, avant tout romantique et fébrile. Nous tenons ici l’intégrale de référence, authentique, inutile de revenir à la folie barbare des instruments anciens. Pour l’auteur de ces lignes, la découverte de ces enregistrements debussystes a vraiment été un bouleversement total : ils ont changé ma vie de mélomane, mes horizons musicaux.
Le chef a consacré plusieurs autres albums à Berlioz, Bizet, Dukas, Dutilleux, Honegger, Ibert, Lalo, Schmitt, Prokofiev (4), Saint-Saëns, et Roussel (5). Chaque amoureux de ces répertoires les garde précieusement dans sa discothèque comme vestiges d’un passé interprétatif sinon effacé, sans doute idéal pour nos oreilles contemporaines. S’y dessine également le portrait d’un homme toujours plus profondément musicien, à la recherche d’un équilibre parfait, absolu, entre les différentes composantes qui font la musique : le timbre, la couleur d’une part et la ligne, la polyphonie, le rythme de l’autre.
La musique est son seul repère et ses interprétations parlent. Martinon semble un être secret, inquiet, assez tourmenté, sans doute peu enclin à la confidence par les mots. Ecoutez, dans Une Cantate de Noël d’Honegger, les passages aux cordes, subtilement douloureux, qui ponctuent le récitatif de Camille Maurane avant la délivrance divine du choral final. Dans le corpus des symphonies de Roussel, Martinon choisit d’enregistrer la seule Deuxième Symphonie, qui hésite entre mobilité et statisme, profondeurs abyssales et élans dionysiaques, questionnements et évidences. N’a-t-on pas là un portrait du chef, l’un des plus vrais qui soient ?
Pour certains, l’art de Martinon donnera toujours l’impression d’être plus réfléchi, contrairement à celui de Munch. Un exemple frappant : écoutez Bacchus et Ariane (2ème suite) de Roussel par le National, avec Munch (Live 1962, Disques Montaigne) puis Martinon (Studio 1969, Erato). Malgré les coupures de Munch, Martinon est moins foudroyant, plus « intelligent ». De chez Munch ressort toujours la nécessité de bouleverser. Martinon s’inscrit davantage dans la transmission. Il laisse parler la musique. Si Munch nous positionne en véritable acteur de l’instantané musical (en cela, il peut rappeler des artistes comme Furtwängler, Abendroth,…), son disciple, lui, nous convie davantage à l’écoute. Martinon nous donne toutes les clefs pour savoir admirer. Aimer. Bien souvent, il s’agit aussi d’une révélation (6).
Remarques
(1) Fritz Reiner et Jean Martinon ont gravé à huit ans d’intervalle (1956, 1964), et avec le même Orchestre Symphonique de Chicago, leur conception de la Rapsodie espagnole. Le Prélude à la Nuit, sensiblement différent en termes de tempo, présente néanmoins certaines ressemblances en termes d’alliages de timbres.
(2) Le disque paru en Europe il y a quelques années, aujourd’hui facilement disponible sur HMV (Japon), contient aussi Le Mandarin merveilleux, op. 19 (suite) de Bartók et Nobilissima Visione d’Hindemith.
(3) On trouve en DVD la Symphonie n° 1 avec le Japan Philharmonic-Symphony Orchestra (Exton) sur HMV.
(4) cf. 2ème épisode de notre feuilleton, pour les disques Prokofiev.
(5) Martinon a enregistré pour Emi l’intégralité des œuvres orchestrales de Maurice Ravel, nous ne l’oublions pas, mais avec l’Orchestre de Paris. Cette admirable intégrale, enregistrée à la Salle Wagram, pâtit d’une prise de son caverneuse. Les anciens reports de la fin des années 1980 sont préférables aux plus récents.
(6) Cet hommage à Jean Martinon s’est porté sur le chef d’orchestre. Nous devons signaler qu’il fut aussi compositeur. Henryk Szering et Rafael Kubelik avaient gravé son Concerto pour violon op. 61 en 1969, réédité au sein d’un ensemble consacré au chef tchèque (DG). En attendant qu’un label ambitieux se lance dans l’enregistrement des œuvres du chef, vous trouverez un disque du Quatuor Ravel chez Skarbo avec les Quatuors n°1 et 2. Le Deuxième Quatuor est présent aussi dans un coffret Music & Arts consacré au Fine Arts Quartett.
Informations
Les enregistrements Emi et Erato de Jean Martinon sont souvent réédités dans de magnifiques reports au Japon. Nous vous recommandons de visiter le site de vente japonais (version en anglais accessible) : www.hmv.cp.jp.
Remerciements (Postlude)
Je tiens par ailleurs à remercier vivement Jean-Charles Hoffelé, victime de mon impatience, Alain Pâris, pour ses remarques précieuses, ainsi que Philippe Pauly.