Les couleurs de Rameau
Rameau, composé pour le clavecin, supposent une richesse instrumentale
en dialogue car Rameau conçoit pour leur accompagnement le « chant »
complémentaire d’un violon ou d’une flûte, d’une viole ou d’un 2è
violon. Il s’agit d’un matériau musical destiné dès le départ à un
extension du spectre instrumental. On connaît depuis Saint-Saëns
(1896), la version en sextuor (cycle de 6 et non de 5 Concerts
réarrangés) pour orchestre à cordes qu’ont repris Hewitt, Froment,
Auriacombe, Paillard, Couraud, Dautel… autant de lectures
« monochromes » qu’un regard neuf, celui d’un baroqueux, critique autant
qu’imaginatif, se devait tôt ou tard de réviser: Rameau n’a jamais
connu (ni donc validé) ce montage en sextuor, d’autant plus terne qu’il
ne rend pas compte de l’extrême raffinement sonore du Rameau, génial
orchestrateur et divin mélodiste.
Hugo Reyne « ose » ici ce que nul n’avait réalisé et que pourtant chaque
ramiste convaincu attendait secrètement: opérer une relecture attentive
de la partition pour clavecin et divers instruments, en « déduire » une
orchestration fidèle à sa palette personnelle, associant aux cordes, la
vitalité fruitée et tendre des vents et des bois: flûte (François
Lazarevitch), hautbois (Jean-Marc Philippe), basson (Alexandre Salles).
Défi stimulant l’imagination, offrant désormais une nouvelle palette
sonore que relève chaque instrumentiste de la Simphonie du Marais (au
diapason 415Hz).
et le raffinement des options: toutes s’inspirent du principe du
recyclage, utilisé par Rameau de son vivant: nombre de mélodies
contenues dans les Concerts sont reprises, réorchestrées par l’auteur pour ses opéras.

arc tendu entre délicatesse, élégance, tendresse et grâce aérienne, le
geste des interprètes rend tout l’éclat souvent nostalgique des
innombrables danses entre autres, fécondant l’imaginaire de Rameau. Il
revient à Hugo Reyne, ambassadeur convaincant chez Lully,
l’intelligence d’une compréhension en profondeur de la séduction
ramiste: ici, tout s’opère en surface, dans la légèreté apparemment
badine, l’insouciance festive, un superbe équilibre qui met en lumière
le génie de la mélodie, la diversité et la facétie rythmique,
l’opulence des saveurs instrumentales. Grâce à l’ajout de la flûte, du
hautbois et du basson, tout un monde qu’on connaissait en noir et blanc,
s’illumine de teintes nouvelles. Le voici ce Rameau ivre de couleurs,
génie des dialogues subtiles dont l’érudition savante (qui lui fut tant
reprochée) sait trouver alliance avec un sens inouï de la couleur, des
alliances de timbres, une sensibilité singulière à caractériser un
climat émotionnel ou à rompre la monotonie. Les interprètes savent en
rehausser la brillance tendre et aussi nostalgique grâce à une fluidité
constante, des phrasés naturels, une précision dynamique qui forcent
l’admiration. D’autant que chaque Concert est en soi un monde
d’évocations, de suggestions, de références (non encore parfaitement
éludées): chacun développe des portraits en musique de héros (La Coulicam: Thamas Kouli-Kan, roi de Perse; Le Vézinet…), serviteurs de l’Etat (La Livri),
surtout artistes, musiciens (comme celui de Forqueray, Marais,… de
son élève Laborde, ou de la claveciniste Boucon qui deviendra l’épouse
de Mondonville… ), ou encore portrait de son protecteur, le fermier général La Pouplinière (1693-1762), devenu La Lapoplinière
avec sa partie virtuose à la flûte car le fermier général aimait
l’instrument: il s’est d’ailleurs fait portraiturer avec une flûte en
un tableau célèbre: cf. ci dessus, portrait de La Poupelinière par un
peintre anonyme…
Saluons en particulier la tenue superlative de la Simphonie du Marais dans l’ivresse poétique des 1er et 2nd Menuets (2è Concert), la vivacité mordante des 1er et 2nd Tambourins (3è Concert que Rameau reprend dans Dardanus),
… à la diversité des danses et des portraits-hommages, répond aussi
le chant plus intérieur, tout aussi magnifiquement ouvragé d’épisodes
d’une indiscutable poésie (L’Agaçante, La Timide, surtout La Cupis dont le titre fait référence aux pas enchanteurs de la danseuse vedette Marie-Anne Cupis de Camargo
(1710-1770): hymne à la grâce aérienne où la flûte caresse par sa
rondeur tendre… Lancret et Latour ont portraituré la danseuse qui
fait d’ailleurs la couverture du présent album. cf portrait ci-contre
de « la Cupis » par Latour). Maîtrisant l’auto-dérision et l’allusion
mystérieuse, Rameau nous laisse même un portrait de lui (La Rameau,
4è Concert)… où perce un style manifestement italianisant (gammes et
arpèges ascendants à la manière d’un concerto)… Voilà un document
opportun qui casse l’image raide et savante d’un Rameau pédant: ce
babil instrumental heureusement restitué, fait paraître la grâce
séditieuse, la furià imaginative, la délirante musique du plus grand
compositeur orchestrateur du règne de Louis XV.
2è album Rameau du label Musiques à la Chabotterie, les 5
concerts « version Reyne » marquent l’interprétation de la partition de
Rameau d’une croix blanche. L’enregistrement est un pur joyau.
Jean-Philippe Rameau (1683-1764): 5 Concerts en Simphonies, d’après les Concerts de pièces de clavecin (1741). La Simphonie du Marais. Hugo Reyne, direction. Parution: le 4 mai 2009.
Illustrations: La Poupelinière, La Cupis (DR)