L’opéra à deux
Rares voire exceptionnels les couples à la vie comme sur la scène ; surtout, si les deux musiciens partageant une passion commune, avancent l’un avec l’autre dans la même voie. Ce fut le cas du couple Bonynge/Sutherland.
Originaires tous deux de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie, Richard Bonynge qui deviendra chef d’orchestre, et la soprano Joan Sutherland, rencontrent dès les années 1950 car ils jouent déjà ensemble, en particulier le 17 juin 1950 lorsque le jeune homme de vingt-ans qui a obtenu une bourse pour se perfectionner à Londres, donne un concert d’adieu au Conservatoire de Sydney : Joan (24 ans), est à ses côtés, et chante avec le timbre puissant et naturel qui la distingue dès ses débuts de chanteuse. La mère de la jeune cantatrice, mezzo, avait été l’élève de la Mathilde Marchesi, le professeur de Nellie Melba et Sybil Sanderson.
Or dans cette période, Joan Sutherland se pensait mezzo comme sa mère, et après avoir eu la révélation qu’elle était soprano dramatique, ses aigus poussés, travaillés, n’allaient guère qu’au la. La coloratoure capable de suraigus phénoménaux (après l’ut, jusqu’au mi bémol), allait bientôt démontrer de nouvelles ressources : à Londres, où elle rejoint Richard Bonynge en 1951, et grâce à celui qui répétiteur, ayant pris l’habitude de faire répéter les chanteurs, allait offrir à sa partenaire, la nouvelle révélation de ses aigus exceptionnels.
Soutenue par son compagnon, Joan Sutherland, maîtresse de ses nouveaux aigus, habile aussi dans les trilles, découvre et aborde les répertoires belliniens et donizettiens. Elle intègre en 1952, la troupe du Covent Garden après avoir chanté, Bellini (i Puritani), Mozart (Donna Anna) et Wagner (Tannhaüser).
L’admiratrice de Kirsten Flagtstad épouse Richard Bonynge en octobre 1954. Les rôles qu’elle aborde sur la scène sont divers : Mozart (La Comtesse), Weber (Agathe), Offenbach (Olympia, Antonia), Verdi (Aïda, Gilda, Desdemona, Amelia…). Jusqu’au soir du 17 février 1959, où elle chante Lucia di Lammermoor de Donizetti, (sous la baguette de Tulio Serafin et dans la mise en scène de Franco Zeffirelli), ressuscitant l’ouvrage et devenant immédiatement, une star internationale. Donizetienne, Joan sut être aussi une éblouissante bellinienne, travaillant et chantant ensuite, La Sonnambula à Londres (1960), mais elle fut aussi une superbe Traviata de Verdi au même moment !
Richard Bonynge de son côté, apprend sur le terrain la direction d’orchestre. Il pourra donner l’état de sa préparation au pupitre, à Rome en janvier 1962, pour un récital de son épouse.
Le couple Bonynge/Sutherland travaille en équipe : chaque rôle est approfondi dans le moindre détail car les deux artistes sont aussi exigeants l’un que l’autre. Ainsi, grâce à l’étendue de la tessiture de la cantatrice, et la réputation de sérieux du pianiste et chef d’orchestre, l’Opéra de San Francisco accepte de monter Esclarmonde de Jules Massenet, un ouvrage aussi méconnu que redoutable pour la voix, sans même que son directeur ait vraiment parcouru la partition. Chaque pari sur la nouveauté et les difficultés d’interprétation qui en découlent, s’avère gagnant. D’autant que la maison de disques Decca suit avec confiance les propositions du couple : ainsi, ne l’ayant jamais donné sur scène, Joan Sutherland aborde la rôle de Turandot en studio sous la direction de Zubin Mehta.
Au final, la carrière parallèle des époux Bonynge se concrétise aujourd’hui en une discographie vertigineuse, qui comprend, le répertoire italien mais aussi des incursions tout aussi convaincantes dans l’opéra français et germanique.
Même si la cantatrice regrette de ne pas avoir donné davantage de rôles comiques (Norina de Don Pasquale de Donizetti, restera son rêve!), la « Stupenda » reste inoubliables dans les rôles d’héroïnes blessées et tragiques.
Approfondir
Lire notre dossier Dame Joan Sutherland, à l’occasion de ses 80 ans, le 7 novembre 2006.