La flûte enchantée
Les initiateurs de ce superbe premier volume ajoutent encore la si peu connue, Sonate en si mineur BWV 1030 avec clavecin obligé, la Sonata en mi mineur BWV 1034 avec basse continue; surtout la Partita pour flûte seule BWV 1013 qui souligne l’instinct si musical de la flûtiste Diana Baroni, pilier de l’enregistrement.
Au coeur de cette sélection illusoirement éclectique, une rencontre humaine et historique dans la vie de Bach: sa collaboration avérée en 1717 avec le flûtiste virtuose de l’orchestre de Dresde, qui fut aussi le professeur de Quantz (en 1719), Pierre-Gabriel Buffardin (1690-1768). Bach profite de l’agilité et de l’intelligence du flûtiste pour explorer en une complicité féconde et inspirante, toutes les ressources de l’instrument à son époque, gravissant des chemins inédits jusqu’alors, composant des sonates « riches, complexes, incontournables »: des défis et des champs d’expérimentations inespérés pour Diana Baroni et ses partenaires. Rappelons que par la suite, Quantz enrichit son propre catalogue d’innombrables Sonates et Concertos dont son élève, Frédéric II de Prusse, saura éprouver chaque qualité didactique.
Une musicalité inouïe, fondée sur la maîtrise naturelle du souffle, colore particulièrement chacune des Sonates choisies. Le geste instrumental qui se substitue à la parole, établit à partir du jeu de la flûte, un rapport proche, flexible et très vivant avec le clavecin, comme s’il s’agissait, d’une oeuvre à l’autre, d’une même conversation libre, fantaisiste, virtuose, surtout imprévue, exaltée, palpitante. Une conversation vivante et surprenante qui prend pour appui tout ce que Bach a compris des promesses et possibilités réelles de la flûte traversière baroque développée en France et dont la perce conique et ce 7è trou ajoutée, développent et élargissent le champs expressif et musical.
L’Allegro de la BWV 1034 est traversé par un souffle lumineux. L’Allemande initiale de la Partita BWV 1013 gravit des sommets de suspensions tendres et elles aussi illuminées par la lumière si palpable dans le chant de la flûtiste en solo: l’agilité et l’abattage, ce rubato sans affectation ni systèmatisme suit un flux naturel et souple; Diana Baroni montre là un immense talent, une intelligence intérieure, une sincérité sobre, une franchise dépouillée, une ligne proche de la parole, d’une justesse bouleversante. Et le son rond et sculpté, chaud et précis de son traverso (Denner par Jean-Jacques Melzer) exprime un chant d’une intensité franche et coulante. Dans ce seul mouvement, la flûtiste super solo de Café Zimmermann accroche les étoiles ! L’agilité de la Courante qui suit confirme l’excellence de l’approche et la Sarabande, toute en nuance agogique, s’écoulant entre gravité et insouciance, démontre l’étonnante sensibilité de l’interprète. Belle conclusion dans la Bourrée anglaise, pleine de riches accents, d’agilité gracieuse et aussi de couleurs et de plans diversifiés et caractérisés. Quelle bel hommage d’une virtuose contemporaine à son aîné, probablement le dit Buffardin, virtuose à Dresde, dont la partition pourrait témoigner des capacités: « solo pour la flûte traversière » est-il écrit et en français en titre de la seule copie d’époque conservée à ce jour: l’audace et l’agilité recréative dont est capable Diana Baroni font de ce choix, la marque d’un discernement exaltant.
Prise plus rapprochée et plus mate dans la Sonate en Trio BWV 1039, d’une belle vivacité partagée entre les deux traversos (Allegro ma non presto, Presto-Allegro) et dont le superbe adagio déroule cette gravité à la fois souple et suspendue qui fait paraître le Bach singulier, spirituel et tendre à la fois… La partition jouée lors des concerts ordinaires au Café de Gottfried Zimmermann est défendue avec style, élégance, énergie et caractère. Franche complicité, raffinement agogique porté avec une assurance sensible par Diana Baroni, ce nouvel opus mérite sans réserve, tous les éloges. Après de précédentes réalisations tout aussi abouties dans des univers si variés et différents (Son de los diablos, Flor di Verano), la flûtiste et chanteuse argentine Diana Baroni sait, qualité rare, nous surprendre et nous convaincre à chaque nouvel album. C’est à chaque programme un renouvellement du feu interprétatif et un approfondissement tout en subtilité. Parcours sans faute.
Jean-Sébastien Bach: Sonates pour flûtes volume 1: BWV 1034, 1013, 1039, 1030. Diana Baroni, Sarah van Cornewal, traversos. Dirk Boerner, clavecin. 1 cd Ma Recordings. Enregistrement réalisé en juillet 2010 à Lyon dans la Chapelle des Chartreux