mercredi 23 avril 2025

John Neumeier: Tod in Venedig, Mort à Venise (2003) Arte, le 10 janvier 2010 à 9h45. Critique

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Ballet autobiographique

La lecture que porte Neumeier sur le roman de Thomas Mann est à la fois autobiographique et universelle. En choisissant de mettre en scène un Aschenbach chorégraphe, l’Américain, directeur depuis plus de 30 années du Ballet de Hambourg, situe l’action au coeur même de l’exercice dansé et se situe à égalité avec le protagoniste qui est, comme créateur (Aschenbach est un écrivain au soir de sa carrière), dévoré par le doute, de plus de plus rongé par un idéal inatteignable, une interrogation qui ruine les fondements de son identité.
Ainsi on retrouve dans le ballet de Neumeier, la même relation qui inscrit Thomas Mann avec son personnage principal, Aschenbach qui est comme lui, un écrivain sur le tard. Neumeier réactive ce rapport en miroir, entre le créateur et son personnage double: Aschenbach est donc ici un chorégraphe.

La première heure de ballet « Mort à Venise » exprime la solitude de plus en plus aiguë du maître de danse. L’action dévoile peu à peu ses démons intérieurs. Les incertitudes du créateur posent dans la lumière l’impossibilité que tout homme éprouve face à son destin.

Au départ, il s’agit d’un homme de certitude apparente dont le mouvement ponctué par le clavecin de Bach, confirme le pas mesuré et équilibré, la cadence et la variation baroque (celle de Bach joué au clavecin). Mais bientôt la mécanique s’enraye et lorsque le beau Tadzio paraît, le chant du piano paraît, laissant se développer les premiers accords du Tristan de Wagner: la scène glisse et bascule, d’une narration décorative au surgissement d’un doute nouveau, désormais irrépressible. Les tableaux collectifs soulignent la solitude et le désarroi du chorégraphe, inquiet, insatisfait, dont le décalage avec ses danseurs s’accentue.
La dualité dévorante du héros grandit et s’exprime explicitement par le couple des danseurs jumeaux (image récurrente des ballets de John Neumeier, que l’on a vu avec fascination dans Nijinski, autre ballet parmi les plus réussis du chorégraphe américain): le couple en jean, torse nu, lunettes de soleil compose avec Aschenbach, un trio porté par la pulsion, le déséquilibre, entre Eros et Thanatos, désir et mort… l’esprit du maître de danse vacille constamment entre l’un et l’autre bord, sans jamais trouver de tranquillité…

Au demeurant, la plastique du danseur incarnant notre héros, très convaincant s’apparente peu à peu à celle d’un voyageur errant, Wanderer traversant la mer (des pans marins traversent la scène): en chapeau et imper, Aschenbach se retrouve sur une gondole, conduite par les mêmes jumeaux devenus gondoliers: il vient d’accoster à Venise.
Là encore, les tableaux collectifs mettent en lumière sa détresse muette, cette solitude qui appelle une résolution à venir. Le destin se précise lorsque paraît pour la seconde fois Tadzio dont l’excellente tenue esquisse et affirme un solo tendre et provocant. Jusqu’à ce que sa mère paraisse dans le hall de l’Hôtel des Bains au Lido de Venise… A la fin de la première heure, Aschenbach et son vainqueur composent un duo extatique qui scelle définitivement le sort du héros: il est entièrement soumis aux forces du désir.

L’approche de Neumeier est constamment fine, pudique, douée de contrastes dramatiques saisissants. Le surgissement du couple de jeunes danseurs sur le fond d’une feuille verte géante, printanière, sur la musique de l’ouverture de Tristan de Wagner est bouleversante: cette vision fugitive, d’une indécente fraîcheur, incarne le rêve impossible d’Ashenbach. Rien de plus pathétique et troublant que son visage atteint et saisi, sans issue. Sait-il alors qu’il est perdu?
La musique de Tristan und Isolde de Wagner est particulièrement bien choisie: il est vrai que Wagner, fuyant les perspectives malheureuses de sa liaison elle aussi impossible avec Mathilde Wesendonck, rejoint Venise et compose le 2è acte de l’opéra…

Ballet.
Mort à Venise d´après Thomas Mann. Chorégraphie de John Neumeier
.
Musique de JS Bach et Wagner (2004, 2h). Ballet de Hambourg.
Chorégraphie et mise en scène : John Neumeier. Musique : Johann
Sebastian Bach, Richard Wagner. Décors : Peter Schmidt. Costumes : John
Neumeier et Peter Schmidt. Réalisation : Thomas Grimm Avec : Edvin
Revazov (Tadzio), Lloyd Riggins (Gustav von Aschenbach), Laura
Cazzaniga (la mère de Tadzio) et le ballet de Hambourg Coproduction :
ARTE, SWR, BR (2004, 2h). Diffusion du 10 janvier 2010 à 9h45

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