France Musique, jeudi 30 juin 2016, 20h. Jonas Kaufmann chante les Wesendoncklieder de Wagner… Le récital transmis par France Musique crée l’événement : déjà la présence à Paris de Jonas Kaufmann est un rendez vous incontournable mais s’ajoute à cette présence bienvenue, le choix de la partition : exceptionnelle, la version des Wesendonck lieder de Wagner pour voix de ténor, mais un ténor rauque et chaud, aux rugosités amples si incarnées et cuivrées. Tout cela contraste avec la version habituelle pour voix de femme, soprano ou mezzo. Dans un récital discographique dirigé alors par Claudio Abbado édité alors par Decca, Jonas Kaufman, éblouissait dans Wagner (Sigmund bouleversant). Nul doute que l’engagement dramatique et l’acuité émotionnelle, sa gravité et sa tendresse, ce caractère embrasé et ivre (à l’instar de son modèle le ténor Jon Vickers) du ténor Kaufmann illumine la partition.
WAGNER REVOLUTIONNAIRE ET FUGITIF… Marié à Minna depuis 1836, Richard Wagner a fui Dresde et la répression contre les libertaires révolutionnaires dont il faisait partie. Le compositeur recherché par les autorités a trouvé refuge au bord du lac de Zurich, en 1849. Sa rencontre avec Mathilde Wesendonck en février 1852 restentit comme un électrochoc. La jeune femme, âgée de 24 ans, est l’épouse d’Otto Wesendonck, industriel fortuné qui doit son essor à la maison des soieries qu’il a fondée à New York. Au choc de cette rencontre humaine, Wagner éprouve une crise artistique majeure que porte sa composition nouvelle Tristan und Isolde, élaboré en 1854, à laquelle se mêle aussi la lecture de Shopenhauer, son scepticisme fécondant: le musicien ressent très profondément la solitude de l’artiste, sa malédiction et son impossibilité à vivre pleinement tout amour salvateur: il a certes, la capacité d’identifier la force rédemptrice de l’amour suscité par la femme, mais contradictoirement, ne peut en réaliser le principe salvateur ici bas. Omniscience, impuissance, solitude, plainte et malédiction: pourtant l’art de Wagner loin de se mûrer en un acte fermé sur lui-même, dans son aspiration exceptionnelle, engendre l’opéra de l’avenir dont Tristan marque l’avènement: opéra romantique, opéra moderne. Dès décembre 1856, vivant l’amour pour Mathilde qui est une nouvelle épreuve de l’impuissance et de la frustration car cette liaison n’a aucun avenir, Wagner compose les premières esquisses de Tristan.
REVE D’AMOUR EN SUISSE : DE TRISTAN aux WESENDONCK. Les deux cycles amoureux sont taillés dans le même bois, sculptés par un compositeur traumatisé par ses affres sentimentaux… De Siegfried à Tristan. L’attraction de Wagner pour Mathilde s’est violemment manifestée quand Otto Wesendonck, ignorant la situation amoureuse dont il est la victime aveugle, invite le couple Wagner dans l’une de ses villas, et même encourage le compositeur à écrire de nouvelles oeuvres (avril 1857). Exalté par la présence de celle qu’il vénère secrètement, Wagner cesse la composition de Siegfried, et se passionne pour son nouvel opéra, Tristan. A l’été 1857, Wagner organise une première lecture du poème qu’il a rédigé, regroupant et synthétisant toutes les légendes sur le sujet de Tristan. Dans l’audience privée qui recueille cette première écoute, se trouvent les 3 femmes de sa vie, Mathilde l’inaccesssible, Minna, sa compagne désormais plus supportée qu’aimée, et sa future épouse, Cosima née Liszt, qui est alors la femme du chef Hans von Bülow.
En octobre 1857, Richard Wagner compose les Wesendonck lieder, cycle de mélodies qui est à la fois, la déclaration d’amour d’un coeur à l’autre, et aussi pour le compositeur, le journal poétique de ses sentiments contradictoires, entre élan, désir, et dépression. Mathilde a transmis les cinq poèmes, rédigés d’après les thèmes de Tristan. La musique que compose Wagner est ensuite réutilisée pour l’opéra Tristan: les deux cycles de compositions sont liés. D’ailleurs, quand il prépare la publication des Wesendonck lieder en septembre 1858, Wagner sous-titre l’opus: “Etudes pour Tristan und Isolde”. Nouri par son amour pour une muse, Wagner dépose le 31 décembre 1857, la partition du premier acte de Tristan aux pieds de Mathilde, nouvelle Isolde pour un Tristan ennivré.
L’issue semble cependant inévitable: en janvier 1858, Minna intercepte un courrier entre Richard et Mathilde: elle exige des explications et dévoile l’union scandaleuse à Otto Wesendonck. Les deux couples se séparent: déchirements et tensions. Rupture. Dépressif, meurtris, Wagner se retire à Venise… et compose les derniers actes de Tristan. Aucun doute, le sujet de la passion amoureuse, légué par la fable médiévale a marqué de façon indélébile, la vie de Wagner, comme sur le plan musical, il féconde l’oeuvre du musicien qui en a transposé la difficile mais radicale expérience dans deux oeuvres désormais emblématiques: le cycle des Wesendonck lieder, puis l’opéra de la modernité, Tristan und Isolde.
France Musique, jeudi 30 juin 2016, 20h. Jonas Kaufmann chante les Wesendoncklieder de Wagner… Diffusion du concert enregistré le 19 mai 2016
Liszt: Orphée
Wagner: Wesendonck-Lieder
Bruckner: Symphonie n° 7
Jonas Kaufmann (ténor)
Orchestre National de France
Daniele Gatti (direction)
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