mercredi 16 avril 2025

Joseph Haydn: les Quatuors. Présentation, évolution, écriture Intégrale Quatuor Festetics (Arcana)

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Joseph Haydn
Intégrale des Quatuors

(1770-1803)


Quatuor Festetics


Sur instruments d’époque,
L’esthétique des Festetics


La réédition de l’intégrale des Quatuors de Joseph Haydn par la maison Arcana récemment reprise par une firme italienne, est un événement discographique tant l’approche sur instruments d’époque des quatre instrumentistes du Quatuor Festetics – le second violon Erika Petöfi joue entre autres un violon Matthias Thier de Vienne daté 1770, l’année où « tout commence » pour Haydn dans le genre-, s’est révélée décisive : ordre révisé selon les tonalités de chaque morceau, phrasés, travail de l’archet, nuances et accents, équilibre dialogué, sonorité et couleurs… la réflexion des Festetics dont l’aventure au studio commence en 1993, sonne comme un renouvellement de notre connaissance d’un corpus majeur, soit, après analyse récente des musicologues, 58 Quatuors authentifiés (au lieu des 82 souvent annoncés) qui de 1770 à 1803, suivent la maturation progressive du compositeur dans un genre désormais emblématique de l’esthétique des Lumières, genre musical et défi compositionnel qu’il a créé. Outre une présentation de l’approche des Festetics, il s’agit aussi de suivre grâce à leur éloquence musicale, les étapes du cheminement de l’écriture d’un Haydn, à la géniale expérimentation. Intégrale majeure.

CD1. L’Opus 9. Les 6 Quatuors du commencement, composés entre 1769 et 1770 ont été reconnus par Haydn comme les premiers dignes du genre nouveau. Les 18 essais précédents appartiennent à une forme encore transitoire, en 5 mouvements (au lieu des 4 « classiques ») intitulés « Cassation ou Divertimento », voire tout simplement « a quattro ». Donc, voici les origines du genre, circa 1769, à partir du numéro 19, défendu désormais par un ensemble de 4 instruments chanbristes : 2 violons, 1 alto, 1 violoncelle (encore souvent nommé « basso »). Les Festetics soulignent la partie très virtuose du violon I, probablement réservée, comme un hommage, au premier violon de l’Orchestre Esterhazy, Luigi Tomasini (la partie des cadences improvisées dans les mouvements lents en témoigne). Comment est né ce travail spécifique sur la forme concertante, dialoguée entre 4 cordes ? Le mystère reste entier : il est probable que Haydn alors qu’il compose des trios pour barytons, instrument favori de son patron Nikolaus Esterhazy, s’intéresse seul à une extension plus raffinée encore : le Quatuor. Le musicien soucieux d’établir sa réputation à l’échelle européenne, destine ses œuvres pour le Quatuor hors des frontières autrichiennes, pour la diffusion et l’exportation : ses finances ne peuvent que mieux se porter. Fidèles à leur exigence philologique, les Festetics respectent (et rétablissent) l’ordre des tonalités originelles. Ils permettent de suivre l’évolution de la pensée de Haydn, ses choix dans la succession des mouvements : premier mouvement, menuet, mouvement lent puis finale. Il s’agit d’alterner en contraste, les épisodes long, court (menuet), long, court. L’introduction est une déclaration spirituelle, le menuet : une expérience sensorielle, le mouvement III : un épisode où le sentiment et l’intimité règnent ; enfin, le finale, est une libération en forme d’exercice musculaire. Le cycle quadripartite ainsi « fixé » offre un cadre parfait, sorte de théâtre de l’intime, entre extériorité et introspection, Fantaisie recomposée qui produit les éléments vitaux de l’existence : exaltation, confession et nostalgie, déclaration, retrait voire renoncement. Mais déjà, outre l’écriture dominante du violon I, Haydn recherche un nouvel ordre démocratique, ciselé dans la partition complémentaire des 3 instruments. Comme un laboratoire, le résultat permet de suivre la pensée de plus en plus éprise d’équilibre et d’expérimentation d’un Haydn décidément visionnaire. Enregistré en 1998. Arcana 2 cd.
CD2. L’Opus 17. Les 6 Quatuors suivant, datés de 1771, enregistrés en 1993, prolongent les recherches de l’année précédente (celle de l’opus 9), marqué surtout par l’ample Moderato en I, puis le Menuet installé encore à la deuxième position. Mais le geste souple des interprètes souligne combien en une année, l’écriture de Haydn a gagné en richesse, aisance, profondeur. Tout cela préfigure les audaces formelles décisives de l’opus suivant, 20, de 1772. Les Festetics peuvent ici se délecter en suivant, fait exceptionnel dans l’intégrale, la partition originale ( !) qui a heureusement subsisté. On retrouve les préceptes qui font la réussite de leur approche : ordre des tonalités originelles ( fa majeur, mi majeur, do mineur, ré majeur, mi bémol majeur et sol majeur : soit une seule pièce en mineur. Clarté, articulation, éloquence en dialogue, motricité et caractérisation rythmique (en particulier dans le Moderato initial à 4/4), … les instrumentistes prennent plaisir à exprimer la matière partagée du nouveau genre dans ce laboratoire instrumentale qui occupe Haydn au début des années 1770. On suit l’évolution de l’écriture précisément l’amplification du mouvement 1 qui passe ainsi tout au long des 6 Quatuors, de 100 à 130 mesures et toujours la partie virtuose du violon I (Istvan Kertesz). Le travail sur le Sol majeur est particulièrement délectable (contrastes et surprises de son Menuet et de son finale). Arcana 2 cd.
CD3. 6 quatuors du Soleil de l’Opus 20 (1772). Enregistré en 2005, voici l’un des meilleurs volets de l’intégrale Festetics. Toujours au diapason 421, l’approche privilégie une pureté de son qui éclaire l’évolution de l’écriture dans le genre neuf, encore en devenir du Quatuor haydnien. Les instrumentistes montrent ainsi comment nous passons ici à une succession nouvelle et décisive : le menuet auparavant placé en 2è position, devient dorénavant, à partir de 1772, le troisième mouvement, offrant une synthèse de grâce libérée, avant l’explosion triomphale du finale. Ces 6 Quatuors dits « du Soleil », en référence à l’image de l’astre reproduit en page de garde de l’édition Hummel de 1779, marquent bien le sommet de l’inspiration du Maître d’Eisenstadt. Haydn y lègue dans une langue orthodoxe, idéalement classique, un premier modèle du genre, une somme musicale comme le sont à la même époque, les Sonates pour le clavier de CPE Bach. A ce stade, Haydn ne devait plus revenir à l’écriture de quatuors, avant 10 ans, soit en 1781. Le temps que ses contemporains dont Mozart mesure le chemin parcouru et l’apport magistral du compositeur autrichien.
Fidèles à leur souci des tonalités, les Festetics suivent pas à pas l’ordre désiré par Haydn qui en plus de vivacité contrastée, recherche un juste équilibre du développement des couleurs et des caractères. Ainsi, l’Opus 20 impose 2 tonalités mineures (fa et sol), placé au début de chaque cycle de trois quatuors, comme une déclaration manifeste d’un nouvel ordre harmonique ; souligne aussi une autre innovation : la fugue dans l’écriture du finale. Les instrumentistes savent reconnaître la part du populaire et du naturel dans l’œuvre si aristocratique de Haydn, ainsi les citations gitanes, mordantes, franches dans le ré majeur final. Savait-il combien ce cycle de 6, « solaire », était inestimable. Brahms posséda le manuscrit original (aujourd’hui déposé à la bibliothèque des Musikfreude de Vienne). Autre fait important : la mention « violoncello » apparaît ainsi pour la première fois sur le papier. Saluons en particulier la perfection formelle et le geste interprétatif des Festetics dans le Sol mineur introductif (allegro initial spirituel : nouvelle science de l’écriture polyphonique et contrapuntique auquel répond l’assise du mi bémol majeur suivant). Suprême maîtrise, invention riche et constante, qui cependant suscita les foudres dépréciatifs de l’audience berlinoise (insultant même Haydn dont elle releva les « imperfections » contrapuntiques ! comme le rappelle le livret), voici la pierre angulaire des 3 premiers albums Haydn par les Festetics. Arcana 2 cd.


A suivre

Retrouvez pendant tout le mois de juin, nos critiques progressives de l’intégrale des Quatuors par le Quatuor Festetics chez Arcana: événement discographique de l’année Haydn 2009,

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