Kaija Saariaho a créé en avril dernier son second opéra, Adriana Mater à l’Opéra Bastille qui lui en avait passé la commande. Les séances de travail lui ont permis de retrouver ses complices
réunis autour d’elle pour son premier ouvrage lyrique, L’Amour de loin (créé au Festival de Salzbourg à l’été 2000)
: l’écrivain libanais Amin Maalouf qui signe à nouveau le livret, le
chef Esa-Pekka Salonen et le metteur en scène, Peter Sellars. Les
premières représentations d’Adriana Mater à l’Opéra Bastille, ont
démontré la distance prise avec son premier ouvrage lyrique.
Celle
qui s’était détournée du théâtre, avait l’habitude des œuvres écrites
dans le silence et la solitude, nous revient six ans plus tard
avec une partition dense, écrite dans la collaboration proche de ses
partenaires, en particulier Peter Sellars auquel la partition est
dédiée.
Si l’Amour de loin s’inspire de la légende du troubadour
Jaufré Rudel sur un registre onirique où
l’action est plus suggérée que réalisée, Adriana Mater s’inscrit
immédiatement par la violence du sujet et la consistance de la musique
dans notre propre époque : une époque barbare. La force de l’œuvre
tient à la combinaison réussie d’une intrigue tragique mais non exempte
d’espoir, et de références à peine voilées à notre histoire la plus
récente.
Les prénoms des protagonistes par exemple évoquent
par leur consonance, le Kossovo et la Croatie… tout au moins un pays
balkanique qui était, encore, à la fin du dernier siècle, à feu et à
sang. Engagé, dénonciateur : l’opéra l’a toujours été. Mais ici à la
tension parfois incantatoire et même hypnotique du livret, s’associe la
magie de la musique qui suit la structure dramaturgique d’Amin Maalouf, lequel témoin des conflits et des fronts de violences comme reporter de guerre, utilise le rêve comme le moyen d’exprimer sur scène, l’horreur des combats sur la société civile. Avec Adriana Mater, Kaija Saariaho dénonce
l’horreur des violences contemporaines, la guerre animale, le viol et
la barbarie. D’ailleurs, l’écriture de la compositrice s’est adaptée à l’intensité du sujet, préférant aux mélismes vocaux, un style plus syllabique.
Cependant comme l’Amour de Loin, Adriana mater
met en lumière des thèmes universels qui dépassent l’anecdote
historique. En cela, les personnages doivent être compris comme des
archétypes porteurs de leur propre espérance. Au cœur de l’ouvrage, il
y a cette apologie tendre de la maternité, qui permet au comble de
l’horreur, ce basculement inespéré où l’homme reprend raison, respect,
dignité. De la barbarie à l’humanité. La compositrice dont l’idée de la
maternité s’est présentée aussitôt pour son nouvel ouvrage, précise
aussi avoir été frappée par une image lorsqu’elle était enceinte :
l’idée des deux cœurs réunis, celui de son enfant et le sien, battant
chacun à leur propre rythme. Cette image s’est inscrite dans l’œuvre, à
la source même de l’inspiration : le battement parallèle, décalé ou à
l’unisson des deux cœurs renvoie à la pulsion et au rythme musical, à
la vie elle-même avec d’autant plus de force dans un contexte de guerre
et de cruauté où l’anéantissement menace.
En Adriana Mater, il faut identifier l’inquiétude d’une mère pour son fils. Peur ancienne et toujours recommencée, celle qui a conscience de la répétition destructrice et souhaite une autre vie pour sa progéniture.
Adriana Mater
Opéra en sept tableaux (2006) – Livret d’Amin Maalouf
Direction musicale Esa-Pekka Salonen
Mise en scène Peter Sellars
Décors George Tsypin
Lumières James F. Ingalls
Informatique musicale IRCAM
Réalisation informatique musicale Gilbert Nouno
Chef des Choeurs Peter Burian
Adriana Patricia Bardon
Refka Solveig Kringelborn
Tsargo Stephen Milling, Jouni Kokora (le 10 avril)
Yonas Gordon Gietz
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris