Karajan par l’image
L’hommage à Herbert von Karajan pour le centenaire de sa naissance, le 5 avril 2008, suscite une vague de programmations à la télé, particulièrement prometteuses. Arte, France 2 et surtout France 3 s’accordent pour célébrer le charisme du chef le plus célèbre du XXème siècle, qui sut lui-même combiner son génie interprétatif aux possibilités médiatiques et technologiques de son époque. En homme de son temps, et pour transmettre un héritage de son oeuvre d’interprète, le maestro fut obsédé par le son et l’image. Voici un panorama synthétique des rendez-vous incontournables diffusés par nos chaînes télévisuelles au mois d’avril 2008. En visionnaire, Karajan a rétablit le mariage du marketing et des medias avec la qualité artistique. Chacune de ses réalisations vidéo témoigne de cette ambition portée comme une exigence. L’héritage est impressionnant et permet de reconstituer les évolutions d’une odyssée filmographique dont le maître artisan sut concevoir les règles encore admirées aujourd’hui.
Sommaire de notre dossier Karajan par l’image
Concerts légendaires et documentaires
Sélection CD et DVD
Concerts et documentaires
France 3
Vendredi 4 avril 2008 à 23h20
« Karajan intime ». Documentaire inédit signé Alain Duault. Réalisation: Franck Chaudemanche, 2007, 52 mn.
A l’occasion du centenaire de la naissance du chef d’orchestre, France 3 dévoile le visage intime d’Herbert Von Karajan. Si Karajan est reconnu par tous pour son profond amour de la musique, son parcours à la tête des plus grands orchestres internationaux et sa discographie impressionnante, sa personnalité reste très controversée. Son adhésion au parti nazi dès 1933, son intransigeance, son goût pour le luxe, les sports à sensations, son redoutable sens des affaires, mais aussi sa pratique du yoga, sa conviction bouddhiste zen, ses différents mariages, composent une figure à multiples facettes, entre l’homme et l’interprète, contradictoires, déconcertantes, suscitant l’admiration comme le trouble…
Alain Duault propose de découvrir à travers le champ de l’intime, qui était vraiment Karajan, le « petit K », comme l’appelait l’immense chef Wilhelm Furtwängler qui lui fit de l’ombre jusqu’à sa mort en 1954, règnant incontestablement comme le seul chef allemand d’envergure. A Salzbourg à la rencontre d’Eliette Mouret-Karajan, dernière épouse (française) du chef d’orchestre qui partagea sa vie pendant plus de 30 ans (et qui fait paraître un livre bigraphique « A ses côtés » aux éditions L’Archipel), en compagnie de ceux qui l’ont côtoyé: Michel Glotz (producteur), Janine Reiss (chef de chant), Pierre-Jean Rémy (auteur d’une biographe éditée en 2008 chez Odile Jacob), Geneviève Geffray (conservateur en chef de la bibliothèque Mozart au Mozarteum de Salzbourg), Alain Duault donne la parole aux témoins et aux chercheurs…
France 3
Vendredi 4 avril 2008 à 00h25
Concert filmé par Henri-Georges Clouzot (1966, 43mn). Il existe deux films symphoniques conçus par Clouzot et Karajan: la Symphonie n°5 de Beethoven, puis la Symphonie n°8 Nouveau Monde de Dvorak. Si Arte nous offre la Cinquième de Beethoven (voir ci après le 6 avril 2008 à 19h), France 3 ouvre le bal en diffusant la Symphonie Nouveau Monde de Dvorak, ce soir. Il s’agit de deux documents légendaires où le cinéaste français à le demande du chef, met en scène par le truchement de la caméra, le charisme du directeur musical, le feu collectif du Berliner, l’expérience transcendante et spirituelle qui en découle…
France 3
Samedi 5 avril 2008 à 00h25
Concert filmé par Henri-Georges Clouzot (1966).
Pour le jour anniversaire du centenaire de la naissance du chef d’orchestre né à Salzbourg, France 3 diffuse la Symphonie n°9 « Nouveau Monde » de Dvorak dirigée par Herbert Von Karajan, filmée par le cinéaste Henri-Georges Clouzot. Karajan s’est associé à Henri-Georges Clouzot dès 1965 pour une série de captations dédiées à la télévision. L’enregistrement de la Symphonie de Dvorak appartient à ce cycle de réalisations scrupuleusement réglées, minutieusement scénarisées au millimètre. Karajan musicien et interprète, fut aussi obsédé par l’image autant que par le son. Le réalisateur place le téléspectateur au cœur de l’orchestre grâce à un dispositif exceptionnel, en particulier la caméra tournant autour du chef d’orchestre et de l’orchestre lui-même. Une démarche inédite qui fait date dans l’histoire des captations symphoniques.
Arte
Samedi 5 avril 2008 à 21h
Concert anniversaire du Centenaire de la naissance d’Herbert von Karajan (1908-2008). Le 5 avril 2008 marque les 100 ans de la naissance du plus grand chef d’orchestre du XXème siècle. Enregistré en janvier 2008 à Vienne. Diffusion simultanée sur France Musique. Réalisation: Agnès Meth (2008, 2h). Concert hommage à Herbert von Karajan. Pendant 34 ans, à partir de 1955 quand il en est nommé « chef à vie », Herbert von Karajan, successeur de Furtwängler, dirige à un niveau d’excellence, le Philharmonique de Berlin. Seiji Osawa dirige à Vienne, la phalange berlinoise qui a délaissé pour cet événement exceptionnel, la direction de son chef atittré, Sir Simon Rattle. Seiji Osawa, disciple de Karajan, dirige la violoniste Anne-Sophie Mutter (la révélation du siècle, selon les mots de Karajan lui-même), dans le Concerto pour violon et orchestre de Ludwig von Beethoven, puis la Symphonie n°6 « Pathétique », en si mineur opus 74, de Piotr Iliytch Tchaïkovski.
Arte
Samedi 5 avril 2008 à 23h
Documentaire-portrait d’Herbert von Karajan. Réalisation: Claire Alby et Patricia Plattner (1999, 52mn). Maestro, maestro! Portrait d’Herbert von Karajan. Captivante ascension de Karajan: porté grâce à son allégeance au régime hitlérien, nommé chef à vie du Berliner Philharmoniker après la mort de Furtwängler, artisan d’une réforme en profondeur de la pensée musicale de la seconde moitié du XXème siècle. Ses admirateurs témoignent du charisme et du génie interprétatif du chef: Christa Ludwig, Seiji Osawa, Anne-Sophie Mutter… Les historiens précisent ses années nazies, les musiciens évoquent l’obsession de Karajan pour l’image et le son. Documentaire exhaustif, réalisé en 1999 pour les 10 ans de la disparition du chef d’orchestre.
Arte
Dimanche 6 avril 2008 à 19h
Concert filmé en 1966. Réalisation: Henri-Georges Clouzot (1966, 43mn). Karajan dirige la Symphonie n°5 de Beethoven. Clouzot filme l’Orchestre Philharmonique de Berlin sous la direction de celui qui en fut nommé à vie depuis 10 ans. En 1966, Karajan, qui dirige aussi l’Opéra de Vienne et le Festival de Salzbourg a réussi à atteindre un niveau de reconnaissance et une perfection musicale, semblables à ceux de son grand modèle, Wilhelm Furtwängler. A la demande de Karajan, Clouzot qui s’est fait remarquer pour ses films documentaires, entre autres sur Picasso, ou encore ses longs métrages tels « Quai des orfèvres », filme plusieurs documents visuels, représentant la Philharmonie de Berlin et son chef charismatique. Le travail dépasse ainsi la seule captation « passive » d’une interprétation musicale. Karajan, passionné par l’image et le cinéma, demande à Clouzot de réécrire chaque oeuvre symphonique comme s’il s’agissant d’un film de musicien: les instrumentistes deviennent acteurs et le chef, dans un style décontracté et icône glamour (il dirige non pas en costume mais polo de laine, et coupe moderne), incarne la figure du guide musical et spirituel. Au coeur de cette scénographie nouvelle de la musique classique, les mains du chef occupent une place première: elles sont les vraies protagonistes d’une filmodramaturgie, toujours captivante voire troublante: ne faut-il pas y voir aussi une réalisation léchée, millimétrée, qui sert un propagande esthético musicale, plaçant à l’égal du compositeur joué, le chef omniprésent et omniscient?. En préambule à la Symphonie n°5 de Beethoven, Karajan dirige et réalise l’ouverture de Coriolan opus 62, en 1975. Le chef est devenu réalisateur et concepteur de sa propre filmographie.
Arte
Lundi 7 avril 2008 à 22h45
Documentaire. Réalisation: Georg Wübbolt (2008, 53mn). Karajan, le culte de l’image. Il est souvent de bon ton parmi les « grands interprètes » de diaboliser les lois du marketing. Ce qui est commercial et abondamment servi par les medias de masse, n’est souvent pas synonyme de qualité, encore moins d’exigence artistique. Le cas d’Herbert von Karajan contredit tous ces aprioris restrictifs dont usent et abusent les critiques les plus conservateurs. En génie de la communication et en maître du geste interprétatif, Karajan a dévoré avec passion tous les médias de son époque, s’impliquant comme personne avant, dans les réalisations audio et vidéo. Son héritage dans ce domaine explique pourquoi sa présence, 100 ans après sa naissance, et près de 20 ans après sa mort, reste toujours aussi vivante, incontournable, captivante. L’homme et l’artiste ont laissé un héritage qui nourrit leur légende. Le documentaire montre combien le maestro d’origine autrichienne, et grec par ses parents, fut en boulimique de la caméra, un esthète, visionnaire et perfectionniste, d’une intransigeante activité. On imagine ce qu’il aurait inventé à l’ère d’Internet et de la diffusion de la musique par l’image numérique et digitale! Aucun de ses opéras ainsi filmé ne laisse indifférent: ses réalisations demeurent même des références pour tous, à l’égal d’un Losey pour Don Giovanni. Le film de Georg Wübbolt donne la parole aux collaborateurs du chef, aux membres de son équipe technique, témoins admiratifs du système Karajan. Document incontournable pour qui souhaite comprendre l’objectif du Karajan cinéaste.
France 2
Lundi 7 avril 2008 à 1h25
Giuseppe Verdi: Requiem. Enregistrée en 1967, avec le jeune Luciano Pavarotti remplaçant Carlo Bergonzi, cette production est l’une des toutes premières réalisations filmique de Herbert von Karajan (et son premier film couleur), produite avec l’aide du cinéaste Clouzot, créateur des grands classiques français (Le Corbeau, Quai des Orfèvres, Le Salaire de la peur…), un choix qui reflète l’intuition visionnaire et l’attrait pour l’excellence cinématographique défendu par le chef d’orchestre.
Karajan et Clouzot cosignent cet immense chef-d’œuvre. Entre les deux, l’accord est parfait. Ils libèrent la spiritualité de l’œuvre, restituant en images toute sa profondeur. Des mouvements de caméra admirables, des rapports fulgurants créés par la composition des plans et le montage entre le chef, les musiciens, les chœurs et les solistes, donnent à cette représentation une flamme lyrique extraordinaire. Luciano Pavarotti, Fiorenza Cossoto, Leontyne Price et Nicolaï Ghiaurov sont magnifiques. Écrit en 1874 à l’occasion du premier anniversaire de la mort de l’écrivain Alessandro Manzoni, le Requiem porte l’admiration de Verdi pour l’auteur d’I Promessi Sposi. Le compositeur italien considérait ce roman comme le reflet d’une vérité qui doit sans cesse guider peintres, poètes et musiciens.
Bouleversé par la mort de l’écrivain, Verdi compose une messe de Requiem à sa mémoire. Il prend en charge sa publication, le choix des interprètes, l’organisation des répétitions et du concert qu’il dirige lui-même en l’église Saint-Marc de Milan. Deux mille personnes y assistent avec une ferveur et une émotion passionnées. Trois jours après, le 22 mai 1874, Verdi remonte au pupitre de la Scala. Le public bouleversé reconnaît de nouveau la beauté, l’inspiration, l’écriture claire et limpide de l’œuvre. Pas de promesse de béatitude éternelle, pas d’amen triomphant, mais une émotion exaltée, lucide, un appel à la libération repris sans cesse par chaque voix, jusqu’à la prière de la soprano.
La musique par laquelle prie Verdi exalte, choque, apaise et s’adresse avant tout aux vivants. On y trouve douceur, harmonie, consolation. Verdi ne cherche ni le dépouillement ni l’austérité, mais nous offre au contraire une musique vivante, dont la vague chaleureuse ne cesse de monter en nous. Avec une puissance et une émotion déchirantes, il met tout l’accent sur le Dies Irae dont le quatuor vocal est l’un des plus beaux qui soient.
Arte
Dimanche 13 avril 2008 à 19h
Concert filmé en 1969. Réalisation: Hugo Niebeling (1969, 43mn). Karajan dirige la Symphonie n°6 « Pastorale » de Beethoven
Trois ans après les premiers films dramatico musicaux orchestrés avec Henri-Georges Clouzot, en particulier dans une Symphonie n°5, tranchante et lumineuse comme le diamant, Karajan s’intéresse par l’image, en 1969 à la Symphonie n°6 du même compositeur, Beethoven. Mais en 1969 le maestro ne travaille plus avec Clouzot qui l’a déçu en particulier dans la captation filmée du Requiem de Verdi (dont les images et la tenue des plans restent indignes de l’excellence interprétative). C’est désormais un nouveau réalisateur qui assure la captation des concerts ou plutôt des films symphoniques. Un pas est nettement franchi avec Hugo Niebeling qui en génie de la dramaturgie visuelle réalise pour cette Pastorale, un prodige hors normes, sans équivalent jusque là: flou spirituels, jeux avec la lumière (l’effet des lampes placées sous les fauteuils de l’orchestre produit un effet époustouflant), podium de l’orchestre peint de couleur différente selon les mouvements, maîtrise de l’ombre et des contrastes… l’aisance et la personnalité du cinéaste est telle que l’image et les procédés visuels supplantent parfois la musique et surtout le chef. Résultat, Karajan outré lors de la présentation du montage, réalisera encore deux films suivants (le 5ème et la 7ème toujours de Beethoven), et encore, Karajan réécrira les deux films concernés, avec sa chef monteuse: désormais le divorce est consommé et le maestro veillera lui-même à soigner la captation des concerts, précisément sa propre image devant la caméra.
Le caractère révolutionnaire de l’enregistrement de la Pastorale dont la dramaturgie renforce l’expressivité choisie, saisit immédiatement le regard: les mains du maître, toujours centrales dans la conception visuelle, semblent sorties d’un monde obscur pour nous conduire vers la lumière: la figure du chef guide se précise et s’affirme plan après plan. Puis lentement, la caméra bascule en contre-plongée vers le profil du chef, auréolé de la lumière du divin: à la façon des empereurs romains puis byzantins, l’image du Maestro Karajan s’inscrit ainsi pour l’éternité: son profil parfaitement explicité. Le film sert-il Beethoven ou Karajan? Niebeling, soumis aux volontés esthétisantes du chef, s’ingénie en parfait orfèvre de la lumière et de l’image, à inféoder le vocabulaire du cinéma à l’expression de l’interprétation musicale. En artisan avisé, épris des dernières prouesses de la technologie, Karajan se fait filmer en 35 mn et en stéréophonie. Performance sensationnelle à l’époque où la télévision est encore en noir et blanc, affichant une image souvent anamorphosée.
Karajan absorbe les ficelles du métier avec Clouzot, passe ensuite derrière la caméra: organisant, orchestra l’image, articulant toutes les techniques du langage visuel en maître absolu. La propagande réalisée sert davantage son image de chef légendaire que les compositeur abordé. Mais n’a t on pas besoin de figure emblématique, de guide esthétique et spirituel? La silhouette du chef, confronté à la masse agissante de son orchestre, répond à ce besoin fantasmatique… conscient ou non, en tout cas, ardemment espérée dans l’histoire allemande. Aujourd’hui encore, on recherche pour tous les orchestres du monde, à expliquer et suivre leur progression en fonction de la personnalité spécifique de chacun des chefs qui les dirige. L’histoire des orchestres, en particulier des plus prestigieuses phalanges est toujours expliquée et commentée en fonction des individualités qui sont nommées pour les conduire jusqu’à l’excellence. Herbert von Karajan, successeur des plus grands avant lui, en particulier Toscanini et Furtwängler, applique la figure du guide musical à sa propre expérience, dont les réalisations filmiques ont grandement contribué à la reconnaissance de son style.
Il aurait été juste que le chef reconnaisse le talent inventif et visionnaire du réalisateur d’alors, Hugo Niebeling: jamais plus, on ne filmerait d’orchestre et d’instruments de la sorte. Or Karajan qui entendait surtout imposer sa stature, fidèle à son propre culte, dénigra le film qui néanmoins fut acheté par la télévision allemande… Les deux films suivants dirigés par Niebeling, la 3ème puis la 7ème de Beethoven, furent remontés par Karajan et sa chef monteuse, réarrangés de bout en bout pour correspondre à l’image du guide omnipotent, omniscient. Niebeling avait trop d’idées visuelles pour l’époque. Avec lui, l’image reprenait le dessus. Chose impensable pour le Maestro…
Sélection CD
Coffret événement « the complete Emi recordings: 1946-1984: opera & vocal » (72 cd Emi Classics). C’est Walter Legge qui en 1946,
signe avec le chef autrichien, Herbert von Karajan (alors âgé de 37
ans), le contrat d’enregistrement dont découlent les quelques 72 cd ici
regroupés et qui totalisent l’un des legs lyriques (et de musique
sacrée) les plus marquants de l’histoire du disque. En particulier, les
prises réalisées de 1946 à 1960, en majorité avec l’orchestre
Philharmonia de Londres (créé par Legge pendant la guerre), mais aussi
à Milan et à Berlin. Cette boîte miraculeuse, célébrant le Centenaire
de Karajan (le 5 avril 2008, précisément), en complément d’un autre
coffret non moins incontournable édité par Emi et consacré au legs
symphonique du Maître, réunit les enregistrements Emi, dans la
catégorie « Opéra et oeuvres vocales« . Comme chef lyrique, et comme maestro dirigeant choeur et solistes dans
les oeuvres sacrées de Bach à Beethoven, Karajan se distingue par la
clarté du son, et surtout, l’équilibre atteint entre les pupitres de
l’orchestre et les chanteurs. Lire notre présentation complète du coffret Herbert von Karajan : « the complete Emi recordings: 1946-1984: opera & vocal » (72 cd Emi Classics)
Sélection dvd
1967
Verdi: Requiem. Voici la première réalisation filmique de
Karajan, en couleurs, avec encore à la fin des années 1960, la
contribution avisée et professionnelle de Henri-Georges Clouzot.
Parmi les solistes, en plus des excellents Nicolaï Ghiaurov, Fiorenza
Cossoto, et la solaire Leontyne Price, le jeune Pavarotti, qui remplace
Carlo Bergonzi, porté pâle, incarne une énergie humaine, tendre,
lyrique, absolument confondante. Ce témoignage est l’un des plus
saisissants de la collaboration Clouzot/Karajan, qui a compté avant en
noir et blanc les fameuses recréations visuelles
d’après la Cinquième de Beethoven et la Huitième « Nouveau Monde » de
Dvorak. Le duo allait se quitter en 1969, avant qu’au début des années
1970, le maestro désormais seul maître à bord, ne dirige et ne
réalise, en expert de son et donc de l’image, l’ensemble de ces
captations audiovisuelles. Précisons qu’avec le recul, au moment du
premier visionnage après le montage des plans réalisés, Karajan jugea
le travail de l’équipe Clouzot, « indigne » de l’interprétation musicale:
plans incertains, caméra tremblante… le film milanais devait marqué
la dernière collaboration du chef avec le cinéaste français (1 dvd
Deutsche Grammophon).
1968
Pagliacci (Leoncavallo), Cavalleria Rusticana (Masacagni) sont
réenregistrés en studio à Milan, deux ans après leur représentation
mythique à la Scala. Mais la mise en scène originelle de Strehler a été
réécrite (Paggliacci) dans les décors de Wakhevitch. La direction
de Karajan captive de bout en bout par ses respirations, sa vision
dramaturgique, son architecture de la gradation psychologique, qui
compensent souvent le classicisme, certes léché mais parfois un rien
statique de la mise en scène et du jeu des acteurs. De leurs côtés,
Vickers et Kabaivanska dans Paggliacci, et Cossoto dans Cavalleriana
offre chacun, une performance intense grâce à la
complexité et la richesse émotionnelle qu’ils apportent à leur
incarnation. Témoignage incontournable du Karajan scaligène dont la
baguette dramatique s’accorde à la ciselure incarnée des chanteurs (1
dvd Deutsche Grammophon).
1973
Les quatre Symphonies de Brahms s’écoulent comme une lave
tragique et tendre, désespérée et lyrique dont chaque arête sous la
coupe d’un Karajan aussi flamboyant qu’habité, dévoile les affres de la
vie intérieure, l’expérience ultime de la vie humaine. Chef et Berliner
Philharmoniker dont il est directeur « à vie » depuis 1955, soit 17 ans
au moment de l’enregistrement, s’accordent à merveille, fusionnés, en
un dialogue du silence, et de la compréhension éprouvée, miraculeuse,
comme le montre sa direction, yeux fermés. Un témoignage exceptionnel,
de surcroît sous les éclairages sertis, orfévrés d’Ernst Wild, qui
signe la photographie de tous les films karajanesques majeurs des
années 1970 (2 dvd Deutsche Grammophon).
1978
Wagner: Das Rheingold.
avec Thomas Stewart, Brigitte
Fassbaender, Peter Schreier, Jeannine Altemeyer, Zoltan Kelemen…
Berliner Philharmoniker. Costumes: Georges Wakhevitch. Etape
essentielle du Ring de Karajan présenté lors du Festival de Pâques
1973, cette réalisation vidéo, réalisée en novembre 1978, reste
captivante par la cohérence et l’esthétisme visuels de l’approche.
C’est un film d’opéra, et non pas un opéra filmé: l’exigence de Karajan
s’y manifeste dans chaque plan avec un relief renouvelé apporté grâce
aux plans serrés que permet la caméra. De ce point de vue, sans
disposer de chanteurs fulgurants, l’approche musicale autant que
visuelle du Karajan, chef-cinéaste s’impose par son approfondissement
quasi chambriste des caractères. A noter, le Loge hallucinant,
pervers et machiavélique, prince manipulateur de Peter Schreier dont la
présence se détache du reste de la distribution… une révélation
concernant la carrière et les choix de rôles de la part du ténor
allemand. Il est intéressant de noter qu’à la même période se réalise
un tournage cinématographique et lyrique d’envergure, le Don Giovanni de Mozart, dans la réalisation éblouissante de Joseph Losey (1 dvd Deutsche
Grammophon).
1978, 1979
Voici dans ses meilleures années fimées, le chef brucknérien,
à la tête de ses équipes viennoises, capable yeux fermés, comme à son
habitude pour les programmes purement symphoniques, d’exprimer les
profondes blessures et les déflagrations personnelles de Bruckner
(Symphonie n°8 enregistrée en 1978, dans l’église que le compositeur a
particulièrement marquée, Saint-Florian dont il fut l’organiste attitré), mais aussi
sachant trouver, et tout obtenir du choeur (ses chers Wiener
Singverein) et du Wiener Philharmoniker. Le Te Deum occupe sa place
traditionnelle comme ultime mouvement de la 9ème: solistes et choeur
savent sous la tutelle du maestro habité, telle une formidable instance
spirituelle, écouter l’orchestre et vice versa. Nuances, articulation,
murmures incarnés: orchestre, choeur et orchestre se montrent d’un rare
équilibre, totalement inféodés à la recherche de profondeur et
d’intériorité du chef. La lecture approche la perfection ( 2 dvd
Deutsche
Grammophon).
1979
Festival de Pâques, Salzbourg. Karajan dirige une oeuvre qui lui est
chère, au même titre que La Création de Haydn ou le Requiem de Verdi:
la Missa Solemnis de Ludwig van Beethoven.
Saluons toujours la recherche du beau son, et aussi cette articulation
parfois âpre, comme radicale et définitive de la direction: parmi les
solistes, les chanteurs complices s’engagent au service du maître
offrant le meilleur du chant humain. Un chant fraternel qui caractérise
les intentions musicales de Beethoven dans l’une de ses partitions les
plus ambitieuses et les plus monumentales. A ce titre, la prestation du
baryton José Van Dam éblouit. Et dire que l’interprète réalise à
la même époque, son époustouflante incarnation de Leporello dans Don
Giovanni de Mozart, sous un autre oeil exigeant et « inventif », celui de
Joseph Losey. Incroyable époque! (1 dvd Deutsche Grammophon)