en banlieue
Giacomo Puccini
La Bohème, 1896
Arte.tv
Mardi 29 septembre 2009
à partir de 19h55
L’opéra en banlieue… l’idée mérite qu’on s’y attarde. Trouver de nouveaux publics, offrir aux spectateurs qui en sont exclus, (et même en les fairsant étroitement participer!) l’expérience du spectacle total, voilà un dispositif visionnaire, à tout le moins original qui pourrait bien offrir au genre lyrique, les clés pour son audience future.
Une barre d’immeubles à Gäbelbach…
Arte déplace la scène de l’opéra hors des velours traditionnels et nous invite à redécouvrir un chef-d’oeuvre lyrique signé Puccini, dans la banlieue de Berne (au terminus de la ligne 14, précisément dans le quartier de Gäbelbach… ): une barre d’immeubles campe le décor de La Bohème (1896). Pour la fragile petite couturière Mimi, pour Rodolphe le poète et ses amis artistes sans le sou, héros miséreux de l’opéra de Puccini inspiré du roman de Burger, l’exiguïté des lieux de vie à Gäbelbach, la misère urbaine d’une banlieue éloignée du coeur de ville esthétique et petitbourgeois, rappellent le cadre de l’action originelle propre à la vie d’artistes à la fin du 19è.
Le déroulement de l’opéra se réalise au milieu des pièces de quatre appartements réels, dans un décor familier et banal où les chanteurs acteurs vivent l’existence des habitants d’une banlieue comme il en existe partout en Europe. Puccini qui a inventé l’opéra réaliste, s’intéressant à la vie des petites gens, n’aurait assurément pas renié une telle expérience qui souligne le réalisme social de son oeuvre. Après avoir diffusé en direct La Traviata dans la gare de Zürich, Arte renouvelle l’expérience et consacre une nouvelle soirée à l’opéra, en direct et sur le net, en un dispositif nouveau, de surcroît en prime-time.
L’amour contre la misère…
L’équipe artistique est celle du Stadttheater de Berne. Elle évolue dans l’immeuble de Gäbelbach sous la direction de la metteuse en scène Anja Horst. Les résidents véritables participent étroitement à la performance comme figurants des 4 tableaux. L’action se passe dans 4 appartements au rdc du bloc B. Dans la réalisation choisie, le propriétaire Benoît habite à côté de l’appartement de Rodolphe: il passe son temps à surveiller ses locataires devant un mur d’écrans qui épient les habitants; Mimi rencontre Rodolphe et tombe amoureuse du poète, cependant que les vrais locataires de l’immeuble regardent sur leur poste de télévision, le duo d’amour des deux héros… comme si pour s’évader de la misère quotidienne, seul l’amour était source d’enchantement…
Au commencement de cette Bohème en banlieue, la scène de la mansarde où Rodolphe retrouve ses amis artistes, se déroule dans une buanderie laborieuse et étouffante où les résidents se croisent et se rencontrent…
Le dispositif technique comprend 21 caméras.
Au premier acte, les personnages évoluent dans la buanderie. Au second, l’action se passe dans le centre commercial Westside dont le snack rétablit le tableau initial du café Momus, dans l’opéra de Puccini. Et pour la mort de Mimi, Anja Horst réfléchit encore, avant la retransmission en direct: sur la place devant la pizzeria ou dans un bus de la ligne 14…
Voilà magnifiquement exprimée l’insignifiance d’une pauvre vie dont pourtant le tragique humain offre un modèle universel: ces héros dans la banlieue n’ont pas la prestance ni la noblesse des personnages de la mythologie ou de la classe supérieure, mais pourtant, a contrario, leur humanité nous touche directement par leur vérité. C’est justement ce réalisme, plus criant que la vie elle-même, qui pourrait faire la magie de cette nouvelle production dans la banlieue de Berne.
Placés sous la direction du directeur musical du StadtTheater de Berne, le chef serbe Srboljub Dinić (né en 1969), les musiciens de l’orchestre symphonique de Berne accompagnent la distribution de jeunes chanteurs pour une production originale et singulière qui souligne dans l’opéra de Puccini, son réalisme et sa poésie.
Multistream lyrique sur arte.tv
Sur le site d’Arte, arte.tv, suivez l’opéra et ses coulisses en direct, mardi 29 septembre 2009, de 19h55 à 23h20.
Choisissez sur internet, les caméras grâce auxquelles vous suivez l’opéra en direct (multistream).
Participez en direct et exprimez vos impressions ou adressez vos requêtes sur le live-blogging qui sont directement transmises aux présentateurs pendant la diffusion antenne et internet.
Sur internet aussi, les web-reporters diffusent les images des lieux du tournage, recueillent le sentiment des spectateurs-acteurs-résidents in situ pendant la représentation…
Programme
19h55
début du streaming sur internet (arte.tv): présentation spécifique, reportages en coulisses et parmi les spectateurs figurants…
20h05
diffusion antenne (arte) et en simultané sur arte.tv
La Bohème en banlieue
Opéra de Giacomo Puccini
Anja Horst, mise en scène
Felix Breisach, réalisation
Chœur du Théâtre de Berne
Orchestre Symphonique de Berne
Srboljub Dinić, direction
Durée : 1h20mn (1re partie) et 1h15mn (2e partie)
Maya Boog (Mimi)
Eva Liebau (Musetta)
Saimir Pirgu (Rodolfo)
Robin Adams (Marcello)
notre avis
Outre le dispositif technologique requis, vraiment impressionnant, l’opération réalisée avec maestrià par les équipes d’Arte, pose de nombreuses questions: comment l’orchestre jouant dans une salle à part, s’est il accordé aux chanteurs, interprétant l’action dans la barre d’immeubles, d’autant plus en direct? Certes chacun des protagonistes regardait en permanence les moniteurs diffusant la battue du chef… mais quand même.
L’expérience télégénique pointe du doigt une autre problématique: celle du renouvellement dramaturgique des oeuvres. Pas d’opéras aussi joué et connu que La Bohème: airs faciles, lyriques, d’une indiscutable tendresse… tout oeuvre ici à l’accessibilité de l’ouvrage. D’où son succès auprès du public.
Le fait de déplacer la représentation hors des théâtres fermés, dans une barre d’immeuble habitée, éprouve l’efficacité et la vraisemblance de l’ouvrage. Dans le cas de La Bohème: tout fonctionne plutôt bien. Car la cohérence porte toute la production: l’atelier où les artistes miséreux travaillent et se retrouvent, la scène du café, l’adieu final joué à la porte d’un bus qui mène Mimi vers sa destination finale, terminus d’une vie sacrifiée, supportent l’écran et le transfert.
Plus intéressant encore la place du spectateur: ici pas de sièges ni de balcons… mais l’espace réel d’une cité en banlieue, où les habitants authentiques des appartements sont les figurants d’une production atypique. La scène se dilue et s’efface dans un nouveau genre de spectacle… participatif. Et c’est seulement à la fin des airs quand les figurants applaudissent que l’ordre traditionnel et les rôles impartis refont surface: les figurants sont bien des spectateurs qui saluent la performance des interprètes venus chanter. Ce trouble ajoute au surcroît de réalisme de l’expérience. Ajoutons qu’en plus de la diffusion en direct sur la chaîne, Arte retransmettait aussi sur son site les actes de l’opéra.
A l’heure où les théâtres d’opéra multiplient les directs, sur internet et à la télé comme ici, ou même au cinéma (initiative visionnaire du Metropolitan Opéra de New York), ou encore sur des écrans géants installés dans la rue, comme maintenant à Vienne et parfois à Paris, c’est la démocratisation du genre qui joue son avenir. Jamais les spectateurs n’ont été plus nombreux dans les salles. Internet et la télé élargissent la diffusion, touchent de nouveaux publics, en particulier les plus jeunes qui sont tous internautes.
En déplaçant La Bohème de Puccini hors de son lieu familier, il ne s’agit pas seulement d’oser une expérience dramatique inédite et éprouver la structure dramatique d’une partition en incluant les dernières technologies de l’image: l’opéra y trouve un nouveau visage (un comble pour un art que l’on dit poussiéreux, élitiste et mort!), et certainement de nouveaux publics.
Saluons Arte d’innover et de réussir tous ces paris si difficiles.
Illustration: la buanderie réelle du bloc B dans laquelle commence l’opéra La Bohème en banlieue, Saimir Pirgu, Rodolphe. Anja Horst qui signe la mise en scène. Maya Boog, Mimi (DR)