Jean-François Zygel
France 2 Jeudi 12 août 2010 à 22h35
Sur le thème « classique et jazz », Jean-François Zygel invite un nouveau collectif qui illustre le propos du soir : métissages des genres et chemins croisés entre classique et jazz.
Le sujet est d’autant plus intéressant qu’il rappelle que c’est Paris qui dans les années 1920, pendant la Belle Epoque et l’entre deux guerres, donne le ton : tous les compositeurs en verve et digne de ce nom se prêtent à la mode jazzy et se réapproprient les rythmes et les mélodies du jazz américain. Chacun se met au parfum outre-Atlantiques, nourrissant son propre style. Très affuté et jamais en mal d’un bonne assertion, Maurice Ravel publie en 1928, un article visionnaire où il demande aux américains de prendre le jazz au sérieux !
Le phénomène est comparable en peinture aux artistes qui s’inscrivant alors dans la veine de l’avant-garde, s’initient au cubisme défendu alors par les fers de lance, Picasso et Braque.
Dès le quizz initial, Jean-François Zygel (JFZ) dévoile combien Ravel (Concerto pour la main gauche écrit pour Paul Wittgenstein), Debussy (ragtime revisité), Satie (Picnic), Millaud (La Création du monde, 1923 aux allures étonnamment gershwiniennes) ou encore Poulenc (3è Impromptu, de 1922) s’imposent alors dans le champs créatif européen. Même Stravinsky s’y mettra, succombant aux syncopes chaloupées du Jazz américain, car il est lui aussi à Paris.
Dans ce chapitre estival n°2 de la Boîte à musique, Zygel s’adonne à sa passion communicante : l’impro. Au clavier, le pédagogue distingué s’en donne à cœur joie pour expliquer tout ce qui fait les délices du rythme, des mélodies propres au blues (grille à 12 mesures), analyse dans la séquence « mécanique d’un tube », les secrets de fabrication de la fameuse valse de Chostakovitch (extraite de sa Suite de Jazz n°2) qu’un assureur avait adopté pour sa communication : incroyable création que cette partition aujourd’hui ultra connue qui fut écrite par le compositeur russe pour inventer un jazz typiquement …stalinien ! N’en déplaise aux Américains jugés décadents.
S’inscrivant pile poil dans le thème de la soirée, la nouvelle manière du Quatuor Ebène qui improvise façon jazz (leur prochain album chez Emi classics navigue entre classique et jazz) ; même inspiré façon Bill Evans ou John Coltrane, avec posture inédite, JFZ en violoncelliste (mais sans archet), le geste des Ebènes est loin de convaincre, pourtant porté par l’excellent batteur, Richard Hery, présent lui aussi sur le plateau de France 2.
Sans que l’on comprenne véritablement le lien avec le thème de l’émission, la présence de la contralto Nathalie Stuztmann et son ensemble récemment constitué Orféo 55 s’impose nettement mieux : tempérament, dramatisme, mais aussi sens réel de la communication et de l’explication enchantent, dans un cycle d’oeuvres signées Vivaldi. Le Vénitien a le sens du rythme lui aussi, il maîtrise le principe de la variation comme en témoigne cette interprétation caractérisée de « La Follia » (standard de 16 mesures) que Vivaldi décline avec verve et élégance, en variant pour chaque reprise, rythme, tonalité, distribution des instruments (les Orféo 55 ne sont que des musiciens sur cordes). La chanteuse apprend la technique de la direction avec Seiji Ozawa (rien que ça !), et quand elle se retourne vers le public, sa gestique de dos est assez claire et nuancée pour diriger ses instrumentistes qui l’accompagnent dans entre autres un air vivaldien des plus captivants : « Sovvente il sole »… mélodie rare empruntée à un opéra pasticcio pour lequel Vivaldi cet air bouleversant aux contrastes saisissants grâce au duo qu’y forment voix et violon (à l’époque joué par Vivaldi lui-même) … Cantatrice et ensemble sur instruments anciens sont à l’affiche du prochain festival de Sablé dans un programme inédit lui aussi, dédié à Vivaldi. On reste moins convaincus par son approche du « Youkali » du génial Kurt Weil : trop lyrique et ampoulé, sans les vertiges d’une Diane Dufresne (dont il existe un enregistrement avec Yannick Nézet-Séguin absolument admirable).
Le grand moment de la soirée demeure l’intervention superlative du pianiste français qui vit aux USA, Jean-Yves Thibaudet. Après un Chopin valsant, irrésistible, le pianiste trop rare en France et certainement mésestimé dans son pays natal, joue La Puerta del vino (l’une des portes de l’enchanteresse Alhambra) : digitalité chaloupée et vive (sur une basse obstinée d’Habanera), nuances, subtilité : on a rarement écouté un Debussy aussi aérien, inspiré, poétique. Quel jeu magicien !
Pour le chapitre : « l’instrument rare », JFZ dévoile l’art assez déconcertant de l’italien Carlo Rizzo, maître de son propre instrument percussif, le tambourin polytimbral. Grâce à un jeu personnel qui exploitent les 3 systèmes adaptés à l’instrument unique, l’instrumentiste peut arrêter le jeu des cymbalettes (étouffoirs) ; ajoute ou retire le timbre de caisse claire qui produit le jeu des vibrations contre la peau ; surtout, crée une gamme mélodique en jouant sur la tension de la peau grâce à un système de vis sur l’ensemble du cylindre. Le musicien est capable de produire un ensemble de sons et de modalités aussi riche qu’une batterie entière ; le duo de Carlo Rizzo avec le batteur Richard Héry est l’autre moment fort de ce chapitre.
Pour le reste, assurer un programme aussi varié est un défi… que France 2 relève à nouveau cet été. Diffusé à 22h35, en deuxième partie de soirée, le cycle des 5 émissions de la Boîte à musique dont voici le second volet, s’annonce, chaque jeudi, passionnant. Gageons que l’audience soit au rendez-vous. Le format de plus d’1 h nous paraît consistant ; espérons que les fidèles y trouvent leur compte ; surtout que, faute d’un rythme soutenu du début à la fin, les nouveaux spectateurs ne s’y ennuient pas, les cinquante premières minutes passées… La Boîte à musique doit aussi montrer sa pertinence grâce à sa capacité à séduire les nouveaux publics.
La durée de chaque épisode ne finira-t-elle pas par décourager les mélomanes les moins avertis ?