Paul Agnew et ses partenaires ressuscitent la tradition archaïque du stile antico, de rigueur pour l’intensité émotive et sans effets des textes. Les 5 pièces regroupées proposent une polyphonie imitative, aux textures riches et « dramatiques », texte oblige. Le Stabat mater de Domenico Scarlatti (1715-1719) illustre ce goût pour l’affliction, a cappella de mise à la Capella Giulia à Saint-Pierre de Rome dont il dirige les musiciens; sens de la couleur, bel engagement collectif, Les Arts Florissants expriment le souffle déclamatoire d’une partition fleuve de plus de 20 mn.
Legrenzi amoureux, Leo subtil et populaire
Le Legrenzi sélectionné, « Quam amarum est, Maria » est passionnant, daté de 1655, il illustre l’immersion du style opératique à l’église; Vénitien admiré, Legrenzi est le maître de Caldara et de Lotti. Les deux sopranos semblent revisiter le geste sensuel et aussi expérimental d’un prédécesseur illustre à Venise, Monteverdi, faisant de cette lamentation, un duo d’amour d’une irrésistible effusion implorante. Preuve est ainsi faite que les compositeurs du temps de la Passion, privé d’opéras pendant la Semaine Sainte, se rattrapaient dans les musiques commandées sur le thème de la Crucifixion ou du Christ de souffrance.
Le Crucifixus, ici illustré par les manières de Caldara (a 16) et de Lotti (2 Crucifixus ici retenus, a 8 et a 10) pourrait bien avoir été une tradition purement vénitienne, le temps fort d’une célébration religieuse… Langueur suspendue, et vertiges parfois inquiétants, celui de Caldara se distingue tout autant que ceux de Lotti, surtout en effectif plus important mais plus court, moins de 3 mn: fulgurant par ses dissonances très habilement choisies.
Second volet majeur (avec l’imposant Stabat Mater de l’autre Napolitain, Domenico Scarlatti), le Miserere de Leonardo Leo est composé à Naples en mars 1739: l’alternance des sections solistes et chorales, la combinaison très vivante du plain-chant dans le contrepoint choral produit une oeuvre qui touche par sa sincérité populaire, un cycle vivant, diversifié, caractérisé dans chaque section, qui saisit Wagner de passage à Naples en 1880: toute l’articulation palpitante et expressive des chanteurs sous l’impulsion de Paul Agnew fait ici merveille. Leur attention à la lisibilité du verbe, la justesse des intonations, la flexibilité constante affirme leur pleine maestrià dans l’art si complexe des prières collectives sacrées.
Paul Agnew, maître orfèvre du verbe incarné
Le programme a été capté sur le vif en l’abbatiale d’Ambronay au dernier festival, et profite d’une acoustique quasi idéale, celle qui fait depuis ses débuts la magie des grands concerts choraux du festival (écoutez en ce sens l’admirable caractérisation des chanteurs pour un Miserere de Leo, totalement superlatif.
Voilà une nouvelle preuve de la maturité musicale à laquelle parvient chanteurs et musiciens des Arts Florissants sous la direction de Paul Agnew. Le ténor qui participe à l’ensemble depuis 20 ans s’engage toujours plus dans la maîtrise de la vocalità italienne; une attention au verbe incarné, privilégiant souplesse et expressivité naturelle de la parole est au coeur de son travail actuel: Paul Agnew a débuté en concert l’intégrale des Madrigaux de Monteverdi, une odyssée musicale qui mène jusqu’en 2014, dévoilant les perles des Livres I à VIII, de la polyphonie de la Renaissance à l’essor du style lyrique. Voir notre reportage vidéo l’Intégrale des madrigaux de Monteverdi par Paul Agnew et les Arts Florissants (film réalisé à Venise en juillet 2011).
Lamentazione. Domenico Scarlatti (Stabat mater), Antonio Lotti (Crucifixus a 10), Giovanni Legrenzi (Quam amarum est, Maria), Antonio Caldara (Crucifixus a 16), Leonardo Leo (Miserere a due cori), Antonio Lotti (Crucifixus a 8). Les Arts Florissants. Paul Agnew, direction.
Ambronay, septembre 2011. 1 cd Virgin classics.
5 099907 090721,
56 mn.