Venise, La Fenice, Ca’Pesaro. L’Eritrea de Cavalli : 10,11 juillet 2014. Venise ressuscite L’Eritrea, opéra du baroque Cavalli, meilleur disciple de Monteverdi. Les 8, 10 et 11 juillet 2014 à La Fenice de Venise. Une résurrection attendue qui défend si l’on en doutait, la très haute valeur des opéras de celui qui fut invité par Mazarin en France à l’époque du mariage de Louis XIV. Il y était question n’importer les fastes de l’opéra italien à Paris.
Récemment a été exhumé Elena (Aix 2013 : le dvd est publié cet été. Prochaine critique dans le mag cd,dvd,livres de classiquenews : peu à peu, l’auteur de Giasone (1649) se montre aussi efficace et moderne que son maître Claudio Monteverdi, diffusant partout en Europe une manière de modèle lyrique, à la fois populaire et savant, d’une liberté poétique singulière (mêlant comique et tragique, guerrier et sentimental), avant la vague napolitaine qui allait s’imposer au XVIIIème siècle. Si Venise devait capitaliser sur quelques noms prestigieux pour assoir son rayonnement culturel, il faudrait citer les peintres Bellini et Titien, Véronèse et Tintoret pour le XVIè,… Claudio Monteverdi et Francesco Cavalli pour le XVIIè. L’Eritrea appartient à un mouvement de redécouverte dans ce sens. La Didone (1641), L’Egisto (1643), L’Ormindo (1644), L’Orimonte (1650), La Calisto (1651)… sont autant de chef d’oeuvres (certains déjà ressuscités et enregistrés par René Jacobs) qui préparent la réussite musicale et dramatique de l’Eritrea, créée au Teatro Sant’Apollinare en 1652. Cavalli étonne par sa féconde créativité qui le mène après son Ercole Amante parisien jusqu’à Muzio Scevola (1665), Pompeo Magno 1666), Eliogabalo (1668) et Coriolano (1669).
Eritrea, princesse des illusions
Devançant de près de 10 ans, son Ercole amante présenté donc devant le jeune Louis XIV en février 1662 (dépoussiéré et magistralement enregistré par Michel Corboz il y a plus de 30 ans à présent), L’Eritrea offre les mêmes qualités d’écriture, redevable au génie cavallien : fluidité formelle dans les récitatifs, versatilité des registres, passant du comique scabreux au ténèbres tragiques (comme l’avait démontré son autre chef d’oeuvre La Calisto dans la vision portée par René Jacobs et l’ineffable Maria Bayo, interprète du rôle titre). C’est une scène foisonnante, théâtralement suractive et chamarrée, très proche en cela des peintures du contemporains français Laurent de Hire, un classique féru de romanesque et d’exotisme. Même William Christie en 2011 a souligné l’ivresse éclectique de Didone dans une superbe production présentée à Caen. Pour sa part, Cavalli poursuit l’oeuvre de Monteverdi en offrant une caractérisation très fine de chaque personnage. De ce point de vue, le choix de l’Eritrea conforte la richesse d’invention de Cavalli (avec son librettiste Faustini). 11 personnages se concentrent sur le noyaux de l’intrigue plutôt comique (nettoyé de toute présence divine), dans un lieu oriental où l’Assyrienne Eritrea se travestit en prenant l’identité de son frère jumeau (Periandro) afin d’éviter que celui qu’elle aime, Eurimedonte, ne succombe aux avances de sa rivale Laodicea, reine de Phénicie. Le délire né des quiproquos et identités feintes accumule les épisodes fantasques et surprenants, propices à une théâtralité renforcée : Teramene, épris d’Eritrea (homme et femme) y perd la raison. Même Laodicea tombe amoureuse d’Eritrea devenu homme (Periandro). Baroque jusque dans ce labyrinthe des illusions trompeuses, l’opéra de Cavalli explore les passions humaines en en dévoilant les vertiges et les aspirations les plus intimes. Tout cela en un formidable ouvrage, scéniquement aussi truculent et riche que La Calisto. De prochaines publications sont annoncées dans la foulée.
Venise, La Fenice. Ca’Pesaro. L’Eritrea de Cavalli, les 10 et 11 juillet 2014. Drame musical en 3 actes, présenté à la Ca’Pesaro. Giulia Semenzato (Eritrea), Anicio Zorzi Giustiniani (Eurimedonte), Rodrigo Ferreira (Teramene)… Stefano Montanari, direction.