En cette période de bêtisiers, de récapitulatifs et d’aperçus moroses de l’année qui s’est écoulée, l’Opéra Royal de Wallonie a le double avantage de proposer un spectacle drôle, féérique, léger et badin, et de proposer sa mise en scène au génial Jérôme Savary, connu à la fois pour son exubérance et ses mises en scène de spectacle à grand et large public.
La vie parisienne, c’est Paris, bien sûr, ville vue par Jacques Offenbach, compositeur qui avait la fichtrement bonne idée de s’allier à Meilhac et Halévy, qui eut l’excellente idée de créer le théâtre des Bouffes Parisiens (ce qui permet ce soir d’assister à un opéra qualifié très précisément de « bouffe »), qui écrivit quantité d’œuvres lyriques, légères souvent, graves parfois, mais qui fut surtout connu, en ce Second Empire de Napoléon III, par ses œuvres badines, sans arrière-pensée mais avec des opinions parfois très critiques de leur temps. Nous sommes dans le Paris du 19ème siècle, aux femmes légères et aux hommes infidèles, aux femmes indépendantes et aux hommes dépendants d’elles. Femmes en tenue courte, hommes (nobles) en costumes de ville : le contraste est saisissant.
Mais entrons tout de suite dans le feu de l’action. Cinq actes pour explorer, sous le prétexte d’un argument qui ressemble plus à un quiproquo de vaudeville qu’à un synopsis d’opéra, une histoire d’amour, d’adultère, de jeux de hasard, de séductions et de tromperies. Une histoire internationale, mettant en scène, dans la France du Second Empire, tour à tour une courtisane au nom très italien, un Brésilien, des bourgeois français, un bottier alsacien, une gantière bien parisienne, un couple de riches Suédois venant s’encanailler dans la capitale française…
Soulignons une mise en scène vivante, rythmée, parfois provocatrice et coquine, efficace, s’appuyant sur de remarquables jeux de lumières – autant celles qui éclairent que celles qui se dégagent, constamment, des vêtements colorés -, une musique pleine de joie de vivre, pas forcément très variée mais entraînante. L’orchestre est mené de baguette de maître par Rani Calderon, aux gestes parlants et à l’attitude complice avec les musiciens. Il n’y a pas une extraordinaire subtilité, mais la musique porte agréablement les voix des solistes et les pas des danseurs. Pas d’airs doux, tristes et tendres sur toute la longueur. En France, tout finit par des chansons, et dans la Vie Parisienne, tout finit en dérision.
Certains chanteurs sont plus acteurs – tel Olivier Podesta, à la voix faible et souvent dépassée par l’orchestre. D’autres chantent très bien mais jouent moins bien la comédie – tel Philippe Ermelier. Patricia Fernandez est plus convaincante à la fin qu’au début en Métella, au jeu apprêté plus que raffiné et à l’articulation hésitante, parfois, incompréhensible. Patricia Samuel est épatante de naturel, d’énergie, de spontanéité et, surtout d’auto dérision. Olivier Grand est remarquable de souplesse, d’articulation, de drôlerie, de finesse autant dans le jeu que dans le chant. Pierre Doyen, habile, souple, énergique, au jeu aussi sautillant que son chant est assuré et simple, plaît et convainc.
Les ballets, terminant chaque acte, sont enlevés, hyper coquins, et ma foi, extrêmement agréables à regarder. Danseurs émérites et n’hésitant pas à se mettre en danger pour assurer la qualité du divertissement, danseuses extraordinairement agiles et n’ayant froid absolument nulle part : la magie est dans leur jeu, dans leurs pirouettes, autour desquelles les acteurs – chanteurs prennent un plaisir aussi grand que les spectateurs à taper dans les mains, à marquer le rythme élevé, soutenu, selon une chorégraphie imaginative et originale de Nadège Maruta. On peut seulement regretter que ces ballets, précisément, achèvent chaque acte. Ils manquent (de peu) de lasser l’auditoire, heureusement à eux tout acquis.
Voilà donc un beau spectacle virevoltant pour les fêtes de la fin d’année – qui, ne fût-ce que par son climat, ses événements et ses erreurs de casting, n’y ont jamais aussi peu ressemblé – dans une époque plus lourde, plus sérieuse, plus grave, que le Second Empire, mais qui, par la grâce de ses cinq actes, du jeu des acteurs, chanteurs, danseurs, les allusions discrètes à la vie contemporaine des spectateurs, n’en est que plus salutaire.
Ceci n’est pas un opéra, dans la plus pure tradition du terme. Mais, pour cette fois, on passera sans problèmes au dessus de ce hiatus. Il y a à boire, à manger et à chanter dans ce magnifique opéra-bouffe, à découvrir, s’il reste des places, jusqu’au 31 décembre 2007.
Liège. Opéra Royal de Wallonie. Jacques Offenbach: La vie parisienne.
Du 21 au 31 décembre 2007. Compagnie Jérôme Savary. Avec Patricia
Fernandez (Métella), Philippe Ermelier (Bobinet), Pierre Doyen
(Gardefeu), Patricia Samuel (Gabrielle), Olivier Podesta (Frick, entre
autres), Catherine Dune (la Baronne de Gondremarck), Olivier Grand (le
Baron de Gondremarck), Frédéric Longbois (le major, entre autres) …la
participation d’un ballet (14 danseurs ; solistes : Sébastien Duvernois
et Sabine Le Roc). Orchestre et chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie.
Rani Calderon, direction musicale.