Livre événement, annonce & critique. Domenico Scarlatti, par MARTIN MIRABEL (Actes Sud, 2019). L’oeuvre dévoile et précise le profil d’un auteur qui se dérobe… La question est donc posée : Mais qu’est-ce qu’une sonate de Scarlatti ? « Un monde miniature. L’infiniment grand dans l’infiniment petit. Un télescope dans lequel on voit se mouvoir les planètes dans un univers en expansion. De la vie condensée et de la fantaisie cadenassée par les mathématiques.Des “comprimés de bonheur” comme écrivait Giono… Et beaucoup d’autres choses que l’on va découvrir dans cet ouvrage…. « . Complétons la présentation de l’éditeur, en particulier l’expression de l’amour secret inavoué du maître professeur pour son élève si douée, Maria Barbara, jeune princesse de Lisbonne, bientôt Reine d’Espagne.
Chacune des 555 Sonates de Domenico Scarlatti le fils (1685 – 1757) ne serait-elle pas le fruit d’un pacte secret, entre la souveraine et le compositeur qui fut son professeur de clavecin depuis sa première adolescence ? En explicitant la genèse de ces œuvres inclassables, pochades dont la rapidité fulgurante le dispute à la volubilité expressive, l’auteur, dans un style remarquablement fluide – comme l’art de Domenico, touche au plus juste : ce qui fonde ici l’amitié et l’estime entre le serviteur et la reine ; le mentor et la bien née inacessible, et pourtant si complice.
La figure de Carlo Broschi, c’est à dire Farinelli lui même, le plus grand sopraniste et castrat napolitain du XVIIIè croise le chemin et la destinée romanesque de ce couple impossible. Dans une relation intime avec le couple royal, Maria Barbara et son époux Ferdinand VI en poste à Madrid dès 1746, Domenico livre toute la musique personnelle, de connivence avec le responsable des divertissements royaux, Farinelli. On se prête alors à fantasmer aux duos savoureux entre Farinelli et la Reine accompagnés par Scarlatti II au clavier.
Personnalité lunaire, presque saturnienne même, c’est à dire rêveuse, secrète et pudique, Scarlatti se dévoile à pas comptés dans un texte qui ressuscite le cercle de ses proches, les acteurs de sa vie musicale : sa rencontre avec son futur disciple à Madrid, Padre Soler qui sous la dictée du Maître, copie chaque Sonate pour les archives de la Reine (aujourd’hui 15 volumes conservés à Venise, et qui furent ainsi vendus après la mort de Farinelli en 1782, récupérés par la Sérénissime pour la Marciana). Mais si Scarlatti l’homme a gardé ses secrets (dure relation avec le père ; trop discrète vie sentimentale, ses goûts musicaux, etc…), l’impact de son art, la fascination qu’exercent toujours ses exercices improvisés, heureusement notés pour partie dans les partitions qui nous sont parvenues (Essercizi) produisent un effet immédiat dès après sa mort : comprenant qu’ils ont affaire à un génie du clavier, avec Bach, Clementi, Liszt, – Chopin même, le jouent, le comprennent, l’estiment. Plus tard, Schumann admiratif, en transmet le culte au jeune Brahms, qui aimera consulter et jouer les presque 250 essercizi de sa collection personnelle. Mais au delà de la virtuosité technique que Scarlatti pose d’emblée à tout interprète défricheur, comme condition sinequanon, Wanda Landowska, la pionnière pour sa réhabilitation au début du XXè rétablit le lien vital qui unit la musique dansante de Scarlatti avec la rue grouillante et populeuse. La vie plutôt que la sophistication muséale. La pulsion du désir plutôt que la technicité métronomique… Le secret de Scarlatti est là : exprimer le flux du sang, la vitalité suractive des artères, la saine palpitation de la rue bariolée. Texte captivant et limpide. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2019.
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Livre événement, annonce & critique. Domenico Scarlatti, par MARTIN MIRABEL (Actes Sud, 2019) – 10,0 x 19,0 / 176 pages – ISBN 978-2-330-12225-6 – Prix indicatif : 17 € – CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2019