Centenaire Scriabine 2015. Livres. Jean-Yves Clément : Alexandre Scriabine (Actes Sud). Créateur et génie pour le piano, à l’époque de « la charnière du bousculement des mondes entre le XIXème et le XXème siècles », l’œuvre du russe Scriabine s’impose à nous dans ce récit souvent enflammé (on ne saurait faire moins s’agissant du compositeur ainsi servi), subjectif, partisan et argumenté, qui inscrit Scriabine comme un « moderne », résolument original et inventeur : moins solitaire halluciné que véritablement visionnaire, prolongeant Liszt pour mieux préparer Prokofiev et Stravinsky (sans omettre donc Szymanowski, Schönberg, Bartok, Cage et même Stockhausen ! Qu’on se le dise…). Tout son être et surtout sa pensée (largement élucidée par ses propres écrits : ses fameux Carnets, sorte de journal artistique et esthétique) tendent vers l’absolu, l’idéal : une vision hyper romantique de l’artiste, traducteur des mondes invisibles, guide vers les sphères inaccessibles.
Pour le centenaire Scriabine 2015
Alexandre Scriabine (1872-1915) le magnifique… l’élève de Taneïev et Arenski, au Conservatoire de Moscou (dont il devient ensuite professeur à partir de 1898 , puis démissionne en 1902), auteur en 1907 du fameux Poème de l’extase (version orchestrale), puis de Prométhée (Moscou, 1911) fait déborder l’acte musical aux frontières de la philosophie et même de la théosophie. Son cheminement spirituel personnel croise enfin le penseur soufi Inayat Khan, une rencontre dont témoigne sa dernière oeuvre d’envergure Mystère… laissée inachevée. Mais ce dont témoigne pour sa part le texte, c’est que de son vivant, l’homme aussi audacieux et fantasque fut-il, a rencontré son public : il a su rentrer en résonance avec de nombreux spectateurs et mélomanes venus l’applaudir, lors de tournées triomphales (concerts en Allemagne, Hollande, Londres, Russie et Ukraine…). Le texte croise vie amoureuse (autour de ses deux compagnes successives Vera Ivanovna Issakovitch puis son élève au piano Tatiana de Schlœzer) et parcours du compositeur dont pivot de l’œuvre pianistique, l’inestimable Sonate n°5.
En chantre des harmonies supérieures, Scriabine milite pour son art à la fois mystique et synthétique. Sa langue est celle de prophètes ; son écriture sait cultiver les aphorismes et l’ivresse théorique (à ce titre, il faut lire les pages évoquant les 3 Symphonies de Scriabine… connues malheureusement des seuls spécialistes), elle trouve des sonorités inédites, une coloration futuriste qui annonce déjà ici et là… Ligeti. C’est une figure singulière au tempérament bien trempé où le charme et l’extase, le souffle, la plénitude et l’infini affleurent et s’incarnent en une écriture des plus inspirées.
Le centenaire 2015, celui de la mort de Scriabine s’ouvre sous les meilleurs auspices grâce à ce texte riche et copieux, dont le commentaire sait présenter toutes les pièces majeures pour le piano et les partitions symphoniques. Un Scriabine introspectif et d’autant plus nécessaire qu’il éclaire la personnalité comme l’œuvre, guide appréciable en cette année de célébration.
Jean-Yves Clément : Alexandre Scriabine ou l’ivresse des sphères (Actes Sud). parution : janvier 2015. ISBN : 978 2 330 03904 2. 18,50 €